On reproche aux allocataires du RSA de vivre aux dépens de la collectivité et on les soupçonne — pardon, on les accuse — de ne faire aucun effort pour se "réinsérer".
Faut-il rappeler que ces personnes survivent avec 400 € par mois, ce qui est en soi un exploit et une occupation à temps plein ? Faut-il rappeler que nombre d'entre elles doivent, en outre, résoudre des difficultés de logement ou de garde d'enfant, quand elles n'ont pas de gros problèmes de santé ?
Faut-il rappeler que la plupart de ces personnes, avant de sombrer dans la misère et le déshonneur, étaient "insérées" dans la société jusqu'à ce qu'un accident de la vie — plus généralement, une perte d'emploi liée aux aléas de la conjoncture… — ne les désinsère et les isole durablement ? Faut-il rappeler que la grande majorité d'entre elles ne souhaite que travailler, avoir un emploi digne de ce nom qui leur permette enfin de sortir définitivement de l'«assistanat» ?
Tandis que, pour des millions de Français, les emplois manquent, une poignée les cumule sans les honorer.
En pleine fronde anti-RSA, nous devons remercier Le Canard Enchaîné qui dévoile l'affaire, ainsi que Vincent Berger, le président de l'université Paris-Diderot qui convoque ce matin l'ex ministre de l'Education nationale, arrière-petit-neveu du fondateur de l'«école gratuite, laïque et obligatoire» et "moraliste" Luc Ferry, censé prodiguer 192 heures de cours de philosophie depuis la rentrée 2010 contre un salaire mensuel de 4.500 € nets, et qui n'a toujours pas mis les pieds sur le campus.
A l'heure où l'on tape sur les fonctionnaires (qui se la coulent douce et coûtent trop cher) et où des vacataires font la queue à Pôle Emploi, voici un enseignant-chercheur statutaire qui jongle avec les mises à disposition en fonction de ses divers mandats, perçoit un généreux traitement tout en étant déchargé de ses fonctions. Non pas victime de la crise mais de la loi d'autonomie des universités votée par son propre camp politique, le voici obligé de rendre des comptes.
Que voulez-vous, Luc Ferry a trop de travail ! Ecrivain prolixe, il est par ailleurs :
• président du Conseil d'analyse de la société depuis sa création en 2004 et perçoit à ce titre une "allocation de fonction" mensuelle de 1.700 € (véritable salaire de rêve pour nombre de chercheurs d'emploi et de travailleurs acculés au Smic…)
• membre du Comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, ou comité Balladur, depuis sa mise en place en 2007 par Nicolas Sarkozy (montant de la rétribution inconnu)
• membre du Comité consultatif national d'éthique depuis 2009, encore nommé par… Nicolas Sarkozy (montant de la rétribution inconnu).
Aux dernières nouvelles, il s'agirait d'un «pépin administratif» : la mise à disposition de Luc Ferry auprès du CAS, obsolète depuis septembre 2010, devait bien être renouvelée. En attendant, l'université Paris-Diderot ne peut plus justifier cette décharge non compensée, et c'est au CAS ou à l'Etat de continuer à verser les 4.500 € mensuels de M. Ferry en plus de ses "allocations de fonction" : ça reste de l'argent public, et l'on constate une fois de plus que la "sécurisation des parcours professionnels" réservée au gratin du pouvoir est sacrément béton tandis que celle du citoyen lambda est inexistante...
Nouvelle preuve que le «travailler plus pour gagner plus», même réservé à une élite cooptée, à ses limites ? Voyez Christine Lagarde, candidate à la direction du FMI. Faut-il rappeler qu'elle est élue du 12e arrondissement de Paris et qu'à ce titre elle perçoit, en plus de son traitement de ministre des Finances (14.000 €/mois), une indemnité mensuelle de 4.000 € ? Comme le précise le premier-adjoint à la mairie, c'est le premier mandat électif qu'elle a l'occasion d'exercer durant sa brillante carrière. Mais Madame la Marquise est, elle aussi, complètement overbookée : depuis son élection en mars 2008, elle ne s'est pas présentée une seule fois au Conseil d'arrondissement et n'a fait acte de présence que quelques heures au Conseil de Paris, raflant la palme de l'absentéisme.
Que faut-il en conclure ? Que Luc Ferry ou Christine Lagarde (qui ne sont pas des cas isolés) ont bien de la chance d'avoir du boulot par dessus la tête — de surcroît, de prestigieuses "tâches d'intérêt général" à accomplir — et que la collectivité reconnaissante les récompense d'autant. Ainsi, même pour un emploi fictif, perçoivent-ils en un mois ce que l'allocataire du RSA — jeté au rebut — touche en une année.
SH
Post-scriptum : Luc Ferry a été "auditionné" à Matignon pour se justifier sur cette affaire : quelle rigolade !
Remarquez comme tout cela n'est que façade, puisque Matignon et l'Elysée sont complices de cette énormité. Jusqu'à présent, l'université de Paris-Diderot continuait à verser le salaire de Luc Ferry (puisqu'il bénéficiait d'une "décharge de service d'enseignement", sous forme d'arrêté ministériel, pour ses diverses autres activités "au service de l'Etat"), quand bien même il n'y mettait plus les pieds… depuis 1996 ! Sauf qu'avec la nouvelle loi sur l'autonomie des universités, le président de Paris-Diderot n'est plus "couvert" pour verser un salaire à son professeur fantôme, car cela relève désormais de l'emploi fictif.
En réalité, cette petite "réunion entre amis" à Matignon a consisté à définir qui allait continuer à verser les 54.000 € annuels de M. Ferry à titre d'indemnité pour ses activités parallèles dans des comités obscurs. Quoiqu'il arrive ça restera l'Etat, donc les deniers publics.
Best of Luc Ferry, un grand philosophe français :
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Commentaires
4.500 € x 10 = 45.000 €
45.000 € : 192 heures = 234 €/heure
Admettons qu'il faille 2 heures pour préparer une heure de cours (en étant très large, vu qu'il ne fait pas de corrections de copies), ça fait encore une rémunération de 78 € de l'heure.
Tout le monde n'a pas les compétences d'un Luc Ferry : les bonnes planques, ça se mérite ! Répondre | Répondre avec citation |
Reste à savoir si il fait vraiment de la recherche, encadre des doctorants, participe à la vie de son laboratoire… Ça on peut en douter. Répondre | Répondre avec citation |
D'ordinaire, de ce que je vois en tout cas, un chercheur fait largement ses heures et même bien plus mais comme partout (et particulièremen t chez les fonctionnaires…), il y a des «resquilleurs» ! Répondre | Répondre avec citation |
Bref, dans tous les cas, on est perdant ! Répondre | Répondre avec citation |
Brisons le tabou qui nous interdit de constater cette évidence. Répondre | Répondre avec citation |
Mais vous remarquerez quand même que la situation de Luc Ferry est ainsi depuis déjà un bon moment. Alors pourquoi le Canard Enchîané lui tire-t'il dessus maintenant ? Ce fait est en fait connu ! Mais comme par hasard, cet article sort très peu de temps après les déclarations de Luc Ferry sur un ministre pédophile qui a bénéficié de protections très efficaces. Vous ne trouvez pas la coïncidence curieuse ? Répondre | Répondre avec citation |
Luc Ferry s'est fait remarquer alors l'occasion est bonne d'allumer le donneur de leçon ( de philo) pour lui rappeler que la réalité existe, point de hasard dans tous ça ! Répondre | Répondre avec citation |
Sinon, pour l'instant, le chômage mène vraiment au STO…
Et je doute que l'argent disparaisse. L'argent est utile : il doit redevenir un MOYEN, et non une fin.
SH Répondre | Répondre avec citation |
Héhé! au boulot, les fouineurs, doit yen avoir plein d'autres. Répondre | Répondre avec citation |
«Que voulez-vous, Luc Ferry a trop de travail ! Ecrivain prolixe, il est par ailleurs »
Écrivain prolixe car je pense que ses écrits sont la partie recherche de son travail. Cela n'excuse en rien le fait qu'il snobbe l'aspect enseignement. Chose qu'il n'est pas rare de voir d'ailleurs dans l'enseignement universitaire. Répondre | Répondre avec citation |
Ferait mieux de prendre la navette, ce Ferry … Répondre | Répondre avec citation |
de tous ces crétins avec chauffeur, logement de fonction et emploi fictif ! Répondre | Répondre avec citation |
www.europe1.fr/Politique/Ferry-la-fac-remboursee-par-Matignon-582365/
Tout va très bien, Madame la Marquise ! Répondre | Répondre avec citation |
Voici une petite liste des membres du CAS (cette bien étrange institution qui occupe 106 m2 de bureaux dans le VIIe arrondissement de Paris), des fonctionnaires ou universitaires eux aussi «mis à disposition» par leurs administrations respectives, qui continuent à les rémunérer :
www.rue89.com/2011/06/13/ferry-un-emploi-pas-fictif-surtout-pour-ses-amis-209178
Comme Luc Ferry, ils bénéficient, en plus de leur traitement, d'un "supplément" au titre de leurs fonctions au CAS, une indemnité mensuelle comprise entre 1.000 et 1.200 euros par mois. Répondre | Répondre avec citation |
Dans une interview au Parisien, le "philosophe" prétend que le conseil qu'il préside, et pour lequel il est détaché de l'Enseignement supérieur, serait l'héritier du prestigieux commissariat général du Plan. Or, il confond son CAS (Conseil d’analyse de la société), créé en 2004, avec le Conseil d’analyse stratégique, qui a — fort mal — remplacé par le Commissariat au Plan… depuis 2006 !
www.marianne2.fr/hervenathan/Quand-Luc-Ferry-usurpe-l-heritage-du-Plan_a115.html
Au passage, on s'aperçoit que ce «machin» n'a rendu que sept rapports 100% convenus, plus ou moins utiles et bâclés (un par an). Quant à son site, il est mal tenu et truffé de fautes d’orthographe. Répondre | Répondre avec citation |