Je chanterai le nouveau monde,
Né de la zone et de l'ordure.
En ces temps-là vos belles actions
Passaient toujours par l'écriture.
Vous vous gaviez de projections,
De projects sérieux, de futur,
Pendant que l'ordre et la répression
Vous alignaient contre les murs.
Vous ronronniez pour le vieux monde
Dans l'opposition objective,
Respectant la règle et la ronde
Dans vos manchettes maladives.
Ça sentait le médicament,
La frustration et le soumis.
Ça puait déjà l'électron,
Le temps qui passe à crédit.
Des technocrates maigrichons
Vous prédisaient des jours meilleurs,
Des aurores de l'expansion
À la sournoise nuit des chômeurs.
Vous faisiez du lard aux ceintures.
Les pancartes au bout des bras mous
Faisaient des cercles dans l'ordure
Où vous vous traîniez à genoux.
Les barbares, qui montraient leurs crocs
Aux barrières des périphériques
Ricanaient, remplaçant vos mots
Par des cris de guerriers celtiques.
Vous en aviez froid dans le dos
Bien qu'expliquant ce phénomène.
Vous essayiez de rentrer tôt
Détestant les milices urbaines.
Vous nous regardiez en ces temps
Inventer une autre musique,
Faite de violence et de sang
D'ignorance et de prophétique.
Votre raison vous pesait lourd
Dans vos masochistes partouzes,
Dans vos dérisoires amours,
Votre révolte et vos ventouses.
La petite gauche vivotait
Frileuse comme une alouette.
Vos bars, vos fêtes, vos congrès,
Vos chanteurs, vos peintres, vos poètes,
Votre raison, votre droiture,
Vos illusions, vos habitudes,
Vos soumissions, votre culture,
Vos ambitions, vos certitudes.
Cette lucidité bidon
Qui remplaçait si bien les tripes,
Était sinistre et sans passion
Et militante et castratrice.
Elle vous bloquait le creux des reins
Comme un calcul diabétique.
Elle vous laissait sur votre faim
De bien nourris et d'asthmatiques.
Nous rêvons d'une autre planète
En ce futur, t'en souviens-tu ?
Nous tirons des plans à facettes
Vers des comètes disparues.
Nous installons nos mines d'or
Sur des podiums itinérants
Où nous jouons toujours très fort
De la guitare et du vent.
Nous pressentons une cassure,
Une crevasse nette et sanglante,
Une balafre dans l'azur
Un cran d'arrêt dans le silence,
Une fissure dans le certain,
Une embolie dans la finance,
Un détonateur dans la main,
Un embarras dans la nuance.
Nous vivons au ras des pavés
N'ayant jamais connu la plage.
Et jamais le roi des étés
Ne s'est inscrit au paysage.
Nous avons la haine au profond.
Une haine fondamentale
De la hiérarchie et des cons,
Du quotidien et du fatal…
Bernard Lavilliers - Utopia - 15e Round - 1977
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