Ce film nous propose de suivre un homme sur le marché.
D'abord sur le marché du travail, puis sur le marché à proprement parler puisqu'il va se retrouver surveillant dans une grande surface, un super ou hyper marché.
Cette inflation du langage reflétant bien la cavale libérale vers toujours plus de surface, territoriale et financière.
Sur ces marchés, nous sommes tenus d'acheter mais aussi bien sûr de nous vendre, c'est-à-dire de plaire à tout prix, de faire bonne figure en toute circonstance, enfin tout ce que l'on apprend dans les stages et ateliers sous-traités par Pôle Emploi.
En quelques scènes nous entrons dans le parcours type du chômeur, en particulier ces prétendues Techniques de Recherche d'Emploi où il s'agit de simuler un entretien filmé pour y traquer ses moindres faits et gestes, jamais assez complaisant pour l'employeur potentiel et toujours virtuel.
Sur ces images vidéo, on a rarement l'air très aimable, ayant toutes les raisons de ne pas l'être, mais qu'importe puisqu'il faut à présent devenir SDF en affichant un large sourire.
«Avez-vous envie de rencontrer cet individu ?», demande l'animateur. «Non, il ne se tient pas bien, il n'a pas l'air aimable», répondent les «collègues» chômeurs. Et c'est ainsi son propre reflet que l'on condamne. Ainsi dresse t-on les «chercheurs d'emploi» à réguler, contingenter leur entrée sur le marché de l'emploi.
Attention, si l'on ne fait pas bonne figure, on sera recalé d'office.
Voici enfin épinglé la manipulation des consciences opérée par les pseudo stages de motivation pour chômeurs. Apprenons à nous humilier entre nous avant que le recruteur, le cabinet de ressources humaines, achève de nous démolir. Pour peu que l'on se soit trouvé dans cette situation, on reconnaît dans quelle injonction contradictoire se trouve le candidat à l'emploi : d'une part être soi-même, se présenter le mieux possible, de l'autre s'éloigner de soi, se fabriquer une image, devenir une figure à peu près lisse. Or il ne fait pas de doute que c'est une image convenue, un candidat dans la boite, que veut voir le recruteur.
Le film ne montre pas, comme on l'a déjà vu ailleurs, un chômeur cantonné à son «emploi» de chômeur, mais nous dresse, en quelques scènes du quotidien, le portrait d'un homme dans l'adversité, qui ne se pose pas en victime et ne cède rien sur l'essentiel.
C'est un homme qui résiste tant qu'il peut aux mesquineries de ceux qui tentent de négocier une misère sur la misère. Notre personnage, tout au long du récit, coupe court à ces négociations, ces séductions sordides du marché, comme cette assurance-décès qu'on lui propose parce qu'il a un fils handicapé. On pressent qu'au final, c'est à toutes ces «lois du marché» qu'il tournera le dos.
En attendant, dans un monde où tout doit être utile, servir à son image, son profil, il fait figure d'incongru. Ainsi en est-il de l'étrange scène du cours de rock. Que fait-il là ? On ne sait pas très bien, mais on peut penser qu'il n'y est pas par passion pour le rock mais parce que danser fait partie des choses qu'il faut savoir faire.
On nous l'a assez dit, il faut à présent récupérer nos «savoir-faire», nos «savoir-être», pour les mettre au service de l'emploi. Ce cours de rock soporifique, filmé comme une danse de salon où les participants semblent s'ennuyer à cent sous de l'heure, s'oppose évidemment à toute la culture de protestation à l'origine du rock n' roll.
On a dû convenir que notre homme avait l'air assez rogue pour tenir l'emploi de surveillant dans une grande surface. À ce moment du récit, revient en force le thème de la vidéo et de son usage utilitariste. On apprend, avec le personnage, qu'il ne s'agit pas de surveiller tout le magasin mais de suivre un moment un seul individu pour traquer les signes qui pourraient faire de lui un voleur.
Ne pas déposer un article tout de suite dans son caddy, c'est déjà être suspect.
De même dans les ateliers de Techniques de Recherche d'Emploi, il ne s'agit pas de se montrer avec une certaine sincérité mais de reproduire les codes de conduite qui feront de nous des candidats plausibles. Telle attitude, telle posture, tel mot-clé vont déterminer à l'image si l'on est aimable, c'est-à-dire «employable» ou pas.
On le voit donc jouer le jeu, faire le job, attraper ce qu'il peut dans son filet, des petits truands qui veulent encore être clients et rois, des petits retraités sans le sou, puis le personnel des caisses qui commet le crime de détourner des bons d'achat ou des cartes de fidélité.
Le suicide d'une employée licenciée pour avoir commis une telle broutille survient comme en passant, dans la continuité de toute cette médiocrité, et l'on voit un cadre du magasin l'annoncer aux employés ainsi qu'aux spectateurs avec ce faux air de catastrophe de celui qui sait «gérer les crises». La même fausseté d'ailleurs que le gérant avait prise pour faire les louanges de cette personne lors d'un pot de départ.
C'est l'un des grands mérites de ce film que de montrer cet univers dans lequel nous baignons presque tous, dans son fonctionnement global, son déroulement logique, sans focaliser sur une victime érigée en héroïne martyre.
Le personnage joué par Vincent Lindon n'endossera pas ces rôles. Ni martyr, ni héro vengeur, mais guide solitaire à sa manière, il montre une voie possible face à une telle société : Dire non et partir.
Peu de récits, peu de témoignages, remettent vraiment en cause le dogme libéral consistant à accepter n'importe quel emploi plutôt que rien.
Quelquefois, il faut choisir le RIEN. On peut appeler ça une résistance et un combat.
Hervé Dauphin pour Actuchomage.org
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