La Marche des Chômeurs s’est achevée samedi 6 juillet à Paris. Initiée par le MNCP (Mouvement National des Chômeurs et Précaires) et soutenue par plusieurs associations, collectifs et syndicats, a-t-elle atteint ses objectifs ou souligné les dysfonctionnements qui pénalisent la Défense des Droits des sans-emploi et des précarisés ?
En premier lieu, Actuchomage tient à saluer la persévérance de celles et ceux qui, pendant trois semaines, ont arpenté les routes du Sud et de l’Est de la France, et même celles de l’île de la Réunion (d’où est partie la Marche, le 10 juin dernier).
Les co-organisateurs, que notre Amie Pili a rencontrés et interviewés en vidéo à leur arrivée sur Paris, affichent évidemment de réelles satisfactions. Cette Marche ou plutôt ces Marches, auraient permis de redynamiser le tissu associatif, de sensibiliser diverses populations et de renforcer les liens avec les salariés subissant des licenciements dans les villes étapes. Par ailleurs, la presse (quotidiens régionaux, France3, radios locales…) s’est fait l’écho de rassemblements de Chômeurs et Précaires en marche pour leurs Droits.
Pour notre part, sur Actuchomage, nous avons suivi au quotidien l’actualité des Marcheurs, par l’entremise du site MarcheChomeurs2013.org, et par les petits reportages vidéo réalisés à l’occasion.
Force est de constater que les images ne témoignent pas de rassemblements vraiment imposants, y compris dans les grandes métropoles comme Montpellier et Toulouse, alors qu’ils étaient soutenus par le Front de Gauche et plusieurs syndicats.
Un succès très relatif que confirment les audiences symboliques des vidéos mises en ligne sur les chaînes officielles de la Marche : 788 vues sur YouTube (toutes vidéos confondues) et 472 sur Dailymotion (toutes vidéos confondues), et ce en trois semaines. À titre de comparaison, le reportage réalisé par Actuchomage le jour de l’arrivée a été vu à 900 reprises en à peine 24 heures.
Mais, peut-on juger de la pertinence d’une initiative militante à l’aune du buzz qu’elle suscite sur le Web ? Certainement pas ! Disons qu’il fournit quand même une indication sur l’intérêt porté à l’action menée.
Nous sommes bien placés pour en juger ici. Une opération réussie (comme l’occupation du Fouquet’s par les Chômeurs et Précaires avant les élections présidentielles de 2012) se traduit, invariablement, par une audience de l’ordre de 2.000, 3.000 ou 4.000 vues en 24 heures, voire 6.000 à 10.000 au bout de dix jours. Une action sans réelle portée est sanctionnée d'un désintérêt immédiat. Voilà le seul enseignement que nous pouvons tirer.
Reste que, selon nous, cette Marche aurait du se fixer comme principal objectif de réunir le maximum de composantes qui militent en faveur des Droits des Chômeurs et Précaires. Au lieu de cela, les organisateurs n’ont cessé de revendiquer leur volonté d’être reçus par Jean-Marc Ayrault. Évidemment, le Premier Ministre ne s’est pas exécuté. Et s’il l’avait fait, qu’est-ce que cela aurait changé ?
Il y a quelques mois, les organisateurs avaient essuyé le même refus de la part de Michel Sapin, suite à l’immolation d’un chômeur devant une agence Pôle Emploi de Nantes. Ils avaient du patienter un mois avant de rencontrer un conseiller du ministre. Ils en étaient sortis furieux d’avoir été traités comme des moins-que-rien.
Une première question se pose alors : Pourquoi s’entêter à vouloir rencontrer des dirigeants qui vous ignorent et vous méprisent ?
Et une deuxième s’impose : Pourquoi ces dirigeants refusent-ils le dialogue avec les organisations de Chômeurs ?
Ne serait-ce pas, tout simplement, parce qu'elles ne représentent pas grand-chose, qu’elles sont incapables de mobiliser de manière significative, qu’elles sont atomisées, divisées, sans réels porte-parole et finalement très peu influentes ?
Nous avons abordé à plusieurs reprises ces questions ici. Nous avons été parfois taxés d’éléments «démobilisateurs» alors que nous œuvrons en faveur de la mobilisation depuis 9 ans, et que nous suivons quasiment toutes les actions menées par les organisations de Chômeurs et Précaires depuis 2004. Neuf longues années où nous constatons que, loin de se renforcer, la mouvance militante sur les questions de Chômage et de Précarité s’affaiblit parce que les associations ne savent plus travailler ensemble, comme elles le firent par le passé.
Nous en sommes ici témoins, nous qui avons participé activement à ce qu’on a appelé en 2003/2004 la Bataille des Recalculés de l’Unédic. Ce combat judiciaire, médiatique et politique mené par toutes les organisations unies, avait permis de réintégrer 800.000 Chômeurs dans leurs droits et contraint le gouvernement à débourser des centaines de millions d’euros.
Neuf ans plus tard (et quelques centaines de milliers de Chômeurs supplémentaires), nous constatons qu’en matière de concertation, de cohérence et d’unité, rien n’a évolué dans le bon sens. Au contraire, on assiste à un essoufflement de l’action collective. Nous ne sommes donc pas des «démoralisateurs» mais les observateurs de notre propre impuissance. Et nous pouvons compter sur la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur – ex-Renseignements Généraux) pour faire remonter l’information au plus haut niveau de l’État :
Nous ne représentons rien ou quasiment. Et ils le savent !
Le principal handicap n’est pas tant la difficulté à mobiliser les demandeurs d’emploi et les précarisés, que l’incapacité des organisations à apparaître unies. Cette dispersion, cette atomisation, nuit à la représentation globale des Chômeurs et Précaires.
Nous savons bien ici à quel point il est difficile de réunir 100 ou 200 personnes. Même 10 ou 20 ! Sur ce point, nous n’avons aucune leçon à donner. Mais nous savons aussi que si on n'arrive pas à mobiliser les déjà mobilisés, il est peu probable de mobiliser celles et ceux qui ne sont pas du tout mobilisés. C’est exactement ce que laisse apparaître cette Marche.
Pour reprendre une revendication portée par les organisations de Chômeurs et Précaires elles-mêmes (à propos de leur non-représentation à l’Unédic ou à Pôle Emploi) : «Les premiers concernés ne sont pas entendus !».
Nous estimons, par exemple, avoir acquis une certaine légitimité dans notre domaine : l’information. Actuchomage reste aujourd’hui une référence pour nombre de réseaux qui s’investissent sur les questions sociales. Mais, comme beaucoup d’autres, nous ne sommes quasiment jamais conviés à réfléchir collectivement sur la façon de s’organiser et de mener des actions communes.
Cette Marche des Chômeurs, qui était peut-être une bonne initiative, n’a pas permis de resserrer les liens entre organisations et collectifs dispersés. Au contraire même. Certains s’en sont sentis exclus (nous avons pu le vérifier dans des échanges tenus sur des forums militants et listes de diffusion).
Nous savons aussi qu’il est fastidieux (et énergivore) de mettre tout le monde d’accord autour d’un projet. Mais il est nécessaire – INDISPENSABLE – de tenter de le faire, ne serait-ce que pour impliquer un maximum de réseaux.
Nous ne l’avons pas été (impliqués) ! Pour autant, nous avons joué le jeu en annonçant cette Marche, en relayant la première vidéo filmée à Montpellier, puis en réalisant nous-mêmes un reportage très complet (plus de 18 minutes) à l’arrivée, mis en avant sur Actuchomage et sur nos chaînes Dailymotion et YouTube.
Très sincèrement, cet article n’a pas pour objet de pleurnicher sur notre sort ou sur la non-reconnaissance de nos savoir-faire. Loin de nous cette idée. S’impliquer dans une action collective, c’est pour nous (comme pour les autres) du travail en plus et de la disponibilité en moins pour gérer nos propres intérêts. Mais, à la veille d’importantes échéances (notamment les négociations sur la nouvelle convention d’Assurance-chômage à l’Unédic), les organisations ne feront pas l’économie d’une remise à plat de leur façon de travailler ensemble.
Faute de quoi, elles s’affaibliront plus encore et, avec elles, la Défense des Droits des Chômeurs et Précaires.
Yves Barraud – pour Actuchomage.org
Ci-dessous, la vidéo réalisée par Pili, le 6 juillet à Paris.
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