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Chasse à courre

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Voici un livre où il n’est pas question des chômeurs puisque le narrateur ne s’intéresse qu’à ceux qui sont en place, et en bonne place. C’est un «chasseur de tête», profession dont l’intitulé politiquement correct nous est donné au détour d’une page : consultant en recrutement de cadres dirigeants.

On peut lire «ressources humaines» sur le bandeau rouge qui orne la couverture de l'édition d'origine. On ne sait si cette fameuse expression est censée nous intéresser, nous attirer ou nous révulser. Sans doute l’éditeur a-t-il voulu ainsi toucher tout le monde : défenseurs, pourfendeurs, professionnels et même exclus de ces mêmes ressources humaines.

Le monde que nous connaissons, celui de l’ANPE ou de l’APEC, apparaît ici en creux, il représente ceux auxquels il n’est plus question de s’intéresser puisqu’ils ont cessé d’exister sur le marché du travail.

Le narrateur est un jeune homme fuyant un milieu familial qu’il juge indigne, à la fois pour son esprit et pour son train de vie. Il fait des études et devient vite banquier d’affaires à Londres. Il rencontre Sonia, «chasseuse» de jeunes têtes, qui va l’entraîner à sa suite dans cette profession. Il candidate alors chez Profiles Associated, réussit, se voit confier des «missions», se promène beaucoup entre Londres, New York et Paris, gagne le cœur de Sonia, le perd quelques temps, se sent un peu coupable de la mort douteusement accidentelle d’un candidat, se donne un peu de mal pour retrouver Sonia, devient «partenaire» à moins de trente ans, et laisse finalement s’échapper Sonia parce que, conclut–il à la dernière page, «lorsque le célibat finira par obstruer ma carrière, je laisserai une femme s’installer dans ma vie.»

L’auteur nous conte ainsi cette histoire dans un style qui ne s’encombre de rien, et laisse filer son narrateur qui déroule devant nous sa carrière sentimentale et professionnelle, comme dans le rêve du tapis roulant où plus l’on allonge la foulée et plus l’on fait du sur-place. Ce Frédéric va rester à la place qu’il a vite conquise, et ses rapports humains resteront dans l’état vaguement utilitariste des «ressources humaines».

Sa matière première, c’est donc la ressource humaine. Mais comment construit-on des relations avec un matériau ? Et justement, des relations autres que matérielles ? Ces questions artisanales ou artistiques ne taraudent pas Frédéric. Le charnel ou le spirituel sont dans ce livre, de l’autre monde, celui où sont aussi rangés les salariés subalternes, les chômeurs et les exclus.

Mais l’intérêt du récit, c’est justement l’intrication entre la vie amoureuse et professionnelle. Entretiens d’embauches, déjeuners d’affaires et dîners d’amoureux se succèdent et se dévident comme une pelote sans fin. Et ce fil que chacun tire, il s’avère que personne ne s’accroche à l’autre bout. Lorsque chacun aura amassé sa petite laine sécuritaire, l’échec de toute construction sentimentale sera patent.

Profiles est évidemment le nom de la société où va travailler Frédéric. Il convient assez bien à notre monde où l’on ne passe jamais de biais devant une glace sans y jeter un œil inquisiteur autant qu’inquiet. On va alors assister à des tours de manège où il suffit d’avoir un profil.
On paye fort cher Frédéric pour qu’il soustraie des personnes de leur emploi et les place à des postes soi-disant plus intéressants. Mais pour qui ? Ce jeu de chaises musicales, orchestré dans un monde violemment clos et feutré, se déroule entre gens qui se persuadent, à longueurs d’entretiens, de leur bon profil. En effet, que serait-on dans ce monde sans son profil ? Que devient-on aujourd’hui, dans nos recherches d’emploi et d’amour, lorsqu’on ne présente pas le bon ? Rien. On regagne l’autre monde.
Mais celui où nous entraîne ce roman est parfaitement résumé dans une formule que Frédéric ressert machinalement à la fin de l’entretien aux «têtes» qu’il reçoit : «Je fais le tour du marché, et je reviens vers vous !». Cette désopilante formule contient à elle seule tous les monstrueux manèges de notre société. Mais sa charge comique est à peine soulignée puisque personne ne sait plus de quel «marché» on parle, dans un univers où l’on préfère «faire le tour» de tout sujet – comme de toute personne – plutôt que de l’affronter avec sincérité autant qu’humilité. Ainsi Frédéric tourne autour de Sonia et du métier dans lequel elle peut l’introduire puis, ayant obtenu l’un et l’autre, il continue finalement de tourner, c’est à dire de jouer du profil là où il faudrait enfin se montrer de face.

Et ce monde qui tourne ainsi révèle en creux celui, inexistant à leurs yeux, des exclus. Dans celui-ci se joue à peu près la même comédie : le chômeur tourne lui aussi dans des circuits de plus en plus confinés et nauséeux où on lui propose, comme s’il s’agissait de la terre promise, des stages de relooking et de redynamisation...

Hervé DAUPHIN

Clémence BOULOUQUE, Chasse à courre - Gallimard/Folio (2005) - 6,50 €
Mis à jour ( Jeudi, 06 Août 2009 14:51 )  

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