«Le CPE marchera», affirme le premier ministre, de plus en plus esseulé, qui en veut pour preuve le «succès» de son grand frère, le contrat nouvelle embauche (CNE), lancé en août dernier. Mais, l’optimisme du gouvernement risque une nouvelle fois d’être entaché par les déboires du CNE. Depuis plusieurs semaines, en effet, les plaintes s’accumulent dans les services juridiques des organisations syndicales et sur le bureau des prud’hommes.
À Longjumeau, le 20 février dernier, un employeur a même été condamné pour usage et rupture abusive d’un CNE. En Bretagne, la CGT du Finistère a décidé de saisir les prud’hommes de Quimper après la rupture de 14 contrats nouvelle embauche dans un commerce de discount de Douarnenez au nom prémonitoire de Bazarland. «Sur les 23 salariés embauchés en CNE en quatre mois, 14 ont été licenciés, explique la CGT, 3 sont partis pour non-respect des clauses du contrat et 1 a démissionné.»
Licenciée en deux minutes, sans raison
Ainsi, Vanessa, licenciée «en deux minutes» : «Le 5 janvier, après une matinée normale, la femme du gérant m’appelle dans son bureau. Elle me donne mon bulletin de salaire et me dit que ce n’est pas la peine de revenir travailler l’après-midi.» Terminé. Sans raison. «Elle m’a, entre autres, reproché de ne pas être venue un jour de repos pour remplir un rayon.» Les témoignages sont accablants : une autre salariée aurait été virée parce que le patron a cru entendre le mot «dégager» dans son annonce au micro pour demander à un client de ranger son véhicule. Un autre aurait pris la porte parce qu’il rechignait à accepter toutes les heures supplémentaires. «De toute façon, le gérant m’a dit : je ne suis pas à un licenciement près !», affirme Vanessa.
«Le 22 novembre, la veille de l’ouverture du magasin, nous avons travaillé plus de 18 heures d’affilée, jusqu’à 3h15 du matin... Le lendemain, nous étions là à 8 heures, pour travailler encore pendant 9 heures cinquante minutes.» Les salariés avaient tous signé un contrat de 30 heures hebdomadaires. «Un mois, j’ai travaillé 232 heures», dit une salariée. Une autre parle de 252 heures. «J’avais fait 16 heures supplémentaires, raconte Laurence, secrétaire comptable. J’ai été payée le mois suivant, mais sans majoration.» Tous les matins et tous les soirs, les vendeuses prennent un quart d’heure en plus pour compter leurs caisses. Soit une demi-heure «gratuite» par jour.
Vanessa, Laurence, Delphine, Cathy, Henri et Sandrine, les six salariés qui saisissent les prud’hommes, dénoncent tous des conditions de travail déplorables. Cinq d’entre eux ont été, à un moment ou un autre, en arrêt maladie. Beaucoup parlent de «harcèlement moral». «Je me faisais critiquer, traiter d’incompétent, de pas mûr et sans aucune expérience», dit l’un d’eux. «Le patron et sa femme disaient toujours qu’on était des fainéants», ajoute une autre. Selon Laurence, «ils nous donnaient des surnoms. Moi, c’était Mémère. Une autre, c’était Bébête.»
«Tous les matins, explique Vanessa, on se demandait qui allait se faire licencier, qui allait être insulté... Delphine vomissait tous les matins avant de venir travailler.» Elle est convaincue qu’avec un CDI ou un CDD, jamais leur patron n’aurait pu se comporter ainsi. «Il licenciait à tout-va, raconte Laurence. À part la rémunération, j’avais plus l’impression d’être en stage qu’autre chose. Cela a fini par tellement me peser que je lui ai demandé si tout était légal. Il m’a répondu : Le CNE est fait pour cela.» Vanessa renchérit : «Le CNE est un bond en arrière. C’est important pour nous de savoir pourquoi nous sommes licenciés, pour avancer, admettre nos erreurs... Cette histoire me dégoûte un peu du monde du travail.» Sandrine acquiesce et conclut : «C’est bien ce que font aujourd’hui les étudiants contre le CPE.»
Le gérant du Bazarland de Douarnenez, Bruno Blanchain, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
par Lénaïg Bredoux pour L'Humanité.
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