Ci-dessous, le courrier que nous adressons la semaine prochaine à la ministre des Solidarités et de la Santé, et au Directeur général de la CNAF.
À Madame Agnès Buzyn – Ministre des Solidarités et de la Santé - et Monsieur Vincent Mazauric – Directeur général de la CNAF. Copies aux Présidents du Conseil d’État, du Conseil Constitutionnel, de l’Assemblée des Départements de France.
Madame la Ministre, Monsieur le Directeur Général,
En qualité de Président d’une association de Défense des Droits des Chômeurs & Précaires, je tiens à attirer votre attention sur de lourds dysfonctionnements qui pénalisent probablement des dizaines de milliers d’allocataires RSA. Je vous en expose les faits.
Il ne vous a pas échappé que pour calculer le montant d’un RSA perçu par un allocataire, la CAF prend en compte le montant de ses placements.
Depuis la création du RSA, elle applique le plus souvent une taxation forfaitaire de l’épargne de 3%.
Si un allocataire détient 10.000 € sur Livret A, jusqu’à maintenant la CAF défalquait 300 € du montant de son RSA annuel, bien que cette épargne ne lui en rapporte que 75 (à 0,75% d’intérêt).
Depuis 2009 donc, des milliers de RSAstes ont vu leur allocation amputée de dizaines d’euros par mois, parfois même de plus de 100 €.
Quelques-uns – les mieux informés – ont contesté cette taxation qu’ils jugeaient à juste titre abusive, engageant des recours préalables auprès des services concernés dans leurs départements. Sans jamais obtenir gain de cause. Une obstruction systématique qui confirme l’institutionnalisation d’une spoliation illégale comme nous le verrons plus loin.
Ces contestataires ont donc été contraints de saisir des Tribunaux administratifs qui, eux, se sont prononcés en leur faveur. Pour autant la taxation à 3% de l’épargne n’a pas cessé, contraignant le Conseil d’État à en rappeler le cadre d'application stricte et limité (Arrêt 401637 du 14 juin 2017).
Aujourd’hui donc, pour le cas qui nous intéresse, la taxation forfaitaire d’un Livret A est bien illégale. Seuls les intérêts perçus doivent être soustraits du montant du RSA, à savoir 75 € par an et non 300 dans notre exemple.
Se pliant à ce rappel à l’ordre, les CAF ont diffusé en novembre 2017 une circulaire spécifiant le «nouveau champ d’application du dispositif d’évaluation des revenus issus des capitaux placés».
Il en ressort que les livrets d’épargne (A, B, LEP, LDD, Livret Jeune…) n’ont pas à être taxés à 3%, alors qu’ils le sont depuis 2009. Je vous laisse imaginer le «manque à vivre» subi par de nombreux allocataires.
Ainsi Maguy voit son épargne taxée illégalement depuis 5 ans à hauteur de 450 € par an, soit 2.250 €.
D’autres placements (Assurance-vie, PEL…) sont toujours soumis à une taxation forfaitaire de 3% qui – de notre point vue – pourrait être contestée dès lors que leur rendement est inférieur à ce taux. Tribunaux et Conseil d’État ne s’étant pas prononcés sur cette question, nous ne pousserons pas nos réflexions.
On admettra cependant que cette taxation forfaitaire induit une inégalité de traitement entre épargnants dès lors qu’elle est supérieure aux intérêts réellement perçus. Les plus précaires, les allocataires RSA, voyant certains de leurs placements taxés au-delà de ce qu’ils rapportent, quand les autres (chômeurs indemnisés, salariés, professions libérales, commerçants…) en sont logiquement exonérés.
Revenons à la situation arrêtée.
Les milliers (dizaines, centaines de milliers ?) d’allocataires spoliés depuis 2009 peuvent aujourd’hui obtenir le remboursement de ce «trop-taxé», «dans la limite de la prescription biennale» indique la circulaire CAF de novembre 2017.
Maguy, spoliée de 2.250 € peut obtenir le remboursement de 900 €, sous réserve d’adresser à l’organisme les attestations nécessaires, ce qui, à en croire les premiers témoignages, n’est pas une mince affaire.
Résumons donc.
Il est aujourd’hui admis que des milliers d’allocataires RSA ont été spoliés d’une partie de leurs droits depuis 2009. Mais combien sont concernés : 50.000, 100.000, 300.000 ? Plus ?
À présent, ils peuvent obtenir un remboursement partiel mais encore faudrait-il qu’ils en soient informés, ce qui n’est pas le cas. CAF et Départements s’exonèrent de leur devoir d’information tel qu'édicté à l’article L.583-1 du Code de la Sécurité Sociale :
«Les organismes débiteurs des prestations familiales et leur personnel sont au service des allocataires. Ils sont tenus en particulier :
1°) d'assurer l'information des allocataires sur la nature et l'étendue de leurs droits ;
2°) de leur prêter concours pour l'établissement des demandes dont la satisfaction leur incombe. [...]»
Ce devoir d’information est inopérant. Aujourd’hui encore des RSAstes disposant d’une épargne sur Livret A l’indiquent dans la case «Argent placé» de leurs Déclarations trimestrielles de ressources (DTR), et sont donc toujours taxés à 3%.
Plusieurs témoignages confirment que des agents CAF induisent encore les allocataires en erreur, leur imposant de déclarer TOUS leurs placements alors que pour les Livrets d’épargne seuls les intérêts perçus une fois l’an doivent l’être dans «Autres ressources».
Par manque d’information ou renseignements erronés, des allocataires sont encore à ce jour taxés illégalement et n'ont pas connaissance de la possibilité d’obtenir remboursement (partiel) de la taxation abusive subie.
Madame la Ministre, Monsieur le Directeur général de la CNAF, seriez-vous assez aimables de me communiquer le nombre de personnes qui pourraient être concernées par les dysfonctionnements évoqués ci-dessus ? L’accès au fichier FICOBA permet très certainement aux CAF de disposer du listing de tous les allocataires titulaires de Livrets d’épargne, donc potentiellement impactés par une taxation illégale présente ou passée.
Par ailleurs, quelles mesures comptez-vous prendre pour informer les allocataires du «nouveau champ d’application du dispositif d’évaluation des revenus issus des capitaux placés» - qui n’a rien de «nouveau», qui n’est autre que la réglementation officielle détournée par les CAF et départements depuis 2009 - et pour leur indiquer les modalités de remboursement ?
À la lumière de témoignages, elles paraissent plutôt dissuasives. Ne pourrait-on pas les simplifier étant admis que CAF et Départements se sont placés «hors-la-loi» et que des allocataires sont toujours victimes de spoliation par défaut d’information comme nous l’avons vu plus haut ?
Dans le contexte tendu du financement du RSA par les départements et l’État, ce dossier est explosif puisqu’il pourrait s’agir du plus grand scandale social de ces dix dernières années. Rien de moins !
Combien de dizaines ou de centaines de millions d’euros ont-ils été «économisés» sur le dos des personnes précarisées ?
Notre amie Maguy a travaillé depuis l’âge de 18 ans. À 40 ans, son parcours professionnel est devenu chaotique, alternant périodes d’activité et de chômage. Passé 50 ans, faute de retrouver un emploi stable, elle a fini par épuiser ses droits à l’assurance-chômage et à l’ASS, pour basculer au RSA en 2012.
À présent, elle touche 350 € par mois. Son allocation est amputée par la taxation de ces placements.
Depuis 5 ans, son Livret A a été taxé illégalement de 2.250 €. Son Plan d’épargne logement de 4.500 €.
Ses placements ont été taxés de 6.750 €, dont elle peut aujourd’hui récupérer 900 €, sous réserve d’en être informée.
Certes une majorité d’allocataires RSA disposent d’une épargne beaucoup plus modeste, voire insignifiante. Mais ce qui est valable pour Maguy l’est tout autant pour Pascal qui détient 4.000 € sur Livret A, sans autre économie. Lui aussi taxé illégalement depuis 2013 de 480 €.
La spoliation concerne un grand nombre de RSAstes pour des montants portant probablement sur des dizaines (centaines ?) de millions d’euros depuis 2009.
Je me tiens à votre disposition pour tout entretien et tout échange avec vos services.
Je vous prie d’agréer, Madame la Ministre et Monsieur le Directeur général, l’expression de mes sentiments respectueux.
Le Président d'APNÉE/Actuchomage
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