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L’invitée : Françoise Bonne

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Nous connaissons Françoise depuis un moment. Nous savions qu'elle écrit merveilleusement bien, et qu'elle cherchait un éditeur pour témoigner sur les prestations de l'ANPE et tous ces dispositifs imbéciles qui tentent de remettre les chômeurs "dans le droit chemin" : la coupe est pleine ! Maintenant que son délicieux A.N.P.E. mon amour est publié aux éditions L'Harmattan, nous répondons à l'appel : la voici en guest-star sur Actuchomage !

Quand on vous dit que les chômeurs ont du talent...

Actuchomage : Françoise Bonne, qui êtes vous ?

Françoise BONNE : Dans quelques jours, je vais avoir 52 ans. J’opterai donc pour la version courte…
Mon parcours professionnel : à 20 ans, de légères études de droit vont me conduire à contacter un quotidien lyonnais pour proposer des comptes-rendus dans la rubrique judiciaire. Temps béni ! Sans recommandation aucune, je deviens pigiste, fréquente pendant cinq années le palais de justice de Lyon. Travail jamais déclaré par l’employeur qui sera sanctionné par un procès faisant de moi une jurisprudence vivante… ainsi qu’une chômeuse. J’obtiendrai de fortes indemnités et le statut de journaliste à part entière.
Après avoir été secrétaire juridique quelque temps, je débarque en Algérie et suis propulsée correctrice. J’ai l’immense joie de corriger les œuvres de Kim IlSung traduites dans notre langue. C’est ainsi que je suis une des rares Françaises à pouvoir se vanter d’avoir humé les orangers de la baie d’Alger depuis les jardins de l’ambassade de Corée du Nord ! Quant aux textes, notons juste qu’ils n’avaient pas les mêmes fragrances…
Retour en France. Je décroche un job de secrétaire médicale, puis je suis bombardée quelques mois institutrice remplaçante (amplement suffisant pour ce qui me concerne).
Et la trentaine est déjà là. Je cherche à reprendre des études afin de m’établir à mon compte, me tourne vers la graphologie. Installation en 1986 à Lyon pour pratiquer des analyses dans le cadre de recrutements.
Arrivent les années 90 et la crise économique. Mes clients mettent la clé sous la porte. Par ricochet, moi aussi. Cessation d’activité en 1993 : les ennuis commencent ! Embauchée au TNP (Théâtre National Populaire de Villeurbanne, NDLR) comme secrétaire de direction, je fais partie d’une charrette de licenciements économiques un an plus tard. Ah ! certains artistes ne comptent pas bien les deniers publics !
De 1994 à 1999, je reste sur le carreau. Je connais deux années de RMI : de 1997 à 1999. Pendant toute cette période, j’aurai droit à deux formations bidon qui mèneront à des stages en entreprise : par deux fois, je participerai au fonctionnement d’un petit théâtre comme chargée de communication. Promotion considérable : je dégote également un CES dans une structure chargée d’accompagner des artistes dans leur parcours.
Et à l’automne 1999, c’est l’éclaircie : un CDD à Vénissieux comme formatrice m’est offert. Enfin ! Voilà que cesse un état d’assistée contre lequel je m’insurge depuis cinq ans. J’enchaîne aussitôt avec un autre CDD renouvelé une fois comme chargée de mission à Saint-Fons.
En 2001, je déménage dans l’Ain pour occuper la maison de mes parents, histoire d’avoir un toit sûr.
2003 : parution de «J’aurais dû faire kung-fu en seconde langue»… Au fait, j’y pense, je n’ai jamais reçu le décompte de mon éditeur… Un oubli, sans doute…
En 2004, le salon du livre de Villefranche sur Saône m’accueille. J’écris des sketches et des spectacles. Certains sont publiés et/ou joués. C’est aussi l’année du stage que je raconte dans ce livre et qui va me permettre de poser ma colère, tourner la page et quitter pour toujours l’ANPE.

Mon parcours personnel ? Là, c’est la version longue… Donc, je vous l’épargne… Je résumerai en disant que j’adore faire la cuisine, mon potager et mon fromage. Et que si un jour je dois habiter de nouveau dans un appartement, je serai très malheureuse…

Actuchomage : Comment vivez-vous votre chômage ?

Françoise BONNE : La dégringolade a commencé en 1994. Depuis, même si j’ai connu quelques CDD – voir plus haut – et autres bricoles par ci par là, tout ça ne mène pas bien loin. Je ne suis plus jamais parvenue à me rétablir. C’est à dire que je n’ai plus jamais réussi à gagner de nouveau ma vie de façon régulière et être indépendante financièrement en échange de mes compétences. Je suis dépendante à vie – sauf retournement de situation que je souhaite fortement – soit d’un homme, soit d’un système social. Est-ce satisfaisant ? Non ! Comment peut-on vivre le chômage de longue durée autrement que mal ? J’ai la chance d’être énergique, d’être curieuse de tout. Ça aide. N’empêche. Ce n’est pas suffisant !

Actuchomage : Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre recherche d’emploi ? Avez-vous "activé vos réseaux" ?

Françoise BONNE : En 2001, quand je me suis installée à la campagne – une façon de commencer une nouvelle vie, dans un nouveau cadre – j’ai voulu créer mon entreprise pour exercer une activité liée à l’écriture. Une association lyonnaise m’a soutenue de façon à ne pas payer de charges, du moins au début. Le problème, c’est qu’il n’y a pas eu de début. Pourquoi ? Je me suis vite aperçue que la donne avait changé et que toutes ces années-chômage avaient généré des dégâts dans beaucoup de têtes. En effet, on me demandait de travailler gratuitement ! Il est possible que ce mouvement ait été favorisé par Internet. En tout cas, il était clair que ceux qui s’adressaient à moi pensaient que je travaillais uniquement pour la gloire. J’en ai eu la preuve très rapidement. Une assistante sociale du canton, débordée, qui désirait que je l’aide en tant qu’écrivain public a eu cette remarque lors de notre conversation : «Ah, parce que c’est pas gratuit, ce que vous faites ?». Ma réponse a fusé : «Est-ce que vous, vous travaillez gratuitement ?» Depuis plusieurs années, force est de constater que le pli est pris… sauf que moi, je n’ai pas fait un pli… Retour à la case départ !

Pour activer les réseaux, j’ai activé ! Ça fait même 12 ans que j’active ! Tous m’ont renvoyée auprès de l’ANPE qui, elle, n’en peut mais. Il y a quelques années, j’ai même écrit au maire de Villefranche sur Saône pour lui demander s‘il n’avait pas un contrat emploi vieux dans sa manche. Silence radio. Dans mon livre, je raconte comment une stagiaire s’est vue demander par un cabinet de recrutement de changer de look pour correspondre aux canons d’employabilité !
Alors, juste un petit arrêt sur image qui illustre la façon dont on marche sur la tête. On demande aux chômeurs d’être formatés ET hors cadre. On leur conseille de ne pas se singulariser ET d’être innovant, d’être spontanés ET hypocrites comme je l’ai entendu pendant le stage ; d’être solidaires ET de se démarquer pour décrocher un emploi. Autrement dit, rassurer ET faire peur à la fois ! Et on s’étonne de l’agressivité qui monte… Juste une question : comment fait-on pour concilier deux contraires ? La folie n’est pas loin. Il faut être costaud, sacrément fort pour tenir le choc.
Ce qui est tragique, c’est que le problème est pris à l'envers : faites des CV, nous dit-on, et vous aurez du boulot. Mais c'est quand il y aura du boulot qu'on pourra faire des CV ! Pas l’inverse. Et ce n’est pas en tordant dans tous les sens un parcours sur un bout de papier, en utilisant des synonymes dans une lettre de motivation afin d’éviter les répétitions qu’on pourra caser tout le monde puisqu’au départ, il manque des emplois !

Actuchomage : Vous avez à la fois l'expérience du social et du chômage : étant passée par les deux côtés du miroir, que souhaitez-vous nous en dire ?

Françoise BONNE : Tant pis si ça ne fait pas plaisir à tout le monde mais après plusieurs expériences dans le social, je considère que ce domaine qui ne propose qu’emplâtres sur jambes de bois est un repaire de chômeurs déguisés.
Comparons avec un autre secteur : essayez de vous présenter devant un hôpital et d’apprendre sur le seuil qu’on ne vous soigne pas… Eh bien, pour le social, c’est du même tonneau : vous venez pour travailler ? Vous vous rendez là où on indique «agence pour l’emploi»… Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’emplois ! Ce qu’on n’admettrait en aucune manière pour le domaine médical, on l’admet parfaitement dès qu’il s’agit du social. On dirait que le social fait perdre les pédales… Moins il y a de travail, plus les agences pour l’emploi poussent comme des champignons. Je croyais que la France était un pays connu pour sa logique… Réflexion faite, on n’aborde jamais le fond dans notre pays, on le touche !

Actuchomage : Que pensez-vous du marché du travail ? Et du travail tout court ?

Françoise BONNE : Dans mon livre, je cite Jean d’Ormesson qui a écrit dans «Du côté de chez Jean» : «le travail, c’est la malédiction». À part quelques chanceux qui exercent leur métier comme une passion et qui en vivent, je vois beaucoup de malédiction autour de moi.
Je distingue deux catégories de malheureux en France : ceux qui travaillent, les ronchons, et ceux qui ne travaillent pas, les grognons. Si les ronchons et les grognons s’échangeaient de temps en temps leur travail, ne pourraient-ils pas devenir aimables ? Sommes-nous donc incapables de nous organiser de façon à nous faire entrer, tous, dans la ronde ?
Le dernier mot de mon livre est le mot «heureux». C’est d’ailleurs le premier mot que j’ai écrit sur mon ordinateur. Pourquoi ? Parce qu’une vie nous est donnée ; pas bien longue et qu’en prime, on la gâche ! On a fichu en l’air une génération. Combien d’autres, encore ? Que les professeurs de philo fassent bûcher les nouvelles générations sur la notion de bonheur parce que, pour l’instant, on est en train de passer à côté de l’essentiel.

Actuchomage : Qu’avez-vous découvert à travers le chômage ?

Françoise BONNE : Depuis cette expérience, j’ai compris comment les catastrophes humaines commencent, quelle que soit l’époque, quels que soient les pays, le niveau de civilisation d’une société. C’est par l’indifférence que le pire arrive : on laisse faire, on ne regarde pas, on détourne la tête.
Le meilleur, ce sont les petits signes de solidarité, les dons des uns et des autres, les petits riens de la vie quotidienne auxquels on ne s’attend pas. Ce sont les petites choses qui font tenir. Pas les grandes théories, même les plus généreuses.
Ce qui me fait enrager c’est qu’à l’heure actuelle, il y a des gens – hommes ou femmes – qui sont et seront dépendants à vie d’autrui et/ou de systèmes sociaux. Il s’agit pour celui ou celle qui vit cette dépendance d’une terrible régression, véritable symptôme de maladie. Ne nous leurrons pas : la société française est bien atteinte. Au passage, j’aimerais qu’un jour on se penche sur le coût du chômage en matière de santé. Le gâchis est abyssal…

Actuchomage : Dans votre livre, on vous sent généreuse, attentive et humaine : comment fait-on pour ne pas être aigri(e) ? Votre rapport aux autres a-t-il changé ? Avez-vous changé ?

Françoise BONNE : Très bonne question. Comment éviter l’écueil de l’aigreur ? J’ai tout simplement eu de la chance, élément qu’on oublie trop souvent. Il se trouve que j’ai été aidée financièrement par mes parents, entourée par une bande d’amis et puis… je suis moqueuse de nature : j’observe, je croque… et je rigole de nos travers. Enfin, pas toujours, parce qu’il y a quand même eu des moments où j’ai cru crever de recevoir sans cesse des réponses négatives ou bien pas de réponse du tout, ou bien encore des promesses qui n’ont pas été tenues… N’importe quel chômeur comprendra de quoi je parle. On se tasse de plus en plus, on fatigue. Je comprends parfaitement que certains – pour peu qu’ils aient moins d’énergie – ne cherchent plus, se laissent aller, abandonnent, lâchent prise et glissent… Bien malin celui qui peut juger…
Est-ce que j’ai changé ? Oui. Lorsque je vois quelqu’un rémunéré par la collectivité et qui fait mal son travail ou ne le fait pas du tout, je montre les crocs… J’ai du mal à l’accepter et je demande des comptes.

Actuchomage : Vous écrivez depuis longtemps. Que représente la rédaction d'un tel livre ?

Françoise BONNE : C’est vrai que l’écriture a été présente très souvent dans ma vie au travers de différentes expériences professionnelles. Les choses sérieuses ont commencé en 1994 lorsque j’ai écrit ma première pièce de théâtre. Puis, dans les année 2000, j’ai commencé à être publiée et jouée. L’écriture permet une réparation de la souffrance. En cela, elle m’a sauvée.

Actuchomage : Avez-vous "ramé" pour trouver un éditeur ? Comment ça se passe ? Quels conseils donneriez-vous à ceux/celles qui veulent se lancer ?

Françoise BONNE : On rame toujours pour trouver un éditeur. Certains perdent votre manuscrit, d’autres répondent que «de toute façon, ça n’intéressera jamais un large public». On reçoit des beignes… C’est une question d’habitude !
Pour ceux qui veulent débuter… je ne vois que la prière… Je plaisante. Mais il y a un peu de ça. On écrit, on relit, on poste, on attend… Ce n’est pas un conseil, c’est un constat.
Je désirerais juste préciser que payer 20 € pour l'achat d’un livre représente une somme. Bien d’accord avec ceux qui déplorent le prix de mon livre. Surtout qu’il est susceptible d’intéresser les plus démunis. Désolée, mais l’auteur n’a pas son mot à dire à ce stade-là. Alors, un conseil : demandez à la bibliothèque la plus proche de votre domicile de l’acquérir. Et empruntez-le. Les bibliothèques sont faites pour ça.

Actuchomage : Aujourd'hui, êtes-vous toujours RMIste ? Quelles sont vos perspectives ?

Françoise BONNE : Non, je ne suis rien du tout. Absolument rien. Je n’ai aucun statut ! (Françoise fait donc partie des 40% de chômeurs qui ne perçoivent aucune indemnisation, NDLR). Ma dernière feuille de paie remonte au 31 décembre 2000. J’occupais un poste à temps partiel. J’ai ensuite perçu jusqu’au 9 avril 2002, des indemnités d’un montant de 19,91 € par jour. Depuis, mon compagnon me nourrit. En prime, le 9 avril 2006, je n’aurai plus de sécurité sociale. Je deviendrai son ayant-droit. La libération de la femme en a pris un sacré coup !

Actuchomage : Quelle vision avez-vous de l’avenir (mobilisation des chômeurs, élections 2007, voire "révolution culturelle"…) ?

Françoise BONNE : J’ai suivi les débats de la commission d’Outreau. Un des avocats entendu, Me Pelletier, a déclaré : «Il faut changer les mentalités». Je reprends cette phrase à mon compte. Si on ne change pas les mentalités sur les notions de «travail», de «vivre ensemble», de «consommation» qui sont à l’origine d’une partie de nos maux, voire de tous nos maux, il n’y a pas besoin d’être Mme Soleil pour savoir que de (très) gros nuages noirs amoncelés au-dessus de nos têtes depuis de nombreuses années vont éclater…

Actuchomage : Quel est votre plus grand souhait ?

Françoise BONNE : «Ensemble» est le titre d’un livre d’Anna Gavalda dans lequel il est question de tendresse et de fraternité. Je voudrais tout simplement qu’on vive tous «ensemble». Mais là, paradoxalement, il y a… du boulot !
Soyons fous. Je voudrais tout simplement manifester mes dispositions – naturelles ou acquises – et vivre debout ! C’est trop demander ? Faire tourner une salle de spectacle me plairait assez… J’ai une pièce de théâtre qui va être jouée en Afrique noire. J’aimerais bien qu’elle soit interprétée à Paris. Enfin… en tant que membre de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, fondée en 1777 sous l'impulsion de Beaumarchais, NDLR), j’aimerais rencontrer son président : j’ai quelques petites choses à lui dire.


Propos recueillis par Sophie HANCART (via e-mail)

Le site de Françoise Bonne : http://perso.wanadoo.fr/francoise.bonne/

© Actuchomage – Mars 2006
Mis à jour ( Mercredi, 05 Août 2009 14:58 )  

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