Mi-fable mi-pamphlet, voici une brillante "docu-fiction" qui zoome sur le chômage de ce début de siècle, période ô combien néfaste pour l'emploi et dont beaucoup d'entre nous font les frais.
Pour illustrer au fur et à mesure ses observations extrêmement pertinentes, l'auteur a choisi d'encadrer son récit par les tribulations de son anti-héros Franck Valberg dans l'engrenage prud'homal, de son entretien d'embauche avec l'employeur qui va l'arnaquer jusqu'à sa victoire finale, certes dérisoire... cinq ans après. Entre temps, il va expérimenter le chômage de masse sous sa forme la plus atypique.
Diplômé Sup’ de Co devenu consultant, à trente-cinq ans, Franck Valberg est un "intello précaire" qui effectue des missions ponctuelles en CDD pour des entreprises de conseil installées dans les quartiers chics de Paris, friantes de slogans issus du marketing et de la pub, maniant la métaphore volontariste et le novlangue en franglais. Travailleur indépendant dans un monde où il faut en jeter, ce jeune bourgeois-bohème est "actionnaire de sa propre existence". Il dispose, d'ailleurs, d'un pécule judicieusement placé qui va lui rapporter plus de six fois sa mise en quelques années grâce à "l’exubérance irrationnelle des marchés financiers"... Clin d'œil qui installe d'emblée une fine réflexion sur la "valeur travail" à l'heure de la spéculation triomphante.
Sublime aberration que ce chômeur bac + 5 muni de SICAV, produit d'un système à la logique kafkaïenne que l'auteur, avec moult talent et efficacité, va s'employer à nous décortiquer.
Franck Valberg est un jeune homme cultivé, au regard caustique et drôle qui, après avoir goûté au culte de la performance, expérimente "l’assistanat", ses méandres et ses contradictions. Il n'est pas là pour en souffrir mais pour l'observer. C'est donc un régal de le suivre à la CAF demander le RMI (car il est trop précaire pour les Assedic), puis en entretien à l'ANPE ou avec la psy chargée d'évaluer son OEI (objectif emploi individuel). Finalement, vus sous cet angle, le jargon codé - ASS, DTR, APL, STIF, CMU, PAP, EMT, OPI, ECCP… -, les "charlataneries" et autres "emplois parasites" issus du traitement social du chômage nous font hurler de rire. Sauf qu'ils coûtent une fortune pour un résultat médiocre. Il est désopilant de le suivre chez ses amis qui bossent, des cadres supérieurs stressés, "socialement intégrés, issus pour la plupart de milieux favorisés", faussement contestataires qui "se posent désormais en victimes d'un système dont ils sont au quotidien les serviteurs zélés".
Franck Valberg ironise autant qu'il analyse. De la logique marchande qui gangrène tout à la croissance sans emplois (jobless recovery), du poids du chômage qui pèse sur la collectivité et fait pression sur les salariés, de la stupide logique travailliste à une vraie réflexion sur le travail lui-même, l'auteur ouvre le débat sur des alternatives de "renoncement à la position centrale du travail dans la conscience et l'imaginaire de tous" en explorant quelques pistes à la fois philosophiques et économiques, au-delà de toute hypocrisie moralisatrice. Il rappelle qu'avec le machinisme, l'avènement de la norme de "l'emploi stable à vie" est aussi à l'origine du chômage au début du XXe siècle. Il plaide pour le "gai travail" et pour de nouvelles formes de socialité qui redonnent du sens et de la dignité à l'existence humaine. sexpromo.ch sex in zurich
C'est court (trop court, on en redemande), c'est drôle, et très instructif. C'est à la fois un bilan précieux des événements sociaux de ces cinq dernières années, et un pas vers l'avenir.
Sophie HANCART
Guy TOURNAYE, Radiation - Gallimard/NRF (2007) - 12 €
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