De la même façon qu'il s'est attaqué aux années Thatcher dans son cinglant Testament à l'anglaise (que je vous recommande chaudement), Le Cercle Fermé est la suite de Bienvenue au club : des années 1970 à l'aube du XXIe siècle, ces deux romans de Jonathan Coe confrontent les mêmes personnages à des contextes différents...
Certes, ils ne sont ni issus de la classe ouvrière ni victimes du chômage, ils seraient même plutôt privilégiés mais, en trente ans d'intervalle, les faiblesses des uns et la lucidité des autres sont révélatrices.
Jonathan COE, né en 1961 à Birmingham, observe l'évolution de son pays passé désormais sous la houlette des «néotravaillistes» et de Tony Blair. Et il n'est pas tendre. Pour les opposants au «modèle britannique» et à la «mondialisation libérale» en général, son état des lieux est un vrai régal de causticité !
L'aspect économique et politique est abordé sur fond de licenciements massifs au nom de la «main invisible» du marché (avec ses «tueurs en série» d'entreprises, des individus sans conscience ni scrupules dont on indemnise grassement le départ) : "Il s'agit de quelque chose de bien plus fort que l'océan, de bien plus primitif. Le marché. Qui peut être aussi destructeur. Tu crois au marché, non ? Vous y croyez, toi et ton parti ? Alors il faut être honnête avec les gens. Il faut leur faire comprendre que parfois le marché engloutit les hommes et rejette leurs cadavres sur la plage et que tu n'y peux rien, que personne n'y peut rien. Ne les encourage pas à croire qu'ils peuvent avoir le beurre et l'argent du beurre", explique Rolf, un vieux briscard qui siège au Conseil d'administration d'une grosse multinationale allemande sur le point de détruire 50.000 emplois en Angleterre pour des raisons de rentabilité.
Puis arrive le 11 septembre 2001 et la guerre en Irak, avec le retour du racisme larvé et du terrorisme. L'auteur ne se prive pas de décrire combien la majorité des Anglais s'est sentie trahie et bafouée lorsque son gouvernement s'est engagé auprès de G.W. Bush.
C'est une tranche de l'histoire anglaise qui nous est rappelée de façon vivante, agrémentée de son aspect psychologique et comportemental à travers des protagonistes que l'on suit avec intérêt. Ils s'interrogent sur l'agressivité galopante des automobilistes, le prix exorbitant d'une course en taxi, d'un café au Starbucks ou d'un vulgaire sandwich, la médiatisation de stars préfabriquées et médiocres encensées par les médias. Même le Sun et sa page pin-up n'y échappe pas : "Dire qu'autrefois c'était un journal socialiste. Jusqu'à ce que Murdoch mette la main dessus. Regarde-moi ça. C'est une honte. Du porno-soft et… des cancans."
Quant au «néo-travaillisme» et à la politique en Grande-Bretagne, les opportunités personnelles l'emportent largement sur les convictions et la dignité. Le système "n'est conçu que pour une frange très étroite d'opinions politiques. La gauche a largement glissé vers la droite, la droite a fait un tout petit pas vers la gauche, le cercle s'est refermé et les autres n'ont qu'à aller se faire foutre", explique Doug le journaliste à son ancien ami Paul, devenu «une étoile montante» du parti de Tony Blair, opportuniste, dragueur et sapé mode, qui lui répond : "Il suffit d'entendre les mots que tu emploies pour comprendre que tu es prisonnier du passé." Ça ne vous rappelle rien ?
N'oublions pas que la Grande-Bretagne est l'antichambre de la France, et de l'Europe entière.
Surtout, c'est le rôle des hommes que Jonathan COE pointe du doigt. Il estime que le libéralisme est le terrain de jeu de leurs aspirations primaires : ils font subir aux femmes (et aux enfants) leur lâcheté, leur égoïsme et leur absence de loyauté sous couvert de pulsions sexuelles et de compétitivité. Bien peu d'amour et d'intelligence derrière tout cela... Beaucoup de cruauté et d'injustices qui ne contribuent décidément pas au progrès de nos sociétés occidentales que l'ont dit «évoluées».
Sophie HANCART
Jonathan COE, Le cercle fermé - Gallimard/Folio (2006) - 8 €