L’Oncle Bernard de la page éco de Charlie-Hebdo, c’est lui ! Derrière le chroniqueur & écrivain à la plume aussi drôle qu’acérée, surgit le vénérable professeur d’Université qui enseigna en France et aux Etats-Unis.
Cet ouvrage, présenté et illustré comme un véritable manuel scolaire, est un savoureux clin d’oeil à son métier originel. Le sommaire, les introductions et le découpage des chapitres fleurent bon le lycée. Les extraits de textes choisis à la fin de chaque “leçon” qui incitent à la détente en complétant le message, les intertitres de la même couleur que le petit bonhomme de l’en-tête, le choix des images : tout est un régal au second degré.
Et si visuellement c’est une réussite, le contenu, lui aussi, vaut largement le détour ! Professeur Maris nous déballe tout sur l’économie : Qu’est-ce que la monnaie, l’inflation, la bourse, les stock-options, le marché, la concurrence, la croissance, le libre-échange, la mondialisation, etc etc...? Et que prônent les diverses théories économiques ? Rien ne nous est épargné. Il y a même certains passages où il faut un peu s’accrocher. Mais le cours reste agréable, clair et très complet, animé par l’humour et le parti pris de l’auteur.
Car c'est vite et magistralement il nous dit ce qu’il en pense :
- à ses yeux, l’économie n’est pas une science, et il n’y a pas de "lois" économiques
- le fameux prix Nobel n’est qu’un prix offert par la Banque de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel et non un vrai prix, décerné par une Fondation Nobel
- le jargon économique est volontairement obscur et s’exhibe comme la preuve d’une supériorité sociale car les économistes, comme par hasard, traînent toujours dans les jupes du pouvoir et sont donc amenés à mentir (quand ils ne se sont pas trompés...)
- la concurrence uniformise et tire la société vers le bas : démonstrations à l’appui.
Et son “anti-manuel” de devenir un outil de démystification, au service du bon sens.
Ce qui intéresse Bernard Maris, c’est l’économie concrète : de l’histoire, et des faits. Il consacre donc au milieu de son livre tout un chapitre à l’affaire Enron, un vrai cas d’école ! Ainsi, on redouble de motivation à la lecture.
Saviez-vous que ce qu’on appelle “la loi de la jungle”, tribale justification du darwinisme social, est dans la nature le contraire de ce que l’homme prétend ? La loi de la jungle est un magnifique équilibre qui favorise le polymorphisme, donc varie les aptitudes, les activités, les besoins et les comportements, donc diminue la concurrence, assurant une place à chacun au-delà du “struggle for life”.
Et ce qui nous distingue des animaux, c’est l’altruisme : l’humanité est la seule espèce à protéger ses faibles. C’est par altruisme plus que par compétition que l’humanité a survécu et progressé.
Pages 116 à 118, Bernard Maris nous soumet le convaincant “dilemne du prisonnier” afin de démontrer qu’à se la jouer perso sans croire en la collectivité, non seulement on ne gagne pas à tous les coups, mais tout le monde est perdant. Jouer la carte collective rapporte au plus grand nombre en évitant le gaspillage.
N’oublions pas que le mot “économie” vient du grec “oikos nomos” : de la gestion de la maison, d’où la ménagère, le "manager", et le "bon mesnager" qu’était Sully... L’économie, c’est avant tout le partage de la richesse - qui regarde le gâteau, qui tient le couteau ? - et la question du partage est liée à celle de la rareté : sans elle, il n’y a pas de problème économique.
Sophie HANCART
Bernard MARIS, L'Antimanuel d'économie - Ed. Bréal (2003) - 21 €
Après les fourmis, les cigales : le Tome 2 de L'Antimanuel d'économie est paru en 2006.
Lire une interview pétillante de son auteur ici...