Gilles, un chômeur de 57 ans, nous a gratifié d’un mémorable témoignage en avril dernier intitulé : «J’ai honte de ce que je suis devenu, un pauvre mec !». Il nous revient plus remonté encore.
Je sens que je vais encore me faire des ami-E-s. Je profite de l’occasion pour remercier Actuchomage qui a publié mon témoignage il y a quelques mois, sans trop l’édulcorer.
À en croire les éditeurs du site, mon récit a été très consulté et commenté. Celui-ci pourrait l’être tout autant. J’ai toujours scié la langue de bois à la racine !
Je m’appelle Gilles, chômeur de 57 ans (j’ai pris un an depuis avril dernier). Je survis avec trois fois rien dans une HLM minable, en banlieue d’une grande ville. Ma situation ne s’est pas améliorée, au contraire.
À mes galères du quotidien que beaucoup ici partagent, sans autre perspective que d’attendre des jours meilleurs qui ne viendront probablement pas, s’ajoute une bonne grosse ambiance de merde dans laquelle je n'avais jamais pataugé en un demi-siècle d’existence. Une ambiance bien oppressante, bien pesante qui, comme l’estime André Bercoff dans son dernier bouquin «Tapie, Le Pen, la France et moi», pourrait prochainement conduire à l’implosion de la société française.
Mais je ne suis pas là pour commenter un essai que je n’ai pas lu (j’ai juste entendu Bercoff à la radio). Je veux vous donner mon sentiment, celui d’un mec athée, ex-syndicaliste enraciné à gauche, séduit un temps par le Front National parce que j’estime qu’il aborde de réelles préoccupations auxquelles les autres partis refusent de répondre. Un autisme qui justifie en partie ses succès électoraux aux municipales, européennes et sénatoriales.
Si cette démission républicaine et la défiance qui en résulte participent à plomber plus encore l'ambiance délétère que j’évoquais plus haut, elles ne constituent pas l’objet de ce coup de gueule.
Ce qui me met la rage, c’est l’intrusion insupportable du fait religieux dans le débat public. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une intrusion mais d’une cannibalisation. Depuis le début de l’année 2014, on ne parle que de ça à longueur de journée. Et moi, comme beaucoup d’autres, je n'en ai rien à foutre. Mais alors RIEN !
Comme si on cherchait à m’imposer les problèmes des autres, à moi qui n’ai rien demandé à personne. Certes, je ne suis pas contraint d’allumer la télé, la radio ou d’ouvrir un journal, mais même en fermant les écoutilles, toute cette merde me remonte au nez. C’est irrespirable ! 2014 l’est particulièrement. Je crains que 2015 et les suivantes le soient tout autant et plus encore.
Ça a commencé avec l’affaire Dieudonné, son spectacle Le Mur et sa quenelle anti-système, anti-sioniste ou antisémite selon. Pendant des mois, on nous a bassinés avec ça. Et quand monsieur M’bala M’bala n’a plus fait la Une de l'actualité, ce sont les bombardements de la Bande de Gaza qui ont pris le relais, avec leur lot de manifestations de soutien aux Palestiniens d’un côté, aux Israéliens de l’autre, et leurs débordements détestables.
Ce conflit, ça fait 57 ans qu’il me prend la tête, en pure perte vu que sur le terrain, en Palestine, rien ne change. À une variante près, aujourd’hui cette guerre coloniale et religieuse se joue aussi sur le territoire français, au pied de mon taudis.
Moi, je ne suis pas Palestinien, pas Israélien. Je n’appartiens pas au Peuple élu d’un Dieu auquel je ne crois pas. Je ne suis pas le fils d’un Prophète dont je n’ai jamais lu un verset. Je m’en fous, vous comprenez ? Pas tant que ça finalement car, malgré moi, je ne peux me soustraire à l’envahissement de mon espace vital.
Ouais, je sais qu'il ne faut pas faire l'amalgame entre juifs et Israéliens, entre israélites et sionistes. Mais j’en ai ma claque d’entendre dans les médias ces mecs nous vanter, main sur le cœur, les vertus de l’état d’Israël qui bafoue ouvertement, depuis des décennies, les résolutions de l’ONU et pratique l’apartheid. Les ignominies et les souffrances du passé ne justifient en rien l’écrasement d’un peuple désarmé et miséreux. D’autant que ces donneurs de leçons sont souvent les premiers à stigmatiser le patriotisme français, tout en encensant le nationalisme israélien. Les plus convaincus n’hésitent pas à s’engager sur le terrain de la répression, dans les rangs de Tsahal l’armée d’Israël. Plus nombreux encore sont ceux qui la soutiennent financièrement. Ce mélange des genres entre religion, nationalisme et expansionnisme colonial est détestable, surtout quand il est pratiqué par des citoyens français. Il alimente les tensions communautaristes.
Ouais, je sais qu’il ne faut pas faire l’amalgame entre Islam et Islamistes radicaux. J’ai compris le message qu’on nous martèle au quotidien. D'ailleurs, je connais une multitude de musulmans sympas. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans mon quartier, ils sont majoritaires. Mais les comme moi qui n’en ont rien à foutre de la religion, ils se comptent sur les doigts de la main.
Où que j’aille, au marché, à la CAF, chez Pôle Emploi, dans la rue, j’ai souvent le sentiment d’être en Afrique du Nord ou au Proche-Orient. Chaque année, les femmes voilées sont plus nombreuses, comme les prédicateurs de rue qui font de la retape pour l’imam local. Et celles qui s’autorisaient quelques «excentricités vestimentaires», à savoir porter une jupe un peu courte ou un chemisier évasé, se cachent maintenant par crainte des injures et des représailles. C’est comme ça, c’est la réalité !
Si chacun est libre de se conformer aux exigences réelles, supposées ou imposées de sa religion, cette foi doit-elle envahir mon environnement ? Je m'y refuse !
Ai-je au moins le droit de l’exprimer ? Oui sur le papier ou dans la virtualité d’Internet, mais pas sur le terrain de ma vie quotidienne. Je me ferais lyncher !
Comme si cela ne suffisait pas à me prendre la tête, après avoir grandement contribué à mettre le bazar en Libye (et ailleurs), mon pays, la France est aux avant-postes de la lutte contre les djihadistes au Mali et en Syrie, tout en affichant une indiscutable complaisance à l'égard d'Israël. Et à quoi assistons-nous ? Au départ de centaines de jeunes Français vers les zones de combat, qui reviendront un jour ou l’autre dotés d’une solide formation au maniement des armes et des explosifs. Je crains que l’attaque du Musée juif de Bruxelles par Mehdi Nemmouche ne soit qu’un signe avant-coureur de ce que nous réserve l’avenir.
On en arrive à une situation absurde, inédite : À l’heure où je vous écris, nos Rafale et Mirage bombardent probablement des combattants de nationalité française.
Et croyez-moi, contrairement à ce que l’on essaie de nous inculquer, la communauté musulmane ne condamne pas unanimement l’engagement djihadiste de certains. Dans mon quartier, une majorité de jeunes s’est réjouie des attentats du 11 septembre 2001. Beaucoup virent en Ben Laden le porte-parole de leur reconnaissance. Aujourd’hui, autant espèrent que la coalition internationale échouera dans sa lutte contre l’État islamique, maintenant appelé Daech. Je vous le garantis !
Quant à l’exécution d’Hervé Gourdel en Algérie, certains dans mon quartier estiment que les Français n’ont plus à mettre les pieds dans un pays musulman, même pour pratiquer le trekking. Je ne dis pas qu’ils cautionnent massivement cet abominable assassinat. Disons qu’ils le replacent dans le contexte d’un affrontement entre un pays occidental et une partie du monde musulman. Les frappes aériennes des uns justifiant alors les crimes des autres.
Je vous entends déjà : «Le Gilles, il vire grave facho, même s’il s’en défend». Et moi je leur réponds : Pas du tout !
Concernant le conflit israélo-palestinien, le Front National soutient ouvertement Israël et son droit à l’autodéfense contre le Hamas que je considère, moi, comme un mouvement de résistance à la colonisation. Si cette organisation est animée de convictions religieuses extrémistes, elles ont été nourries par des décennies d’occupation, de frustrations et de brutalités.
Par ailleurs, j’estime que la France n’aurait jamais du intervenir en Libye. Elle a outrepassé le mandat que lui a confié l’ONU (la défense de Benghazi assiégée par les troupes de Kadhafi). En participant à la chute du régime libyen, elle a précipité une partie du Sahel dans le chaos, reproduisant le scénario que les stratèges américains ont réservé à l’Irak avec le succès qu’on mesure aujourd’hui.
Mais si j’estime que les Français (encore majoritairement chrétiens) n’ont pas à intervenir dans des affaires qui concernent des pays souverains (généralement musulmans), je n’accepte pas que la France devienne le théâtre de tensions communautaristes et de propagandes religieuses.
Nous avons mis des siècles à nous affranchir de l’écrasante domination de l’Église catholique, ce n’est pas pour subir les diktats, croyances et rites du judaïsme et de l’islam, pas plus que ceux de la chrétienté.
Je ne supporte plus celles et ceux (de plus en plus nombreux) qui se réfèrent à leur appartenance religieuse, avant de nous asséner des leçons de tolérance.
Si les grandes religions monothéistes étaient tolérantes, ça se saurait depuis longtemps. Nous ne serions pas dans le merdier dans lequel nous nous enfonçons.
Plus généralement, je ne supporte plus qu’on m’inflige toutes les misères du monde auxquelles je devrais être sensible et solidaire, alors que personne (ou si peu) se soucie des miennes.
Je ne suis pas et n’ai jamais été égoïste, focalisé sur mon petit confort intellectuel et matériel. Au contraire. Je me suis longtemps investi et engagé en faveur d’un idéal humaniste et solidaire. J’ai lutté dans des collectifs, participant à mon petit niveau à faire bouger les choses. J’ai parfois gagné et souvent perdu.
Mais depuis quelques années, alors que je suis happé par la spirale du déclassement social et fragilisé par mon mal-être psychologique et financier, il ne se passe pas un jour sans qu’on m’empoisonne un peu plus l’existence avec des conflits, des tensions, des situations sur lesquels ma responsabilité et mon pouvoir d’intervention sont nuls.
Et moi qui jurais naguère pendre le dernier curé avec les tripes du dernier patron, on m’inflige de la Torah, de la Bible, du Talmud, du Coran… en toute occasion. On exige de moi de la compassion et de la générosité pour les Roms, les clandestins, les sans-papiers, les sans-voix, les sans-le-sou… du monde entier, que je devrais accueillir à bras ouverts, faute de quoi je ne suis qu’un ignoble réactionnaire, xénophobe, raciste et égoïste… avec mes 400 euros de RSA par mois.
Et si jamais il me prend la mauvaise idée d’exprimer mes vues, je suis catalogué au rang des fachos, alors que je ne pourris la vie de personne et qu’on ne cesse de pourrir la mienne.
Merci de m’avoir lu.
Gilles – 57 ans
Chômeur depuis 8 ans qui survit avec quelques centaines d’euros par mois.
==> Lire l’autre coup de gueule de Gilles : «J’ai honte de ce que je suis devenu, un pauvre mec !»
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