A priori, il n'y pas âme qui vive dans cet immeuble situé boulevard Richard-Lenoir. L'Etat, qui y avait installé l'Agence centrale des organismes de la sécurité sociale (Acoss), en a condamné l'entrée depuis plus de deux ans.
Dehors, au pied de l'immeuble, une bande de squatteurs s'abritent depuis plusieurs semaines devant les grandes baies vitrées de l'entrée principale. Au rez-de-chaussée, des téléphones, des chaises, des meubles vides donnent au lieu une atmosphère un peu surréaliste. Lorsqu'on monte dans les étages, les lumières fébriles, le plâtre éparpillé sur le sol, les tâches sur les murs et la moquette auraient du mal à passer l'étape d'un état des lieux classique. Et pourtant s'est ici mise en place une drôle de colocation depuis septembre dernier.
Photographe, comédien, ingénieur, étudiants, apprenti bijoutier, traducteur, avocate... Ils squattent ces 6.000 mètres carrés, où, à chaque étage, ont été aménagés à la va-vite une cuisine, une salle de bain et des toilettes. Enfin, "squattent", c'est vite dit. Ils sont là en toute légalité et ont même un (mini) loyer à payer. "C'est un bon deal, explique Maxime, un jeune étudiant. Je paye 200 euros par mois, mais pour avoir autant d'espace, surtout dans un coin comme celui-là, je payerai normalement le triple."
Un nouveau concept qui fait du business avec les mal-logés
C'est une entreprise très particulière qui a ouvert les portes de ce bâtiment à toute cette bande. Lancelot, filiale du groupe européen Camelot Property, propose aux propriétaires de bâtiments inoccupés une solution de gardiennage low-cost et fait son business avec le mal-logement. C'est une première en France, mais pas en Europe. Rôdé aux Pays Bas, le concept s'est déjà exporté en Grande-Bretagne, en Irlande et en Belgique. Parfois une ancienne école, d'autres fois une vieille caserne de pompier ou encore un immeuble privé : Lancelot est à l'affût des clients potentiels. La direction de l'entreprise estime qu'il y aurait en France quelques 20.000 bâtiments potentiellement aménageables. De quoi espérer de bonnes perspectives de rentabilité.
L'argumentaire marketing est bien rôdé : "Les allées et venues des résidents témoignent de l'occupation du bâtiment et écartent les intrus, explique-t-on à la direction de Lancelot. C'est une bonne solution contre le squatt et en plus, cela permet d'économiser jusqu'à 90% du coût d'une solution classique de sécurité".
C'est que Lancelot ne fait pas dans le social. Ou pas seulement. "Il existe déjà des associations pour s'occuper des gens en vraie difficulté, souligne-t-on au sein de l'entreprise. Notre cible, ce sont des personnes socialement intégrées, mais qui ont des difficultés pour se loger." Le cas de Myriam, jeune avocate, est emblématique : "J'exerce une profession libérale, donc pas de fiche de paye. Je voyage beaucoup, donc j'ai besoin de flexibilité. Je n'ai pas la possibilité d'avoir une caution... Bref, je ne remplis aucun des critères pour avoir un logement à Paris".
Une expulsion consentie
La contrepartie de la solution Lancelot, c'est la précarité. "Nous devons pouvoir garantir au propriétaire qu'au moment où ils demanderont le départ des locataires, ces derniers ne feront pas de difficultés", explique l'entreprise. Si le propriétaire décide de louer ou de vendre son bien, les résidents ont quatre semaines pour vider les lieux. Même en plein hiver.
"La solution Lancelot profite davantage au propriétaire qu'au locataire", dénonce José-Xavier Morin, membre de Jeudi Noir, ce fameux collectif qui occupait illégalement l'hôtel particulier de 1.500 m2 place des Vosges avant de se faire expulser le 23 octobre dernier. Peut-être, mais alors qu'il y a plus de 3,5 millions de personnes mal logées en France, cette initiative rappelle qu'un grand nombre de bâtiments restent vacants pendant des années.
(Source : L'Expansion)
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