Retour sur une notion sujette à des amalgames volontairement entretenus par le gouvernement.
L’enquête ACEMO ("Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre" : enquête trimestrielle réalisée par la DARES visant à mesurer l’évolution conjoncturelle de l’emploi salarié en termes de rémunération et de durée hebdomadaire de travail dans le secteur concurrentiel hors agriculture, menée auprès d'environ 34.000 établissements de 10 salariés ou plus en France métropolitaine) est mobilisée pour alimenter l’enquête européenne de mesure des «emplois vacants» ou «jobs vacancy» menée par Eurostat. Or, dans la définition d’Eurostat, un «emploi vacant» est un poste libre ou encore occupé pour lequel l’employeur entreprend des démarches actives de recherche de candidats.
Si la notion d’«emplois vacants» — qu’on assimile à tort aux «offres d’emploi non pourvues» — est présentée comme le pendant du chômeur dont les démarches actives de recherche sont précisément définies et exigées, il n’en est rien pour les employeurs qui auraient des postes à proposer... Puisque la notion d’«emplois vacants» selon Eurostat relève des démarches actives des employeurs dans leur recherche de candidats afin de les pourvoir, en toute logique, elle ne peut être rapprochée d’un refus des chômeurs de travailler.
Ne pas confondre «emploi vacant» et échec de recrutement
Car un emploi vacant à un instant t illustre le fait qu’une offre d’emploi est émise par une entreprise sans être immédiatement pourvue. La notion d’«emploi vacant» ne dit donc rien du résultat final de la recherche entreprise par l’établissement. Si, à l’issue du processus qui peut être long, l’entreprise ne trouve aucun candidat, elle pourra considérer qu’elle fait face à un échec de recrutement et que son offre est, effectivement, non pourvue. Mais au moment où l’offre est émise, la notion d’«emploi vacant» ne fait qu’illustrer le mode normal de fonctionnement du marché du travail où offreurs et demandeurs ne se rencontrent pas instantanément. Et sur ce point notre pays n’a pas à rougir : sur la base ACEMO du troisième trimestre 2010, la France a un taux d’emploi vacant de 0,4%, très inférieur à la moyenne européenne (1,5% pour l’UE27)...
L’exemple des offres déposées à Pôle Emploi
Une autre manière d’appréhender la question des emplois vacants — au sens de postes à pourvoir — est de regarder les offres qui transitent par Pôle Emploi, principal intermédiaire mobilisé pour la recherche active de candidats. D’ailleurs, la plupart des chiffres sur lesquels s’appuie la communication gouvernementale portent sur cette source, même si celle-ci peut donner lieu à différents chiffrages et interprétations.
Le collectif ACDC (qui regroupe notamment des statisticiens) a procédé à différents modes de calcul qu'ils dévoileront dans leur prochaine analyse critique trimestrielle. Selon les méthodes utilisées, ils trouvent pour l’année 2010 une fourchette large d’emplois vacants oscillant entre 128.000 et près de 450.000. C’est ainsi que le gouvernement rapproche ces emplois vacants — fallacieusement convertis en offres d’emploi non satisfaites — à des chômeurs disponibles, laissant supposer que ces derniers refusent de travailler.
Pourtant, si l’on regarde les offres d’emploi non satisfaites par Pôle Emploi, que peut-on en déduire ? Pas grand-chose. Quand une entreprise a besoin de recruter, elle peut activer plusieurs canaux, qu’ils soient formels (comme le recours à un intermédiaire tel que Pôle Emploi, la diffusion d’une offre dans la presse) ou informels (comme le recours à des candidatures spontanées ou a des relations professionnelles). En moyenne, une entreprise active trois canaux de recrutement, ce qui veut dire que si elle décide par exemple de déposer une offre à Pôle Emploi, elle peut dans le même temps mobiliser son réseau de relations. Les offres qualifiées de «non satisfaites» par Pôle Emploi ne veulent donc pas forcément dire que l’entreprise n’a pas trouvé de candidat pour le poste à pourvoir. Il se peut tout simplement qu’elle ait trouvé un candidat par l’usage des autres canaux de recrutement utilisés, ou encore qu’elle a renoncé à embaucher quelqu’un sur le poste envisagé sans pour autant retirer son offre auprès de l’opérateur. Et le système d’information de Pôle Emploi ne permet pas de renseigner les raisons de la non satisfaction de l’offre.
Offres bidons, offres en doublon
De même, une offre déposée ne correspond pas forcément à un poste vacant. Il arrive que Pôle Emploi publie à son insu ou accepte de publier des offres de complaisance où il n’y a aucunement intention de recruter : afficher des besoins en personnel à l’occasion, par exemple, d’un Forum pour l’Emploi, peut aussi être un moyen d’afficher la bonne santé de l’entreprise ou de se constituer un réservoir de CV. Or, ceci est illégal !
La pression des objectifs à atteindre en matière de collecte a aussi des effets sur le nombre et la nature des offres recueillies par Pôle Emploi. Dans certains secteurs d'activité, la prolifération des offres est synonyme d’un turn-over élevé lié à la mauvaise qualité des emplois proposés. Or, la pression hiérarchique exige de ne pas faire la fine bouche devant ces offres en nombre qui ne trouvent pas preneurs : quand elles sont un peu trop datées, elles doivent être annulées, mais la direction de Pôle Emploi exige qu’elles soient aussitôt recréées.
Il existe aussi des offres d’emplois qui n'en sont pas, comme des propositions d’auto-entreprenariat. Enfin, certaines offres restent en ligne alors que l’emploi n’existe plus (par exemple pour cause d’intempéries, notamment dans le bâtiment et l’agriculture).
Enfin, les sociétés d’intérim déposent également à Pôle Emploi leurs offres pour des postes difficiles à pourvoir : même si elles doivent annoncer pour quelle entreprise elles recrutent, l’offre pourra très bien paraître en doublon.
Bref : entre offre d’emploi et emploi vacant, il y a un fossé !
Plus de détails à venir sur cette imposture avec la prochaine note critique d’ACDC, début juin.
SH