La jeune femme, graphiste de formation, y narre ses mésaventures d'une plume acide, la "cohorte des demandeurs d'emploi exhibant leur mépris", "les objectifs intenables", les collègues transformés en "petits sergents" et les entretiens en "coquilles vides qui se succèdent à des cadences infernales".
A l'agence, le pamphlet a fait l'effet d'une bombe. Des agents se sont cotisés pour le lire à tour de rôle; "pas question de donner de l'argent" à leur ancienne camarade. D'autres se sont contentés d'extraits. Ils n'ont pas aimé les passages sur les chômeurs "loqueteux", "siphonnés". "Traiter une demandeuse de prostituée du coin alors qu'elle fouille les poubelles pour trouver à manger, c'est de la méchanceté gratuite !" s'indigne Salim, conseiller placement.
"Marion s'est peut-être pris la réalité en pleine face"
Les critiques envers les collègues passent mal. "Dans le livre, je suis la personne qui accouche d'un prématuré parce qu'elle fait trop l'accueil, salue Corinne. J'étais effectivement à l'accueil, mais je me sentais bien. Si j’avais fait autre chose, ce serait peut-être arrivé quand même"... Et la conseillère surnommée dans le bouquin "Tentation de la vocation" de conclure : "Marion s'est peut-être pris la réalité en pleine face, la misère des gens. Si on n'a pas un minimum d'empathie, on ne peut pas travailler ici".
De fait, Marion Bergeron, 25 ans, semble avoir souffert. Elle raconte sa trouille à l'accueil, les demandeurs "de plus en plus violents" avec la crise, la gifle évitée de justesse, et cet homme qui l'attrape au poignet en disant : "Tu vas bouger ton cul et aller chercher le directeur ou je te casse ta gueule de salope". Ses anciens collègues tempèrent : "On n'est pas tous les jours en train d'appeler les pompiers ou la police. Si on ne prend pas les gens de haut, cela se passe bien".
Ce jeudi, par exemple, les gens font la queue en silence. Rien à signaler. Mais un "pétage de plomb" reste possible. Il y a quelques semaines, nous glisse-t-on, un homme voulait en coller une à l'agent d’accueil, il a fallu appeler la police. Un autre chômeur se tapait la tête contre les murs. Et chaque conseiller a toujours une petite icône qui s'affiche discrètement sur son écran, "l'alarme silencieuse" décrite par Marion. Il suffit de cliquer dessus pour alerter les collègues en cas de problème.
"Les conflits sont moins fréquents depuis le déménagement", constate une conseillère. Car c'est l'un des grands changements depuis le CDD de Marion. Pôle Emploi n'est plus écartelé entre deux sites. Fini la "lumière jaune", les "locaux moches et sales", les conseillers sans bureau fixe, obligés de balader leur "chien", ce casier à roulettes où l'on entassait tous ses dossiers. Depuis fin avril, les anciens ANPE (placement) et les ex Assedic (indemnisation) sont tous regroupés dans des locaux flambant neufs. Parquet sombre, murs blancs, box attitrés, site "équipé d'un détecteur de faux papiers". La modernité. Ce qui n'empêche pas, ce jour-là, d'avoir plus de la moitié des ordinateurs publics en panne.
Impossible de tenir les objectifs
Par ailleurs, la surcharge de travail reste la même. "L'objectif, c'était 60 demandeurs par conseiller, on en est loin !" reconnaît la directrice. L'agent, qui se prénomme Samia dans le bouquin, en dénombre bien plus : "J'ai regardé lundi, j'ai failli tomber par terre. J'ai 257 chômeurs actifs et je suis à temps partiel !" Ses collègues citent des chiffres comparables. Même une jeune CDD, qui n'est là que depuis trois mois et demi, en compte 197.
Dans ces conditions, impossible de tenir les objectifs. D’assurer le "suivi mensuel personnalisé" de chaque chômeur. Les plus autonomes sont contactés par téléphone ou par mail. D'autres renvoyés vers des prestataires privés. "On ne reçoit pas les gens comme on le voudrait", soupire un conseiller. "Le nouveau mot d'ordre, c'est d'aller chercher des offres, de visiter les entreprises. Mais on n'a pas le temps", regrette une autre.
Sans compter qu'il faut aussi aider, à tour de rôle, le standard téléphonique du 3949, le numéro national destiné aux chômeurs. Ce jeudi, une ex-conseillère ANPE se charge des appels. Pour les questions d'allocation, elle n'a pas la réponse : "Monsieur, vous êtes sur la file placement. Je vous rebascule sur le serveur, et vous dites ‘information‘". C’est une des conséquences de la fusion Anpe-Assedic que Marion Bergeron épingle dans son livre.
"Les formations se font au fur et à mesure, plaide la directrice. La fusion simplifie les démarches du demandeur. Mais tout ne peut pas se faire en un an et demi." En attendant, chacun fait donc de son mieux. Plusieurs employés ont participé à la grève nationale du 9 novembre pour dénoncer leurs conditions de travail. L'un parle de ses insomnies, l'autre de son arrêt maladie suite au "stress, au surmenage et à la fatigue". Un troisième évoque la tentative de suicide d'un membre de l'agence. "J'aime mon métier, confie un conseiller. Mais est-ce que je vais tenir le coup ? C'est une autre question."
(Source : Le JDD)
Marion Bergeron était samedi chez Laurent Ruquier :
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