Gérard Plumier a 53 ans. Sans emploi depuis quatre ans malgré son parcours et ses diplômes, il est bien placé pour décrire la situation des "seniors" qui, du fait de leur âge et malgré leur expérience, sont poussés dans l'impasse : "périmés" sur le marché du travail, privés d'une retraite décente, ignorés des politiques et des syndicats dans un processus sociétal d'exclusion quasi-idéologique.
Voici LA RÉFÉRENCE en matière de chômage des "seniors" ! Tout y est : les chiffres, les alibis du recrutement, la contribution Delalande et ses effets pervers (entre autres dispositifs institutionnels et effets d'annonce), les associations et collectifs existants... Il y a même un bêtisier - savoureux mais trop court - et un désopilant exposé des jargons modernes.
Cet état des lieux du non-emploi des plus âgés (NB : on devient "senior" dès 40 ans) est remarquable, pour au moins deux raisons :
- il respire le vécu sans manquer d'humour
- très documenté, il est riche sans être indigeste.
Sa présentation sous forme d'abécédaire est ici avantageuse : elle ne s'enlise pas dans le patchwork maladroit que ce concept génère. Au contraire, elle permet un exposé aéré, rythmé et agréable à travers un enchaînement cohérent.
L'analyse est faite en profondeur. Tout est brossé méthodiquement, appuyé par des définitions (celle des chômages selon le Sénat…), des citations (de sociologues, politiques et autres experts…), des chiffres (Unedic, Apec, Insee, Ifop…), des études (Anact, Cegos, Dares, OCDE…) et des articles de presse récents. Les arguments qui en découlent sont imparables, exprimés avec intelligence et ironie.
Alors voilà, le chômage des "seniors" s'amplifie dans un contexte de chômage massif (structurel en tant que phénomène non accélérateur d'inflation => le NAIRU dont je vous laisse découvrir la définition page 136) où les salariés "âgés" sont utilisés comme variable d'ajustement du marché du travail.
L'absurdité est totale ! Alors qu'on entre de plus en plus tard dans la vie active, que les processus de pré-retraite sont passés dans les mœurs et qu'on se débarrassait avec élégance des salariés âgés depuis les années 80 pour minimiser le taux de chômage, face au déficit public, nos gouvernants ont décidé que désormais les salariés doivent travailler plus longtemps (l'âge de la retraite est maintenant fixé à 65 ans, avec un minimum de 160 trimestres validés). Mais les entreprises continuent à se débarrasser de plus en plus tôt des "plus âgés", et les discriminent purement & simplement quand elles recrutent. Dans un contexte où leurs objectifs tendent à la réduction d'effectifs, l'âge est devenu le principal outil de disqualification où les prétextes d'adaptabilité et de coût font figure d'épouvantails, à contre-courant du discours politique, et même de la légalité !
Le scandale est complet. Un chômeur sur quatre a plus de 50 ans. Non seulement ils viennent grossir le bataillon des chômeurs de longue - voire très longue - durée, mais les conséquences économiques, sociales, professionnelles, psychologiques et sociologiques de ce phénomène sont catastrophiques : le danger est réel, c'est une véritable poudrière !!! "Responsables, mais pas coupables" : les entreprises, mais aussi l'Etat et les syndicats entretiennent hypocritement cette situation. Est-ce voulu ? Est-ce seulement de l'indifférence ? Quelles sont les solutions ?
Gérard Plumier va plus loin : il manifeste sa solidarité avec les autres chômeurs et surtout les plus jeunes, il analyse aussi le chômage dans sa globalité => causes et conséquences ("Libéralisme", page 129, magistralement subtil). Il démystifie l'idée que les quinquas d'aujourd'hui ont bénéficié des "Trente Glorieuses" (page 203) et qu'ils n'ont pas à se plaindre, selon une nouvelle vague de trentenaires anti-Mai 68 : grave erreur, car ils se trompent d'une génération !!!
En parlant des "seniors", il parle de tout le monde : nous sommes tous concernés.
Gérard Plumier n'est ni écrivain ni sociologue, et pourtant il n'a rien à leur envier : ce premier essai est plus que réussi et il est une preuve - supplémentaire - de l'intolérable gâchis de compétences qui se déploie actuellement. Son vécu de chômeur sensé qui cherche à comprendre et veut faire partager ses réflexions est d'autant plus convaincant, donc, forcément, déculpabilisant.
Sophie HANCART
Gérard PLUMIER, Chômage Senior : Abécédaire de l'indifférence - Ed. L’Harmattan (2005) - 21 €
Le site de l'auteur
=> L'interview de Gérard PLUMIER pour Actuchomage