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Pôle Emploi perd le Nord

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La Voix du Nord a publié une enquête en deux volets sur la situation désatreuse de Pôle Emploi dans le Nord-Pas-de-Calais, région où le taux de chômage bat des records.

Avec un taux de chômage à 12,6% dans la région, on se bouscule au portillon des agences Pôle Emploi. Nées de la fusion ANPE-Assedic, elles inscrivent les demandeurs d'emploi, prospectent le marché du travail et collectent des offres d'emploi. Des documents internes que nous avons pu nous procurer montrent qu'en moyenne, chaque conseiller doit gérer un portefeuille de 180 chômeurs. De quoi mettre à mal le suivi mensuel personnalisé.

Sur le papier, c'était une belle idée. En 2006, Dominique de Villepin est premier ministre. Le gouvernement met en place le suivi mensuel personnalisé (SMP). Pour résumer, chaque chômeur aura affaire à un seul et unique conseiller de référence, lequel le suivra, on vous le donne en mille, une fois par mois. On fixe même un quota idéal : chaque agent est censé suivre 60 demandeurs d'emploi. Le chômage n'a qu'à bien se tenir.

Presque six ans plus tard, le suivi mensuel personnalisé est toujours de mise. En revanche, les 60 demandeurs d'emploi par conseiller font figure de rêve inaccessible. Particulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais où les portefeuilles de demandeurs d'emploi par conseiller crèvent le plafond. Selon Karim Khetib, le directeur régional de Pôle Emploi, la moyenne pour la région s'élevait en décembre à 144 chômeurs suivis par conseiller contre 115 au niveau national. Et selon les documents en notre possession et notre mode de calcul, la moyenne régionale serait de 180 demandeurs d'emploi par agent. Soit trois fois le quota idéal.

Disparités territoriales

Dans certaines agences, le vase déborde encore davantage. C'est le cas à Caudry où (toujours selon notre mode de calcul) chaque conseiller suit en moyenne 250 chômeurs. À Hem, le chiffre «descend» à 232. À Roubaix Sainte-Elisabeth, un agent suit en moyenne 230 demandeurs d'emploi. Dans le Pas-de-Calais, c'est l'agence de Berck-sur-Mer qui «décroche le pompon» avec 229 chômeurs suivis par conseiller. À l'agence Lens Bollaert, la moyenne est de 218.

Parallèlement, des agences s'en sortent plutôt mieux. C'est le cas, par exemple, à Saint-Amand avec 123 demandeurs d'emploi par portefeuille, ou à Bapaume (114). Des sortes de paradis où les conseillers «gèrent» tout de même environ deux fois plus de demandeurs d'emploi que l'idéal de départ...

Conseiller décédé

Ça peut paraître incroyable, mais certains listings prennent en compte des conseillers en retraite, démissionnaires voire décédés après un long arrêt maladie comme c'est le cas à Anzin dans le document en notre possession. «Des personnes radiées depuis moins de six mois qui se réinscrivent sont automatiquement réintégrées avec le même conseiller référent même si celui-ci est parti en retraite», explique Cathy Marcurat, responsable suivi de la performance et pilotage chez Pôle Emploi. Au directeur d'agence de remettre ses statistiques dans le sens de la marche.

Autre particularité statistique : de grandes disparités entre agents. Ainsi, une conseillère de l'agence d'Haubourdin est à la tête d'un portefeuille de 839 chômeurs ! D'après les explications de Pôle Emploi, il s'agit d'un membre de la hiérarchie qui sert de «gare de triage» avant que les demandeurs d'emploi soient affectés à d'autres conseillers. Après la fermeture d'un point emploi à La Bassée.

Il n'empêche, à l'agence de Tourcoing Centre, 73% des conseillers sont à la tête d'un portefeuille de plus de 240 chômeurs. Soit quatre fois l'idéal. À Avesnes-sur-Helpe, 23,5% des conseillers affichent plus de 300 demandeurs d'emploi au compteur. Cinq fois plus que ce dont Dominique de Villepin avait rêvé. Pour ces agents, le suivi mensuel personnalisé relève tout bonnement de la mission impossible.

«Par téléphone ou par mail»

Jeudi matin, agence Pôle Emploi de Lomme. Une dizaine de personnes patientent dans la salle d'attente. À l'accueil, deux conseillères orientent les nouveaux arrivants. Selon notre mode de calcul, les conseillers lommois doivent, en moyenne, gérer un portefeuille de 147 demandeurs d'emploi (contre 180 dans la région). Pour le directeur Guillaume Sagot qui suit le même mode de calcul que toutes les agences Pôle emploi de France (notre édition d'hier), la moyenne serait «plutôt à 115-120». Quoi qu'il en soit, le directeur ne minimise pas la charge de travail de ses conseillers, bien au contraire : «Il n'y a pas que le suivi mensuel. L'activité avec les entreprises est aussi très importante. Mais notre priorité, c'est de payer les gens et de les inscrire.»

Patrice Leprêtre est conseiller depuis dix ans : «J'ai un portefeuille d'environ 150 chômeurs mais je suis déjà monté jusqu'à 180. Les entretiens sont ajustés aux demandeurs d'emploi. Il y a des gens qui n'ont pas besoin d'un entretien par mois et qu'on peut contacter par téléphone ou par mail.» Et l'agent d'assurer qu'il parvient à rencontrer «tous les gens qui en ont le plus besoin».

Certains agents craquent

Malheureusement, la situation ne semble pas aussi simple pour tous les conseillers Pôle Emploi de la région. Appelons-le Nicolas. Pas en grande forme, le Nicolas. Il semble même avoir les nerfs en pelote. Prêt à craquer. Objectivement, il y a de quoi. Son portefeuille est copieusement rempli. Portefeuille de demandeurs d'emploi s'entend. Plus de 300 chômeurs qu'il est censé suivre chaque mois.

«Le matin à 8h30, quand on arrive pour l'ouverture, il y a déjà une soixantaine de personnes devant la porte de l'agence. Ça génère beaucoup d'agressivité. Hier encore, une collègue est partie en pleurant, elle venait de se faire insulter.» Thierry (prénom d'emprunt) est rentré à l'ANPE en 1988. Lui est un peu plus «chanceux» que Nicolas. Son portefeuille est un tantinet moins épais que celui de son collègue. On passe tout de même allégrement la barre des 200 demandeurs d'emploi, plus de trois fois l'idéal des 60 chômeurs fixé en 2006 quand le suivi mensuel personnalisé a été institué.

«Désorganisation»

Autant dire que Thierry ne parvient pas à rencontrer les 200 chômeurs qu'il est censé voir : «Mathématiquement, si je devais voir les 200, je ne devrais faire que ça toute la semaine. Ce que peu de gens savent, c'est que je ne travaille pas à 100% sur la réception des demandeurs d'emploi. On fait de l'accueil, de l'inscription, je travaille aussi sur les entreprises.»

Du coup, une certaine usure commence à se faire nettement sentir. Il témoigne : «Très honnêtement, après plus de vingt ans à Pôle Emploi, je commence à m'essouffler. J'aime le métier que je fais, j'aime de moins en moins la désorganisation dans laquelle je suis tenu de l'exercer. On manque de moyens humains, d'outils performants.»

«Surmenage»

Dans l'agence de Thierry, les vexations, les remarques désobligeantes sont monnaie courante : «Les gens nous demandent à quoi on sert concrètement. Certains sortent des phrases du style : "Vous me demandez de venir et vous n'avez rien à proposer". Ce n'est pas facile à accepter.»

Nicolas revient à la charge : «Le poste de conseiller n'existe plus. C'est de l'abattage, du chiffre. Je suis au bord de la dépression, je n'en peux plus. C'est du surmenage. Il y a un public de plus en plus agressif. Je ne compte pas mes heures mais j'ai l'impression de colmater des brèches. Il est très compliqué, le quotidien du conseiller.»

(Source : La Voix du Nord)

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Mis à jour ( Mardi, 24 Janvier 2012 18:40 )  

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