Les gouvernements jouent, depuis quelques années maintenant, avec ces sentiments de basse fosse que sont la xénophobie, la jalousie et la peur de l’autre, la dénonciation comme pratique morale. Ils font payer le prix de nos frustrations aux étrangers en situation irrégulière, ces êtres démunis dont la condition humaine est la plus effroyable d’entre nous. Ils s’adressent à nos peurs : celles de l’altérité, de l’étranger, du différent. Rejetons loin de nous ce qu’on ne connaît pas et qui nous inquiète !
L’objectif inavouable est clair : faire endosser la responsabilité de notre mal-être social à des boucs émissaires silencieux que l’on va renvoyer loin de chez nous, mais plus chez eux non plus. Mais ça on s’en fout ! Histoires sans parole.
Poursuivant cet objectif, les gouvernements tentent régulièrement d’embrigader les services de l’Inspection du travail dans leur politique de traque des étrangers.
Pourtant, l’Inspection du travail n’est chargée que de la protection des travailleurs et rien d’autre ; de la protection de TOUS les travailleurs et a fortiori des plus faibles que sont les travailleurs sans titre.
La loi est d’ailleurs parfaitement claire à cet égard et l’article L8256-2 du Code du travail prévoit que «le fait pour toute personne […] d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France […] est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 15.000 €».
C’est clair : l’employeur qui embauche sciemment un travailleur sans-papier est passible de peines d’emprisonnement. Quant au salarié illégalement embauché, il est quant à lui considéré comme régulièrement embauché «au regard des obligations de l’employeur» (article L8252-1). Mais ça, ça n’est que la loi. La pratique dit le contraire !
La grève des sans papier de la restauration a d’ailleurs mis en lumière cette réalité d’un nouvel esclavage : sans papier, un travailleur n’existe pas. S’il n’existe pas, aucune loi ne le protège : pas minima de salaires, pas de règles sur les conditions de travail.
Des représentants d’organisations patronales de la restauration sont montés au créneau médiatique pour se dire solidaires de la grève de leurs salariés sans papiers pour être «régularisés». Pourtant, c’est bien l’employeur qui est délinquant dans ce cas.
Personne n’a relevé que les auteurs de ces déclarations couvrent des infractions d’emploi d’étrangers sans titre de séjour et ont le culot de se présenter dans la presse comme de «bons pères de famille», réclamant la protection de l’Etat pour leurs salariés, alors qu’ils ont embauché des travailleurs plus que précaires dans des conditions inacceptables punies par la loi.
La France des droits de l’homme est une foutaise, une coquetterie du verbiage politique contemporain pour lequel les mots n’ont plus de sens en n’engagent que ceux qui les écoutent. La France devient un pays raciste et xénophobe.
Les gouvernements tentent d’instrumentaliser l’Inspection du travail dans leur combat pour la traque des étrangers sans papier, malgré l’opposition active des agents concernés. Opposition qui amuse, au pire agace les gouvernements qui s’en contrefiche au fond et continue l’abattage. Tant que la gronde ne vient que de l’intérieur, de la société civile, de ce peuple un peu frondeur qu’ils connaissent bien et qu’ils ne craignent même plus, ça n’a aucune importance.
Et bien c’est de l’extérieur que la France se fait taper sur les doigts comme un mauvais élève !
Le Bureau International du Travail, émanation de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) vient, dans son «Rapport de la commission d’experts pour l’application des conventions internationales» à la 98e session de la Conférence internationale du travail, d’épingler la France pour ses pratiques.
La haute commission rappelle à la France amnésique que «l’infraction d’emploi illégal n’est, en soi, opposable qu’au seul employeur, les travailleurs concernés étant, en principe, considérés comme des victimes».
Elle demande «la prudence quant à la collaboration entre l’Inspection du travail et les autorités en charge de l’immigration».
La commission fait gravement observer que «le fait que les inspecteurs soient embrigadés et dirigés par des fonctionnaires dépendant d’autres organes publics que leur autorité centrale […] pour la réalisation d’opérations conjointes dont le but est incompatible avec l’objectif de l’Inspection du travail, constitue une transgression du principe d’indépendance inscrit dans la convention et vide de son sens le droit de libre décision ainsi que le principe du traitement confidentiel de la source des plaintes».
Elle qualifie les pratiques françaises en concluant : «Cela subordonne l’exécution des propres priorités de l’autorité centrale d’Inspection du travail à celles des autorités de lutte contre l’immigration clandestine». Une conclusion sans équivoque.
Ouf ! On souffle ! Un peu de bon sens, enfin ! Cette bouffée d’air frais vient redonner un peu de douceur à ce printemps morose de crise, de peurs, d’angoisses entretenues et exacerbées qui endeuillent la France.
Heureusement l’Etat, ce n’est pas le gouvernement. L’Etat, c’est la collectivité des Français et la France c’est une notion abstraite qui n’appartient à aucun gouvernement.
Et c’est toujours le pays des droits de l’homme.
Nous venons de prendre une raclée sur les droits de l’homme par une organisation internationale, et non la moindre puisqu’elle est issue de l’ONU. C’est honteux pour nous, c’est clair mais c’est salvateur, car une Inspection du travail embrigadée au service de la chasse aux migrants illégaux, ce n’est plus une Inspection du travail. Nous ne voulons pas travailler pour un Etat xénophobe.
L’étranger, c’est nous. C’est celui qui, un jour donné, n’appartient pas au bon groupe, au groupe dominant. L’étranger c’est vous : c’est celui qui, un jour, perd son emploi et qui devient un étranger pour les autres, les «travaillants», les bien pensants qui le regardent de travers. C’est celui qui ne pense pas comme la majorité et qu’on regarde de travers de peur que les bien pensants nous surprenne à penser différemment, comme lui, minoritaire. C’est celui qui va divorcer, qui va devenir étranger à la majorité, aux gens mariés, aux «normaux», aux bien pensants. C’est celui qui est ou devient handicapé, qui devient différent de l’apparence du groupe majoritaire, les «bien portants», les biens pensants, ceux qui désormais le repoussent et auxquels il devient étranger. C’est celui qui est ou devient homosexuel, qui devient étranger aux «normaux», les biens pensants.
C’est les faibles, les différents, les minoritaires, les petits, les moches, les gros, les handicapés, les chômeurs, les blondes, bref : tous ceux qui sont stigmatisés comme hors de la norme médiatique et médiocre : c’est ça, l’étranger…
Relire Camus de toute urgence ; Défendre l’étranger. Défendre l’étranger parce que ce n’est pas qu’une nécessité morale, c’est une nécessité de survie de la cohésion du corps social et de notre humanité.
Sans ça, nous redeviendrons des animaux.
Et rappelons-nous le poème de Martin Niemoller : «Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste… Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste… Quand ils sont venus chercher les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social démocrate… Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif… Quand ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester».
Les inspecteurs et contrôleurs du travail de ce pays croient en leur métier, au sens du service public et la protection des droits des travailleurs. Les gouvernements s’amusent de cette foi, bien éloignée de leur recherche effrénée et déshumanisée pour entrer dans la cour du pouvoir et de ceux qui désignent nos «étrangers», ceux que nous devons bannir de notre vie pour être acceptés par le groupe, être enfin «comme les autres».
Etre inspecteur ou contrôleur du travail, c’est veiller à l’application d’un droit qui protège la faiblesse de l’Homme, son droit à la différence, le droit à la faiblesse aussi.
Merci au Bureau International du Travail pour son courroux salvateur.
Bruno LABATUT-COUAIRON, inspecteur du travail et Président de la CFTC de l’Inspection du travail
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