Le petit livre de Stéphane Hessel a fait des émules : tout le monde ose s'indigner… mais dans son coin et, parfois, en tirant sur l'ambulance.
C'est en France, patrie des Droits de l'homme et des acquis du Conseil national de la Résistance, que le best-seller de Stéphane Hessel a d'abord été publié, propageant son message avec succès hors de nos frontières où la crise fait partout des ravages. Alors qu'en Espagne, en Grèce, au Portugal et ailleurs en Europe, des "Indignés" ont défilé en masse dimanche 19 juin, à Paris, ils n'étaient que 500. Pourquoi ?
On peut certes incriminer l'omerta médiatique, ses artisans étant clairement de mèche avec le pouvoir actuel. On peut aussi estimer que les Français sont globalement moins touchés par la crise que certains de leurs voisins, ce qui est vrai : notre modèle social — que l'UMP et le Medef s'évertuent à détruire — a servi d'amortisseur, et tant qu'il reste encore un bout de bifteck au fond de son assiette, on le mange en silence et en baissant la tête de peur de se le voir ôter, quand bien même l'assiette d'une frange grandissante de ses compatriotes est désormais vide.
La peur et l'individualisme sont au cœur du phénomène. A notre niveau, alors que nous nous adressons principalement à ces citoyens dont l'assiette a été vidée, nous le constatons aussi. Il paraît que, quand on n'a plus rien à perdre, on ose enfin se rebeller. Mais cette rébellion est, elle aussi, gangrénée par un individualisme et une passivité hélas bien installées.
Les “moi je, moi je” et les “yaka faucon”
Au moins deux fois par an, sur nos forums, débarquent de nouveaux lecteurs qui s'indignent des attaques du gouvernement à leur encontre et s'interrogent sur la non mobilisation de leurs semblables. En général, ces personnes — pleines de colère et d'enthousiasme mêlés — nous reprochent notre impuissance et viennent nous prodiguer des conseils, souvent naïfs ou éculés, pour améliorer notre organisation et gagner en efficacité, alors qu'elles n'ont jamais été frapper à la porte d'une association de défense des chômeurs (comme AC!, le MNCP, l'APEIS ou la CGT-Privés d'emploi) afin de leur filer concrètement un coup de main et acquérir dans la foulée une expérience du militantisme dans ce milieu spécifique. Elles en ignorent les difficultés et, au final, quand on les leur expose, à l'issue de débats fastidieux elles nous accusent de défaitisme, tant il est facile de tirer sur l'ambulance quand on reste planqué, anonyme, derrière son ordinateur. Ces personnes, nous les appelons les “yaka faucon”.
Il y a aussi les “moi je, moi je”. Régulièrement, en commentaires d'articles, ils se plaignent et nous demandent CE QUE NOUS COMPTONS FAIRE POUR EUX. Car il est évident que c'est à nous, petite association en sous-effectif et désargentée, d'agir en leur nom pendant qu'ils s'indignent derrière leur PC. Cas récents d'indignation : la suppression de l'AER (qui a donné lieu à des écharpages sans fin), ou la taxation de 3% sur l'épargne disponible des allocataires du RSA. Outre poster des commentaires, certains nous écrivent pour se lamenter et nous demander d'entreprendre des actions collectives.
Nous leur répondons que :
• actuellement et plus que jamais, nous ne disposons ni des moyens humains, ni des moyens financiers pour engager ces actions;
• que, par faute de bonnes volontés prêtes à s'engager et prendre les choses en main, nous nous sommes recentrés sur notre vocation première en tant que site d'information sur le chômage et ses conséquences, ainsi que relais de l'actualité militante au cas où ils voudraient mettre leur indignation en pratique;
• que, peut-être, les autres grandes associations ayant pignon sur rue seraient mieux loties que nous pour cela, bien qu'elles manquent de bras elles aussi...
De l'indignation à l'ingratitude
«Nous aurons le sort que nous méritons», avertissait un militant d'AC! à l'époque des Recalculés. Aujourd'hui, les chômeurs sont passifs — même si on peut les comprendre… — mais surtout égoïstes, attendant qu'une poignée de volontaires s'engagent et luttent à leur place. Ce sont toujours les mêmes qui se dévouent pour les autres qui, de leur côté, attendent tout d'eux, et sans se mouiller (à noter qu'en entreprise, c'est exactement pareil : la plupart des délégués du personnel servent de bouclier à des lâches fort peu reconnaissants. Sauf que ces délégués sont salariés, protégés, et autorisés à agir dans un cadre bien défini; ce qui n'est pas le cas des bénévoles des associations, eux mêmes chômeurs en difficulté).
L'exemple de la prime de Noël est emblématique : un membre d'AC! avait d'ailleurs publié un billet que nous avons repris, intitulé De l'ingratitude du chômeur ordinaire. Tout est dit. Ces victimes de l'injustice sociale, amenées à se réveiller, estiment que ce que les associations pourraient "faire pour elles" est un dû alors qu'elles sont essentiellement constituées d'animateurs plongés dans la même situation, si ce n'est pire.
Le gouvernement profite de cette apathie et de cet égoïsme généralisés. Pourquoi s'en priverait-il ? Tant que les individus resteront engoncés dans leur individualisme et leur passivité, toujours à compter sur des courageux à envoyer au charbon à leur place quand le mal est fait, les injustices perdureront. Pleurez, pleurez, bonnes gens. Pleurez chez vous, devant votre ordinateur. Mais, de grâce, cessez de prendre les associations pour des kleenex.
Sophie Hancart, co-fondatrice et animatrice d'Actuchomage
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