Par seize jugements à la motivation implacable, le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné l'Etat français à verser des dommages et intérêts allant de 1.500 à 8.500 euros, outre une indemnité de 2.000 euros pour les frais de procédure engagés, à des salariés victimes de procès prud'homaux aux délais déraisonnables.
"Il relève du devoir de l'État de mettre à la disposition des juridictions les moyens nécessaires à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables, et ce délai résulte manifestement du manque de moyens alloués à la juridiction prud'homale. Le déni de justice invoqué par le demandeur est caractérisé."
Ces 16 plaintes, qui aboutissent déjà à plus de 100.000 euros de condamnations contre l'Etat, sont les premières tranchées sur les 71 assignations qui ont été placées le 15 février 2011 devant le Tribunal de Grande Instance de Paris saisi de plaintes déposées contre l'Etat par des salariés confrontés à des délais de procédure qui ne leur permettent pas d'être entendus dans des délais raisonnables.
Leurs avocats, tous membres du Syndicat des Avocats de France, dénoncent le manque de moyen dont pâtit la justice sociale, réduite à imposer aux justiciables des procès excessivement longs au point d'aggraver encore le préjudice déjà subi par leurs clients.
Le SAF, les syndicats de salariés CGT, FO, CFDT, Solidaires et UNSA, le Syndicat de la Magistrature et les Ordres des Avocats de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et de Paris-Barreaux, interviennent aux côtés de ces salariés victimes.
La prochaine audience au cours de laquelle les dossiers suivants seront plaidés, avec les interventions volontaires des Syndicats et des Ordres, se tiendra le 15 février prochain à 13h30. Un an après le dépôt des 71 assignations, quatre ans après la réforme de la carte judiciaire et de la décision de supprimer 62 conseils de Prud'hommes en France...
Il est important que cette audience bénéficie de l'écho qu'elle mérite. Justiciables, Syndicats, Avocats, Magistrats, Conseillers prud'hommes : Tous présents au Palais de Justice de Paris le 15 février prochain pour rappeler à l'Etat que la justice sociale est une priorité qu'il ne peut continuer à ignorer !
POURQUOI DÉNONCER LES DÉLAIS EXCESSIFS DE PROCÉDURE :
Alors que le procès prud'homal doit permettre aux salariés de défendre leurs droits au regard de créances alimentaires nécessaires au quotidien ou de leur privation d'emploi, l'accès au juge ne leur est plus assuré qu'aux termes de longs mois de procédure, qui se muent bien souvent en longues années d'attente. Un cadre attend plus de 2 ans pour que son affaire soit entendue à Nanterre. Pour plaider de nouveau son dossier devant le juge départiteur, un travailleur de la Seine-Saint-Denis attend entre 2 ans et demi et 3 ans. Plus généralement, il est monnaie courante que s'écoulent au moins 10 à 12 mois entre l'audience de conciliation et l'audience de jugement, et après les plaidoiries, il faut encore patienter des mois pour obtenir le prononcé de la décision (il n'est d'ailleurs pas rare que les délibérés soient plusieurs fois prorogés) puis l'envoi du jugement, qui prend encore le plus souvent plusieurs semaines.
Un salarié qui demande la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée n'a pratiquement aucune chance d'obtenir un jugement avant la fin de son contrat et, exclu de l'entreprise, ne peut exiger son maintien dans l'emploi et doit se contenter d'une indemnisation, alors que le Code du travail prévoit qu'il devrait être entendu en urgence dans un délai d'un mois qui n'est presque jamais respecté, à défaut de sanction.
De même, les conseils de Prud'hommes ne sont que trop rarement en mesure de trancher les contestations portant sur les licenciements économiques dans le délai de 7 mois prévu par la Loi, délai qui reste là encore théorique et sans sanction.
Devant la Cour d'appel, les délais sont souvent de deux années pour qu'une affaire soit entendue, en étant le plus souvent convoqué devant un juge unique et non en audience collégiale, l'exception devenant la règle dans la pratique des cours d'appel qui manquent de magistrats.
Cette lenteur extrême des procès a un effet pervers évident sur les perspectives de négociation, les employeurs n'ayant aucune motivation à régler vite des conflits qui s'éternisent et leur donnent du temps, certains faisant d'ailleurs l'objet d'un redressement judiciaire ou d'une faillite avant qu'une décision de justice n'intervienne...
Si négociation il y a, les salariés confrontés aux situations de précarité les plus lourdes se trouvent contraints de transiger bien en-deçà de leurs droits pour obtenir un règlement plus rapide.
Les exemples de délais excessifs sont si nombreux que devant certains Conseils, ils sont même devenus la règle, tant leur engorgement et leur manque de moyens peuvent être aigus. A l'occasion de leurs rentrées solennelles, nombre de Présidents de Conseils le soulignent ainsi chaque année dans leurs discours, déplorant l'allongement dramatique des délais de procédure.
Certains tribunaux des Affaires de Sécurité sociale connaissent eux aussi les mêmes dérives, avec des procédures de deux, voire trois ans, alors qu'ils sont là encore saisis par des salariés confrontés à des drames humains et financiers critiques, notamment en cas de maladie professionnelle ou d'accident du travail.
L'article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales garantit pourtant que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial», la Cour Européenne rappelant que les conflit du travail «portant sur des points qui sont d'une importance capitale pour la situation professionnelle d'une personne doivent être résolus avec une célérité particulière».
De nombreux salariés contestent donc ce déni de justice en engageant la responsabilité de l'Etat, puisque l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire énonce que «l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice».
Par le passé, plusieurs condamnations de l'Etat sont intervenues. Mais il est temps que ces actions sortent de l'isolement et de la confidentialité et que le débat s'ouvre collectivement et publiquement sur ces délais excessifs qui ne sont que la conséquence du manque de moyens matériels et humains de la justice prud'homale.
Ces 71 justiciables, leurs avocats et l'ensemble de ces organisations professionnelles, rappellent ainsi leur profond attachement à l'institution prud'homale, et leur volonté de réclamer que la Juridiction perdure et fonctionne avec les moyens qu'elle mérite.
(Source : Le SAF)
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