Tous les ans, à l’approche des fêtes, nous autres, précaires et militants d’AC!, assistons à un phénomène rituel qui ne cesse de nous surprendre malgré sa régularité : nous sommes assaillis de coups de fils, de mails, et notre site connaît des pics de fréquentation incroyables [1].
Une seule préoccupation semble brusquement agiter le monde des chômeurs :
La prime de Noël va-t-elle tomber, quel sera son montant, quand exactement sera-t-elle versée ? Y ai-je droit ?
Cette année, très franchement, après l’élection d’un président qui n’a eu de cesse de taper sur les demandeurs d’emploi, qui a promis de réduire à la misère la plus noire tous ceux qui ne se soumettront pas à un contrôle de plus en plus serré, nous ne pensions pas que le phénomène se reproduirait.
Et bien si. L’AER va bientôt disparaître, la plupart d’entre nous est contrainte de participer à des stages non payés, la majorité des misérables contrats aidés risque de ne pas être renouvelée, les radiations explosent, les contrôles de la CAF soumettent de manière massive les allocataires à d’inacceptables intrusions dans leur vie privée, le RSA va condamner les RMIstes à aller bosser pour quelques dizaines d’euros de plus que leur allocation.
De très bonnes raisons pour contacter AC! ou un autre collectif.
Pour se demander ce qu’on peut faire, ENSEMBLE, pour RÉSISTER.
Mais, manifestement, la seule préoccupation commune des 5 millions de précaires recensés, c’est cette fameuse prime de 152 €. Comme d’habitude, ceux qui y ont droit voudraient en être sûrs, et ceux qui en sont exclus prennent AC! pour une annexe du Ministère en récriminant à longueur de forums sur l’injustice qui leur est faite.
Mais au fait, ce «droit», d’où vient-il ?
Certainement pas de la compassion d’un quelconque gouvernement qui aurait brusquement réalisé qu’avec les minima sociaux, on n’avait pas de quoi se payer une bonne dinde aux marrons...
Il y a dix ans, en 1997, lors d’un hiver très semblable à celui-ci, des dizaines de milliers d’entre nous décidaient d’en finir avec la stratégie du chacun pour soi et de la débrouille individuelle. En allocation Assedic, en ASS, au RMI, en chômage partiel, des chômeurs partout dans toute la France prirent du temps pour occuper ensemble des Assedic, des ANPE, des agences EDF, des DDTE. La plupart étaient des gens très ordinaires, qui n’avaient pas forcément un profil de militant professionnel.
Mais au lieu de penser à leurs problèmes de radiation, de trop perçu, de factures impayées comme une injustice individuelle, ils décidèrent d’en faire une revendication collective. Pendant ce mouvement beaucoup de problèmes individuels furent résolus par l’action de tous : des coupures furent empêchées, des expulsions aussi, des radiations également.
Face à cette colère collective, l’Unedic, les médias, l’ANPE, le gouvernement ne pouvaient plus se contenter d’incriminer la prétendue mauvaise volonté des chômeurs à trouver du boulot. Pour tenter d’apaiser le mouvement en cours, des fonds furent brusquement débloqués pour l’octroi de cette fameuse prime qui n’était pas encore «de Noël».
Cette année-là, elle était ouverte à tous, chômeurs indemnisés ou pas, allocataires ou non du RMI ou de l’ASS. Son montant était variable mais dépassait dans de nombreux cas les misérables 152 € qui nous sont désormais consentis. Par ailleurs, beaucoup de chômeurs et précaires passèrent cette année-là de très joyeuses fêtes dans les Assedic, dans les ANPE, dans les CAF ou d’autres administrations occupées, dans les immeubles vides ouverts par le mouvement. La mobilisation avait aussi permis de faire le siège de la grande distribution, des épiceries de luxe, contraintes de céder aux manifestants des victuailles plus appétissantes que la dinde des hard discounts.
C’était il y a dix ans. Et dans les dix années qui ont suivi, AC! et d’autres collectifs ont continué sur la lancée du mouvement, à promouvoir la solidarité, l’action collective pour résister à la précarisation imposée.
Puis la fameuse prime a été restreinte à certaines catégories de chômeurs [2], et évidemment n'a jamais été augmentée à la mesure de l’explosion du coût de la vie et des produits de première nécessité.
Avec le RSA de Martin Hirsch qui rabotte la PPE et les droits connexes, cette prime, elle aussi, risque de disparaître. C'est juste une question de temps. Combien se mobiliseront pour la défendre ?
Les précaires, eux, comme l’ensemble des pauvres, ont eu tendance à oublier leur formidable potentiel de transformation sociale. Dans leur esprit, dans le vôtre, AC! le plus souvent n’est pas un outil de lutte dont chacun doit s’emparer et que tous doivent faire vivre, mais une sorte de «SOS-galère» dont on se rappelle l’existence quand on a besoin d’un renseignement d’ordre juridique ou qu’on se retrouve dans une merde noire.
Pourtant, un acquis persiste : il existe toujours dans ce pays des lieux d’information et de résistance, les collectifs de chômeurs et précaires sont toujours là, çà et là des agences EDF, des Assedic et des ANPE sont envahies pour faire annuler une radiation, un trop perçu, obtenir un paiement qui tarde.
C’est beaucoup mais c’est évidemment bien peu au regard des enjeux, au regard de la difficulté à survivre que des millions d’entre nous connaissent, du seul fait de la destruction des droits qui nous est imposée.
Mais, comme il y a dix ans, l’issue ne dépend que de vous !
Elle dépend de ceux qui ne se contenteront pas de la reconduction de cette misérable prime, annoncée par Sarkozy, de ceux qui n’y auront pas droit. De tous ceux qui, pour l’instant, n’ont comme préoccupation commune que l’attribution éventuelle de 152 € supplémentaires mais qui peuvent choisir de s’en trouver bien d’autres.
Par exemple, organiser la résistance ensemble, et arrêter de croire au Père Noël ?
www.ac.eu.org
[1] À Actuchomage aussi, nous entendons ce stupéfiant cantique du «Moi, je… Moi, je…», véritable bureau des pleurs où la plupart des questionneurs ne se fendent même pas d'un simple merci une fois le renseignement obtenu.
[2] Cette «prime de Noël» n'est versée qu'aux titulaires du revenu minimum d’insertion (RMI), de l’allocation spécifique de solidarité (ASS), de l’allocation pour la création ou la reprise d’entreprise (ACCRE), de l’allocation d’insertion (AI), de la rémunération des stagiaires de la formation professionnelle (RPS) et de l’allocation équivalent retraite (AER), soit environ un million et demi de personnes.