Aux dernières élections, Gilles, Chômeur de 56 ans, a saisi deux bulletins : Celui du Parti de Gauche, celui du Front National. Témoignage d’un homme en perdition.
Salut à Tous mes Camarades de Galère,
Comme nombre d’entre vous, je suis dans la panade depuis de trop longues années. Je survis avec le RSA.
Je crois inutile de m’appesantir sur les difficultés que je rencontre. Certains les imagineront sans peine, d’autres les partagent au quotidien.
Je ne vais donc pas vous servir le refrain des fins de mois qui débutent le 8 ou le 10, du naufrage de ma vie affective et familiale, de cet emploi qu’on cherche et ne se présente jamais, de mes lettres de motivations qui ne convainquent plus aucun employeur, des années qui passent, des cheveux qui tombent sur le champ d’une bataille perdue contre le temps, des rides qui se creusent, de cet âge de la retraite qui approche tout en s’éloignant au rythme des réformes, de ce minimum vieillesse qu’elle me réservera faute d’avoir suffisamment cotisé.
Je suis issu d’un milieu modeste. Je mourrai pauvre !
Je ne vous parlerai pas non plus de mes 33 années de boulot, où j’ai beaucoup donné à mes employeurs : loyauté, sérieux, ponctualité, professionnalisme, dévouement parfois…. Trente trois années au cours desquelles je ne suis quasiment jamais tombé malade, où j’en ai souvent fait plus sans rechigner.
Je ne me lancerai pas ici dans un réquisitoire anti-patrons, parce que mes relations avec eux furent plutôt cordiales, franches, basées le plus souvent sur une confiance réciproque.
Des tensions ont parfois brouillé cet environnement professionnel plutôt serein. Il m’est arrivé de me faire virer dans des conditions acceptables. Une fois aussi dans des circonstances pénibles qui m’ont contraint à engager une procédure aux Prud’hommes, gagnée au terme d’un éreintant combat.
Je ne m’étendrai pas non plus sur mes engagements politiques et syndicaux. Vous l’aurez perçu, je ne suis pas de ceux qui se laissent marcher sur les arpions, qui se font rouler dans la farine par le premier embobineur venu.
Pour autant, j’ai toujours su faire la part des choses entre revendications légitimes et récriminations dogmatiques envers le patronat exploiteur. Mes employeurs m’ont trouvé «tenace et inflexible», tout en louant ma détermination à faire bouger les lignes, en me reconnaissant un enthousiasme contagieux.
J’ai toujours pensé qu’avec de la bonne volonté on peut trouver un terrain d’entente, sans renier ses engagements.
Je fus un homme de Gauche, un humaniste, un peu utopiste, un peu bagarreur, selon les époques et les circonstances. Partagé entre mes convictions militantes et la recherche d’un consensus acceptable. J’ai longtemps pensé que des gens comme moi pourraient un jour changer le monde.
Je me suis trompé !
Je ne vous servirai pas les pleurnicheries du mec qui a perdu ses illusions. Pas plus que je ne vous assènerai la complainte du monde pourri dans lequel nous vivons, de ce temps révolu où il faisait bon vivre sans l’angoisse de lendemains incertains.
J’ai connu cet état de paix intérieure, d’harmonie et d’assurance, de plaisirs partagés en famille, entre amis ou avec des collègues. D’autres, une majorité, le vivent encore aujourd’hui. Les temps sont durs pour certains, ils ne le sont pas pour le plus grand nombre. Je m’en réjouis.
Je ne suis pas homme à tirer de mon cas insignifiant des généralités. Mon parcours n’est pas comparable à celui de mon voisin ou à celui de mon ex-collègue. Ma galère m’appartient, je l’assume !
Je ne suis pas aigri, pas envieux d’un bonheur qui m’aurait abandonné trop tôt, pas desséché par les désillusions d’une vie qui m'échappe. Malgré les déconvenues et les soucis, j’ai longtemps cultivé un tempérament jovialement optimiste. Il n’était pas dans ma nature de baisser les bras et de me résigner.
Mais là, je suis cuit, vidé, lessivé, meurtri si profondément que ma blessure ne cicatrisera plus.
J’ai le sentiment, comme beaucoup d’autres, d’avoir été trahi et pire, de ne plus compter, de ne servir à rien.
Je n’égrènerai pas la liste de ceux que je considère pour responsables de ma défaite, de ma débâcle, ceux qui nous ont promis des lendemains qui ne chantent que pour eux. Je n’ai jamais cru à leurs discours, à leurs balivernes, à leurs promesses, même si parfois leur détermination me donnait quelques raisons d’espérer encore.
Je ne compte pas au rang des indécrottables sceptiques, des paranoïaques enracinés dans la défiance et le rejet systématique. Mon tempérament volontaire m’a longtemps préservé de ces travers, de ces langueurs, de ces résignations.
J’ai aimé mon pays dans lequel je me suis senti heureux et fier de vivre. Je ne l’aime plus !
Parce que je suis au chômage depuis trop longtemps ? Parce que je survis avec un minima social ? Parce que je ne peux plus m’habiller et me nourrir comme je le souhaiterais ? Parce que je suis dans l’impossibilité de m’inscrire dans cette consommation qu’on célèbre à tous les coins de rue, sur les panneaux d’affichage, à la télé ou sur les ondes radio ? Non !
Je ne l’aime plus parce que je ne m’aime plus. Parce que je n’entretiens plus d’espoir. Je me sens dépassé par les événements et les évolutions d’une société dans laquelle je pensais m’être bien intégré. Je me retrouve dans la marge, délaissé, livré à moi-même. Je n’ai plus que l’énergie du désespoir…
Enterré vivant sous le poids de mon impuissance, j’ai fini par adhérer à des idées qui n’avaient jamais été les miennes, celles qui désignent l’autre responsable de mon inconfort, de ma solitude, de ma perdition, des difficultés que je rencontre à me loger et à retrouver du boulot.
Pourquoi, moi, issu d’une souche enracinée en ces terres de France depuis des siècles, je me sens comme étranger dans mon pays ? Pourquoi, moi, petit-fils d’un soldat mort en déportation en 1943 et arrière petit-fils d’un autre porté disparu en 14-18, je me retrouve exclus d’un pays pour lequel ma famille a versé tant de sang et tant de larmes ?
En suis-je indigne parce que je n’ai pas combattu dans les tranchées de Verdun ? Parce que l’Histoire ne m’a pas donné l’occasion de résister arme à la main dans les maquis du Vercors ? Ou parce que la France s’est finalement laissée envahir pacifiquement par ceux qui y trouvent paix et prospérité pour lesquelles nos aïeux se sont battus comme des chiens !
Voilà les sombres pensées qui me traversent l’esprit, malgré moi, contre moi, malgré ma répulsion à soulager mon désarroi sur un bouc émissaire, à désigner l’autre comme responsable de mon échec.
J’ai lutté contre ce désenchantement et ses relents malsains qui ont fini par s’immiscer au plus profond de mon âme pour la pulvériser.
Il ne m’a pourtant jamais échappé que beaucoup ont participé à notre enrichissement collectif et à mon confort individuel. Certains ont même combattu à nos côtés. Nombreux sont tombés, répandant leur sang sur cette terre qui n’était pas la leur, libérant leur dernier souffle dans cet air qu’ils n’avaient jamais respiré auparavant.
Malgré ces soubresauts de bon sens et de lucidité intellectuelle, je me suis enfoncé plus profondément encore dans cette voie sans issue. J’ai parfaitement conscience qu’elle l’est, mais je m’y perds.
Là où je vis, dans une banlieue populaire, j’entends de plus en plus parler arabe, wolof, chinois, sri lankais, polonais, kurde, roumain… Ils sont de plus en plus nombreux, de plus en plus divers, de plus en plus colorés, de plus en plus voilées… Je me sens menacé, fragilisé, vulnérable, minoritaire. Des fois, souvent, quand je sors, je ne croise pas un seul blanc, je n’entends pas parler français pendant plus d’une heure. Il m’est arrivé d’être physiquement menacé par des bandes d’énergumènes qui m’empoisonnent l’existence.
Résigné à courber l’échine, à raser les murs, à ne pas lever le regard de peur qu’il soit mal interprété, je suis accablé par ma solitude, par ma différence, par leur indifférence à ce que je suis et ce que je pensais être naguère : Un honnête homme respectueux des autres ! Je me sens étouffé, écrasé par les contradictions de mon mal-être.
J’ai honte de ce que je suis devenu : un pauvre, un immigré parmi les autres, un des leurs en définitive. Cette vision m’accable, m’écartèle, me consume à petit feu.
Je ne suis pas raciste dans l’âme, pas xénophobe, mais je ne peux plus les supporter car je ne me supporte plus. Je souffre de ce que je suis devenu, moi, le travailleur français, le syndicaliste, l’Homme de Gauche… aujourd’hui en perdition.
J’appréhende de me rendre à la CAF, à la Sécu ou à Pôle Emploi. J’y vois les mêmes têtes, entends les mêmes dialectes venus d’ailleurs, croisent les mêmes regards. Je me sens plus étranger encore dans cette multitude qui m’entoure et m’oppresse. Il m’arrive de fuir, de reporter une démarche à plus tard, pour me réfugier là où ils ne me suivront pas. Pour combien de temps encore ?
Je les perçois comme des concurrents dans la course miséreuse et sans issue qui est la mienne. Je les redoute car ils me semblent mieux organisés que je le suis, plus débrouillards, plus insouciants et finalement plus joyeux. Je leur envie leur solidarité ethnique, moi le Gaulois solitaire, et leur apparente légèreté dans l’adversité, celle qui m’a abandonné depuis longtemps.
Au premier tour des municipales, j’ai pris deux bulletins : Celui du Parti de Gauche et celui du Front National. À l’heure où je suis allé voter, une quinzaine de personnes s’activaient dans le bureau de vote. Pour la première fois depuis des mois, j’étais entouré uniquement de blancs… grisonnants et blanchissants, des inactifs comme moi, sauf qu’eux sont retraités. L’ambiance était tristounette, morose, plombée, suffocante d’ennui, de lassitude et de dépit. L’anti-chambre du cimetière !
Je me suis glissé dans l’isoloir. J’ai plié le bulletin FN bien déterminé à l’introduire dans l’enveloppe. Un temps d’hésitation. J’ai saisi celui du Parti de Gauche. J’étais perdu, incapable de raisonner mon choix, dans l’impossibilité de trancher en faveur de l’un ou de l’autre.
J’ai refermé l’enveloppe abandonnant dans l’isoloir les deux bulletins.
Je suis rentré chez moi emporté par le tourbillon coloré et vociférant du marché africain qui se tient chaque dimanche matin au pied de ma cité.
Sur ma commune, l’abstention a dépassé les 43% au premier tour des municipales, la liste Front National les 26%, devant l’UMP et le PS. Celle du Parti de Gauche n’a pas atteint les 7%.
Gilles – 56 ans
Chômeur depuis 7 ans qui survit avec quelques centaines d’euros par mois.
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