A droite, un patron. A gauche, un employé. Il ne se regardent pas, ou très peu, argumentent en parallèle, parfois assistés d'un avocat ou d'un syndicaliste. Petites misères et lancinantes douleurs du monde du travail se soldent là, devant le juge, aux Prud'hommes. C'est dans son pays que le documentariste suisse Stéphane Goël est allé recueillir ces témoignages parfois insoutenables. Le système juridique y est légèrement différent de celui que nous connaissons en France, mais le sujet est universel : licenciements abusifs, travail au noir, harcèlement, injures, heures supplémentaires non payées, tout un cortège d'injustices, de souffrances et de frustrations.
Du tribunal au bureau de l'inspecteur du travail, une mosaïque de regards et de récits dresse un portrait juste et fort de la précarité actuelle. Le cinéaste filme à la manière de Raymond Depardon : sans commentaire, en toute discrétion, laissant un plan s'étirer quand c'est nécessaire, captant à la source le tragique comme l'anodin. Cette scène de théâtre d'un genre particulier nous plonge au cœur d'un ballet de vérités et de mensonges, dialogue de sourds, parole contre parole. Chauffeur routier alcoolique, employée clandestine, garagiste en colère, jeune homme renvoyé à cause de ses nombreuses absences, dues, dit-il, à des allergies : toute la comédie humaine se joue là, reflet de la société d'aujourd'hui. Le conseil de Prud'hommes cherche à débrouiller l'écheveau des mots, à trouver un arrangement, financier, humain. Et le film rend hommage aux efforts de ceux qui, dans cette administration, tentent chaque jour d'apporter un peu d'équilibre à notre société en crise.
Les conflits de travail concentrent évidemment bien d'autres violences : le traitement de l'immigration, la condition des femmes (une chimiste renvoyée le lendemain de son retour de congé maternité), le stress aigu des cadres dans les grandes entreprises, l'exploitation des ouvriers dans les usines... «L'esclavage, vous savez, ça n'existe plus», a dit une jeune Sénégalaise à son chef, qui lui faisait vivre un calvaire dans la boucherie industrielle où elle était employée. Après des semaines et des semaines de conflit, elle a obtenu gain de cause devant le conseil de Prud'hommes. Enfin...
Entre deux audiences, le film s'attarde rêveusement dans la salle des pas perdus, espace neutre des bâtiments administratifs, où glissent, comme des fantômes, quelques silhouettes en attente d'une vie meilleure.
Cécile Mury pour Télérama
La bande-annonce :
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