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Une force maléfique nous pousse vers la médiocrité

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Notre Ami MacG (son pseudo sur Actuchomage) nous propose sa réponse au billet de mauvaise humeur rédigé par Gilles : «L'apartheid français commence dans notre assiette» (1).

J'espère que Gilles ne prendra pas mal le texte ci-dessous (il n'est pas dirigé contre lui) lequel, initialement, se voulait une réponse directe à son témoignage, pour lui faire part de mon soutien, mais aussi pour pointer le piège qui nous est tendu par les pouvoirs.

Je ne vis pas dans l'une de ces banlieues où il étouffe. De ses trois textes publiés ici, je retiens qu'il subit une exclusion dans l'exclusion, qu'il est conscient qu'on se joue de lui mais que l'exaspération pourrait avoir à son corps défendant – et il objective bien cela – le dernier mot dans ce qu'on peut appeler le «poids du réel».

C'est surtout l'expression «terrorisme intellectuel» qui m'a interpellé, et qui pour moi est double dans la mesure où :

- Il ne réside pas dans l'énonciation de faits sociologiquement documentés mais dans leur énonciation tronquée et manipulatoire par les tenants de la relégation de gens qu'on pousse à détester dans le cadre d'une authentique politique de déculturation et de parcage géographique et catégoriel (les «intouchables»), de tous ceux qui pour une raison ou une autre – et même sans raison du tout – sont beaucoup, sinon systématiquement, écartés du droit à vivre dignement ou à être soi-même. Que le premier Sinistre cherche à jouer le républicain apaisant après s'être gargarisé de déclarations martiales à destination des «honnêtes gens» ne change rien au fait que les effets sociaux et psychologiques de cette réalité sont avérés.

- Il réside aussi dans la perpétuation de cette mascarade de l'intégration et du rabâchage de ce «vivre ensemble» d'une société individualiste, du tous contre tous, du Tout-Pour-Ma-Gueule, du «pousse-toi de là que je m'y mette», et dans laquelle les rares fois où on intègre des gens de couleurs par exemple, c'est pour des histoires de quotas cache-misère et de faible prix de main-d'œuvre dans des secteurs à comptabilité trouble (cf. BTP) – aka dumping social institutionnalisé par le haut patronat financeur de campagnes électorales. La stigmatisation des pauvres et très pauvres, quels qu'ils soient, est la plus redoutablement efficace puisqu'elle s'opère en premier lieu matériellement. Cela impacte aussi tous ceux parmi les classes moyennes qui pensent, parlent, agissent, vivent ou veulent vivre différemment des zombies conformistes de l'existence si utiles au système.

Facile pour un riche fils de riche comme Valls, les apparatchiks et des intellos bobos, de pérorer sur la mixité quand eux et leurs pairs racistes ignorent tout des effets sur le terrain de leurs propres «réformes» ; quand ils profitent d'un entre-soi à gerber ; quand on sait que ces gens-là, qui ne font même plus l'effort de cacher leur agenda politicien, n'ont jamais connu la pauvreté ou l'exclusion. Pour ces pique-assiettes, on est une abstraction statistique, un sujet de dissertation.

Alors, qu'est le «vivre ensemble» aux conditions de ces riches «bienfaiteurs», blancs, «instruits», bien-pensants, et du cynique patronat blanc sans scrupules s'appuyant sur la classe moyenne non moins blanche et à peine moins riche ? Une fumisterie, tout comme l'hameçon religieux de la gauche/droite des «valeurs», pendu à tant de cannes à pêche que c'est un bon gros bordel dans les lignes.

Les spin doctors opposent des «blocs» plus ou moins fantasmés de gens auxquels s'assimile une partie d'entre nous, incitent à la haine par des déclarations insultantes et calomnieuses, du teasing, des opérations médiatiques sous faux drapeaux, des généralisations malhonnêtes, du moralisme arrogant, le spectacle de l'indécence venant se plaquer sur les injustices socio-économiques et institutionnelles bien concrètes. Parallèlement, les mêmes, cachés derrière des porte-voix se mélangeant aux progressistes, exhortent à la tolérance avec toute l'insistance culpabilisatrice requise via les mêmes canaux. Eh oui, cette cacophonie programmée a de quoi rendre un peu fou, surtout si on est dans la merde jusqu'au cou et qu'on se laisse hypnotiser par la TV-je-te-fais-tourner-en-bourrique-entre-deux-pubs-mon-salaud. Un conseil en passant : coupez-vous de la télé, de la radio et des sites putassiers de l'Internet.

Pour les «à l'abri», c'est donc trop facile d'inviter les autres – toujours les autres, pas soi bien sûr – à la tolérance :

1° Parce qu'un certain point de souffrance passé, cela n'a pas seulement aucun sens mais revient à dire en novlangue : «Ta gueule !». Et c'est le message subliminal du Pouvoir : «Vos gueules les gens !».

2° Parce qu'il faut avoir conscience du poids qui pèse sur ceux qui vivent dans la misère, la frustration, l'impuissance, fardeau contre lequel la raison ne peut pas grand-chose, pour comprendre que ça ne rime à rien. Ce n'est pas de mots et de raison qu'il faut : ce sont des faits tangibles, c'est-à-dire du partage, de la fraternité, du respect, avec des structures, mécanismes et personnels appropriés. Les comptabilités publiques, d'entreprises, bancaires, patrimoniales reflètent-elle cela ? Les effectifs des universités et grandes écoles ? Ou des petites et grandes administrations ? Des professions supérieures ? De la représentation politique ? Car il y a bien ceux qui ont – un peu, beaucoup, énormément – et qui accumulent ; et il y a ceux qui n'ont rien ou presque, pas même le minimum vital et dont l'avenir se joue chaque jour.

On peut être capable d'abstraction profonde et pousser l'intellectualisation jusqu'à l'absurde mais quand tout dans le quotidien écrase la tronche depuis si longtemps, on se rend compte qu'une insaisissable force maléfique est à l'œuvre et nous pousse vers la médiocrité.

Les pantins du sommet de la pyramide ne le savent que trop bien. On est arrivé au fin du fin de l'analyse, du traitement et de l'exploitation des limites de l'homme et de ce qu'il est capable de faire pour échapper à la simple menace de la folie, de la solitude, de la souffrance ou de son anéantissement. Les incessantes manipulations sémantiques, juridiques, politiques, professionnelles, financières, psychologiques..., passées pour partie par le filtre lobotomisant de l'appareil médiatique, en sont la preuve. Les monstres qui profitent de cette dynamique morbide n'ont pas besoin de la penser. Il suffit de mettre à contribution tous ceux qui se laissent corrompre ou qui tombent, puis d'empiler pour écraser ceux qui résistent encore. Pour moi, c'est la description d'une société de sans-couilles.

À ce propos, sur le paluchage et la récupération du massacre auquel on fait souvent référence ces temps-ci, nombreux sont ceux qui se réfugient derrière les assertions totems du genre : «Aucune opinion ou idée ne justifie qu'on recourt au meurtre», assorties de qualificatifs tels que «dégénérés», «barbares», «abrutis» (pour désigner les assaillants). Cela ne révèle-t-il pas une limite empathique profonde, une insondable ignorance de ce que beaucoup veulent absolument éviter de savoir d'eux-mêmes et de la souffrance dont ils sont effectivement co-responsables ? C'est à nouveau de la novlangue qui veut dire : «J'ai raison ; "ils" ont tort. Non, je ne lâcherai rien. Tout pour moi !».

On connaissait «Touche pas à mon pote !», c'était plutôt «Touche pas à mon magot !». Pathétique recours à l'argument homme de paille que celui de la liberté d'expression – pas le droit, bizarrement – pour masquer cet abyme d'hypocrisie, de lâcheté, de servitude et l'inaptitude à s'interroger sur ce qui peut concrètement amener des gens à tuer et se faire tuer (tu parles d'une vocation !) prétendument à cause de mots. Est-ce de cela qu'il s'agit vraiment ?

Quid de la honte et de la miséricorde collective qui devraient saisir des gens qui ne peuvent s'empêcher d'entrevoir avec effroi que la nécessité d'agir recouvre en réalité le devoir de chacun de se déposséder et donc le risque, que j'imagine insoutenable pour eux, de voir s'effondrer la richesse accumulée – colossale pour certains – au fil des décennies et des transmissions patrimoniales, de même que ce mode de vie inepte à base de turbo-consommation dont ils ne peuvent plus se passer.

Juste un rappel : Certains subissent la misère et/ou l'exclusion en France depuis des décennies, sur deux ou trois générations. De quoi relativiser et permettre de se donner un certain souffle pour s'employer à ne pas se laisser aller à désigner des boucs émissaires qu'on enrage, badigeonne au goudron et recouvre de plumes, et sur lesquels la cible a été collée par les vrais coupables.

Doit-on accepter que des «fiers travailleurs» nous tiennent pour responsables du coût des maigres droits sociaux de survie, des impôts qu'ils paient (qui leur reviennent presque entièrement), du tassement de leur salaire ou de leur licenciement ? Que font-ils de leurs responsabilités dans le non-partage du travail et de la valeur ajoutée en gobant la propagande anti-pauvre, en se laissant diviser y compris entre eux, en se laissant voler par leur propre gouvernement au profit de la finance, en ne se saisissant pas de leurs droits au jour le jour, en se montrant cruel vis-à-vis des autres dans leur vie quotidienne ?

Il y a des responsables, des traîtres à l'espèce humaine. Demande-t-on des comptes à ceux-là ou à leurs victimes ? Certains qui se croient méritants seront ou sont déjà les prochaines cibles désignées. L'étau se resserre et la classe moyenne commence à sérieusement transpirer. C'est la sourde panique. Qu'elle se rappelle bien qu'on a expérimenté les mesures impopulaires sur les plus fragiles et les pauvres pour évaluer, élaguer et affiner avant de transposer aux couches supérieures, plus résistantes, du corps social.

On y est et il serait temps qu'elle en prenne conscience parce que persister à fermer les yeux au passage du Croquemitaine ne va certainement pas faire disparaître le dévoreur qui assaisonne déjà son festin de leur peur.

MacG pour Actuchomage

(1) Lire ici le billet de Gilles :«L'apartheid français commence dans notre assiette»
Mis à jour ( Jeudi, 12 Février 2015 00:24 )  

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