Cheynet se concentre sur la critique des médias, propriétés en majeure partie de "puissances économiques" qui ont intérêt à cautionner cette "doxa dominante", à nous pousser dans le sens de "la croissance et de la consommation sans limite". Les vrais limites sont pourtant bien réelles, concrètes et palpables : celle de vivre dans un espace fini (la terre) et d'aller au pas de course face à un mur (la fin des réserves naturelles). L'idée de décroissance et d'anti-productivisme est dès lors déconsidérée, ostracisée, peu relayée, etc.
L'obsession de la croissance… et du surtravail
Mais il y a, me semble-t-il, un autre angle à prendre, un autre terrain où ce débat devrait naître et se développer de façon contradictoire : l'entreprise elle-même, le monde du travail, pardi ! Car cette obsession de la croissance permanente va avec ses corolaires dans le cadre de l'organisation du travail, de notre façon même de penser notre vie en société. D'autres maux en découlent en effet, que nous subissons tous :
• l'obsession de la productivité avec l'idée que la consommation nationale est un ventre sans fin qu'il faut gaver, au sortir des chaînes de production matérielles (héritage du fordisme et du taylorisme) mais aussi servicielles (immatérielles). Avez-vous déjà visité un call center ? On y comprend de suite cette folie furieuse du "toujours plus, toujours plus vite" pas si éloigné du stakhanovisme...
• l'obsession de la performance, exprimée dans les + 20% et + 30% fixés comme objectifs permanents par des directions et managers qui perdent le sens de la mesure et, surtout, ne donnent pas les moyens de les réaliser… d'où la prise en étau.
• l'obsession de l'évaluation, modèle anglo-saxon de plus en plus imposé chez nous, qui place l'audit en méthode de management opérationnel et l'évaluation des salariés (avec entretien et notation) en outil RH incontournable.
• l'obsession du paraître : sur-travailler, sur-produire, sur-consommer… tout cela a aussi ses codes, son langage, son imaginaire. Qui s'expriment par des vestimentaires dispendieux, 4x4 imposants, panoplie high tech envahissante...
• l'obsession de la possession, qui est aussi une forme de névrose, de course à combler un manque (lequel ?) inscrit dans notre éducation même. Les "anciens" accumulaient les denrées alimentaires par réflexe en ayant connu le manque sous la guerre; les "jeunes" accumulent par habitude et rythmique, sans plus de discernement.
Le consumérisme pour unique horizon ?
A l'étage supérieur, nous entrons au cœur d'une certaine rhétorique libérale qui bouleverse les repères, déstabilise et bloque toute contestation. Et qui a eu des précédents. [...] Non seulement on baigne dans le culte de la croissance permanente, mais en plus on nous fait perdre les repères évidents sur ce qu'elle embrasse.
Le journaliste - Fabrice Gaudiano, de la rubrique économique de la RSR -, qui s'exprimait en contrepoint après Cheynet ce lundi matin, relativisait aussi grandement sa critique. Un peu comme une douche froide après "l’enfièvrement" de la pensée. Pour lui, le modèle est très aisé à comprendre, il ne souffre pas d'analyse socio-comportementale compliquée ni de façon de couper les cheveux en quatre. Son équation : «Si les gens ne consomment pas, il n'y a pas de croissance, s'il n'y a pas de croissance les entreprises ferment et les gens se retrouvent au chômage… c'est aussi simple que cela». La boucle est bouclée ? Cet horizon est unique ?
Sans aller jusqu'au "détravail" ou à "l’anti-travail", on pourrait sans doute repenser notre façon de nous imaginer, de bâtir nos vies et nourrir nos projets. Encore une fois, replacer l'humanisme au cœur de nos actions.
Laurent Dupin pour Serial Worker
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