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Le Chômeur et les Médias : sujet, ou objet ?

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Pour les médias, le privé d’emploi est un «produit premier prix» qu’on prend et qu’on jette après s'en être servi. Quatre années de rapports avec ce petit monde et ses pratiques nous ont incité à rédiger ce mémento à l’usage des chômeurs de bonne volonté qui voudraient témoigner de leur situation — ainsi qu’éventuellement aux journalistes désireux de les considérer comme de véritables «sujets»...

Il n’y a pas si longtemps, les journalistes n’abordaient le chômage que d’un point de vue statistique (pratique encore bien actuelle chez ceux pour qui cette approche permet, justement, de parler du chômage plutôt que des chômeurs).

Est ensuite venu le temps où l’on s’est aperçu que les privés d'emploi ont un visage. C’est ainsi qu’a été lancée une nouvelle figure de la littérature journalistique : le portrait de chômeur. On a pu en voir de toutes sortes, sous tous les angles : le chômeur-tout-frais-licencié, le chômeur-docile-à-l’ANPE, le chômeur-désœuvré, le chômeur-déprimé, le chômeur-miséreux, la maman-chômeuse, sans oublier (comble du sensationnel — très, très prisé) … le chômeur-profiteur voire, le chômeur-professionnel !

Certains journalistes se sont avisés que ces mêmes privés d'emploi ont une langue ; ce fût alors l’époque — nous y sommes encore — du témoignage de chômeur. Convenons qu’il y eut un grand progrès dans cette formule de reportage ou d’article qui nous donne la parole — même si cela devrait aller de soi : ne dit-on pas «le sujet d’un reportage» et non «l’objet» ?

Quoi qu’il en soit, la formule semble connaître un certain succès, puisque nous sommes très régulièrement sollicités, par l’intermédiaire d’«appels à témoins» lancés sur les forums d’Actuchomage ou par contacts personnels directs. Selon les périodes, nous pourrions même nous dispenser de suivre l’actualité tant la moindre rumeur gouvernementale fait sonner nos téléphones...

Nous avons toujours répondu avec courtoisie — et un brin de gratitude pour ces gens qui nous prenaient en considération. Ce fut quelquefois l'occasion d'une communication fructueuse, adulte pourrait-on dire, où nous avons réellement participé à la construction du «sujet». Hélas, les doigts d'une main suffiraient à compter ces exceptions ; trop souvent, il nous a fallu déchanter ! Nous ne comptons plus les interlocuteurs qui nous ont très longuement questionnés, pour ensuite publier un article dans lequel nos propos étaient détournés (ou bien repris sans même nous citer). Nous ne comptons plus les interviews radio ou TV tronquées et remixées pour mieux entrer dans le propos voulu par la rédaction. Nous ne comptons plus les messages nous demandant de rappeler de toute urgence, pour entendre aussitôt qu’«il a fallu trouver quelqu’un d’autre»...

Pourtant nous nous sommes prêtés à ce jeu, parce que nous jugions nécessaire de faire passer des messages, parce que nous estimions du devoir d’un militant de saisir toute occasion de parler. Encore sommes-nous constamment sur la corde raide, conscients que nous sommes de ne pas être des représentants des chômeurs, mais malgré tout des illustrations ; il ne s’agit donc pas de laisser nos propos dénaturer la cause que nous prétendons — modestement — servir.

Des illustrations : justement, parlons-en ! Le témoignage de chômeur est peu à peu sorti du cadre des journaux d’actualités pour apparaître dans les débats et magazines radio et TV. Voici donc que de nouveaux journalistes et assistants nous sollicitent (le «produit premier prix» va-t-il enfin côtoyer le «produit de marque» ?). «Vous demandez mon témoignage pour illustrer un débat ; qui débattra ? Un économiste ? Bon. Un sociologue ? OK. Une personnalité politique ? Bien.» Et c’est tout ; la proposition s'arrête là. Pas question de participer au débat. Neuf fois sur dix, il ne vient pas à l’idée des organisateurs de ces émissions qu’en plus d’un visage et d’une langue, nous avons aussi un cerveau. Qu’en plus de l’expérience du chômage — dont nous nous passerions volontiers… — nous avons développé des capacités d’analyse et de synthèse des informations et des situations, des chiffres et des dispositifs. Qu’en un mot nous avons — osons l’immodestie ! — une réelle expertise du sujet (dans lequel nous vivons, qui plus est ; cela reste un mystère que si peu réalisent la formidable innovation que cela représente au plan intellectuel).

Il existe cependant une poignée de journalistes qui ont osé nous donner la parole en direct dans un véritable débat, quelquefois en présence de personnalités remarquables. Toutefois, dans ces — très rares — situations, pas de cadeaux… Il nous a fallu apprendre sur le tas et dans l’urgence les règles d’un métier sans pitié. Souvent à nos dépens, nous avons du découvrir comment repérer le bon moment pour intervenir. Comment, surtout, ne pas tomber dans le piège de la conversation polie mais, au contraire, saisir ou créer l’opportunité de délivrer le (bref) message qu’il a fallu préparer soigneusement. Comment ne pas hésiter à «injecter» ce message, quitte à oser une digression ou à résister à l’animateur qui coupe la parole. Il serait vain de croire qu’on vous donne la parole dans un débat ; on vous donne juste l’opportunité de la prendre, si vous savez le faire !


Donc, sans vouloir dissuader les candidats au témoignage ni occulter nos expériences positives — l'affaire des «Recalculés», le passage de notre rédactrice-en-chef au «Sept à Huit» de TF1, la couverture médiatique autour de nos plaintes pour discrimination sur l'âge ou la sortie du livre de Gérard Plumier sur le chômage des Seniors —, nous avons établi une liste des quelques points noirs inhérents à cet exercice, qu'il vaut mieux connaître avant de se lancer.

Quant aux journalistes dont nous critiquons les méthodes, qu'ils en prennent de la graine. D'ailleurs, nous remarquons qu'ils nous ont nettement mieux considérés sous les gouvernements Raffarin et Villepin qu'aujourd'hui : de notre avis, on peut noter qu'il y a eu une véritable «reprise en main» des médias par le pouvoir politique.

L'agence de casting

Bien que les chômeurs ne manquent pas en France et qu'il suffise de passer une matinée dans une ANPE pour en dénicher de toutes sortes (des grands, des petits, des jeunes, des vieux, des gros et des maigres…), la recherche de témoins est fastidieuse. Comme ils sont souvent «charrette», certains journalistes sous pression s'arrangent pour faire exécuter cette tâche par quelqu'un d'autre, ce qui leur procure un certain gain de temps.

Désireux de mener à bien cette collaboration afin de faire avancer les choses, nous sommes longtemps tombés dans le panneau. Combien de fois avons-nous été sollicités pour fournir du chômeur-comme-ci ou du chômeur-plutôt-comme-ça (voire très-exactement-comme-ça) à des journalistes overbookés ? Ironie du sort, notre petite association se transformait alors… en agence de casting à but non lucratif. Tout ce temps passé — au nom de la cause — à rendre service en contactant des témoins potentiels correspondant au «profil» parmi notre entourage, à les convaincre de participer, puis à transmettre leurs coordonnées. Tout cela pour, au final et dans la majorité des cas, se solder soit par un silence coupable (très approchant de celui des recruteurs) suite à l'abandon du projet pour des raisons d'actualité, un changement d'angle à la dernière minute ou la «sélection» d'un autre «candidat» (qu'on n'ose pas vous avouer), soit par une grande déception : le témoignage a été délivré dans sa portion congrue, si ce n'est pas édulcoré, orienté ou déformé.

La culture réductrice du zapping

Tout ça pour ça !!! Effectivement, on pourrait justifier cette précipitation quasi systématique par les contraintes inhérentes à ce métier, spécifiquement fluctuant. Mais aussi de plus en plus enclin à succomber aux sirènes du zapping, du sensationnalisme et de la superficialité, véritables plaies qui le discréditent et le gangrènent. Ainsi expédie-t-on les sujets les plus graves tout en traitant ses protagonistes comme des objets. D'autres sont mieux placés que nous pour dénoncer les dérives du journalisme et s'alarmer sur son éthique. Il n'empêche que, de leur tour d'ivoire, ces professionnels qui sont censés informer les Français et dont le rôle est crucial pour notre démocratie, négligent leurs responsabilités et devraient davantage s'inquiéter de la défiance grandissante de la population à leur égard.

Dans ce contexte, le plus consciencieux et mieux intentionné des journalistes n'en reste pas moins à la merci de ses supérieurs hiérarchiques, qui vont sans hésitation remanier son travail afin de coller à des impératifs éditoriaux… ou personnels.

Et pour finir, dans cette course, rares sont ceux qui n'oublient pas de dire merci.

Les goujats

On pourrait s'imaginer que ceux qui ne travaillent pas dans la précipitation, puisqu'ils réalisent des sujets plus longs et programmés à l'avance, auraient un meilleur comportement. Parfois, c'est vrai : la relation est bonne, voire excellente. Mais nous avons eu deux cas de documentaristes à la recherche de pistes de réflexion et de témoignages dont l'incorrection ne nous a pas échappé. D'abord ils vous sollicitent, puis viennent chez vous discuter ou vous offrent un café dans un bar ; vous leur consacrez du temps et les aidez aussi à «faire leur marché». Puis plus rien, plus de nouvelles. Vous en ressortez avec un sentiment d'ingratitude, ou celui d'avoir loupé… un entretien d'embauche sans qu'on vous ait expliqué pourquoi vous n'avez pas fait l'affaire ; ce qui vous ramène, brutalement, à votre condition de chômeur.

Comble de la désinvolture : sollicité (par une radio du service public dont on taira le nom pour l'instant) pour participer à une émission à Paris alors que vous habitez à 500 Km, on vous promet un défraiement rapide, d'autant plus que la difficulté de votre situation est connue. Et, malgré vos relances, le remboursement n'arrive jamais. Il y a de quoi être furieux, surtout quand on subodore que des participants «de grande marque» se font parfois payer pour intervenir alors qu'ils ont des revenus, eux, parfaitement décents.

Une disponibilité disproportionnée

Le temps passé avec certains journalistes est inversement proportionnel au résultat final.

Il y a celui qui, après avoir déjà reporté deux rendez-vous (malade), vient à votre domicile vous interviewer au calme pour son émission de radio et vous fait attendre parce qu'il est en retard (débordé). Une fois reparti avec son enregistrement, vous constatez, le moment venu, que le produit de sa tortueuse visite n'a même pas été diffusé à l'antenne.

Il y a ceux qui pénètrent chez vous à plusieurs pour un reportage télé. Vous leur servez des rafraîchissements tandis qu'ils s'installent dans votre salon, règlent l'éclairage, vous demandent de déplacer certains objets — photos au mur, chaises, plante — qui pourraient nuire à l'esthétique du champ de vision puis vous filment, vous interrogent, vous font reformuler plusieurs fois les mêmes choses, comme si vous étiez un acteur débutant dirigé par un réalisateur qui veut absolument que vous soyez percutant. Au total, l'affaire aura pris près de trois heures. Mais le résultat se résumera à une minute et pour la percutance, on repassera...

Ou alors, on vous fait également sortir de chez vous pour vous filmer devant votre boîte aux lettres, recevant une réponse négative, puis jusque chez le marchand de journaux où vous achèterez une publication recelant des petites annonces, mimant ensuite votre recherche d'emploi à la terrasse d'un café. A 20 heures, vous vous plantez devant le JT pour visionner le résultat final — on vous a certifié qu'il passerait le soir-même — et… et… et… arrive la page des sports (très important, le sport, plus que le chômage !) : changement de programme, le reportage ne sera pas diffusé. Ni le lendemain. Quant au journaliste, il vous évite au téléphone.

Il faut po-si-ti-ver : vous êtes au chômage, donc vous êtes disponible. Et les comportements incorrects, c'est chose commune dans notre jungle moderne : d'ailleurs, en entreprise, c'est comme ça tous les jours ! Mais, tout de même, tout ce temps et cet argent gaspillés pour du vent... (Pas le vôtre, mais le leur. Avec le coût d'un reportage tombé aux oubliettes, il est à parier que vous auriez pu régler vos factures EDF pendant un an.)

Du chômeur de service à l'épouvantail social

Sur les plateaux de télévision, même topo : des heures de préparation et d'attente… pour trois fois rien. La montagne accouche d'une souris. Toute cette débauche de moyens pour des programmes médiocres ! Quand l'émission n'est pas en direct — ce qui est le plus fréquent —, vous pouvez être sûr qu’on va couper la moitié de vos interventions. Car le chômeur de service, si on l'invite par souci de représentativité, doit rester à sa place. Il n'est là qu'à titre «illustratif» afin de mettre en valeur la parole des «experts» — hommes politiques ou autres, sans oublier les VIPs... Comme on l'a vu, le chômeur-qui-a-un-cerveau ou le chômeur-révolté ne font pas partie de la panoplie médiatique.

Et pourtant, il arrive qu'on le réinvite. Qu'on ait apprécié sa prestation (coupée !) et qu'on lui demande de refaire la même chose dans l'émission suivante alors que — comble de l'absurde — tous les passages «rentre-dedans» seront à nouveau supprimés.

Pire ! Alors que vous croyez que vous allez pouvoir relever le niveau d'un talk-show, grâce aux miracles du montage, il vous sera impossible d'avoir l'air d'autre chose que d'un pauvre chômeur, parce que c'est ce qu'on attend de vous. Au lieu de retenir votre analyse et votre jugement sur une problématique collective, on va tout faire pour vous confiner dans le discours égocentré afin que vous inspiriez — vous et vous seul — aux téléspectateurs, non seulement de la compassion, mais surtout la crainte de se retrouver un jour dans la même situation. «Regardez ce que vous allez devenir si vous ne vous pliez pas aux règles, si vous protestez à votre boulot et réclamez une augmentation…» En gros : «Tenez-vous tranquilles et laissez-vous exploiter, sinon, voyez quel sort vous attend !», tel est le message subliminal parfaitement instillé. Bien malgré vous, alors que vous pensiez apporter un plus au débat, vous réalisez avec consternation que vous avez, simplement, contribué à maintenir l'ordre des choses.

Être sujet, ou faire l'objet ?

On le voit : accepter, par esprit militant, de collaborer avec les médias est à double tranchant. Se prêter au jeu est parfois périlleux. Autant la presse écrite et la radio exercent encore leur métier avec une conscience relative, autant la télévision — qui reste, hélas, le média numéro un des Français — est une trappe à médiocrité. Pour limiter les dégâts, nous vous recommandons d'éviter à la base les programmes les plus racoleurs (les Delarue et autres Zone interdite). Et, paradoxalement, nous notons que nous avons été moins déçus par TF1 que par… France 2.

«Ecrire, c'est faire un bond hors du cercle des assassins», jugeait Kafka ; témoigner demeure donc primordial, malgré les pièges que cela comporte. En espérant que ce billet d'humeur vous aura fourni suffisamment d'éléments pour les éviter.

Post-scriptum à l'attention des journalistes qui voudraient nous contacter : Pas sérieux s'abstenir !

Gérard PLUMIER et Sophie HANCART
Mis à jour ( Vendredi, 07 Août 2009 16:06 )  

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