Avec la discrétion qu'on lui connaît, notre ami José a déposé ce message sur les forums d'Actuchomage, l'air de rien, comme ça en passant. Pourtant !
José n'est pas du genre à la ramener en public, à rouler des mécaniques parce qu'il aurait osé braver un adversaire coriace, à se répandre en longues phrases sur des combats réels ou fantasmés.
José est un homme discret mais déterminé. Il est de ceux qui ne s'affichent pas, qui bossent dans l'ombre. Mais pas que. Il invente aussi, il innove, il entreprend. Et comme tout entrepreneur, il lui arrive aussi de se planter. Disons de connaître quelques passages à vide, quelques difficultés.
Pour sauver son entreprise, sa technologie, ses brevets exclusifs, José a été contraint de faire appel à la solidarité nationale à un moment de sa vie en sollicitant le bénéfice du RMI (revenu minimum d'insertion), l'ancêtre du RSA. Qui lui fut refusé.
S'engagea alors un bras de fer titanesque avec les services sociaux de son département (l'Ardèche ) qui dure depuis plus de 17 ans. Oui vous avez bien lu. Dix sept années d'une bataille juridique insensée qui a conduit José à saisir par trois fois le Conseil d'État et obtenir par trois fois gain de cause auprès de la plus haute autorité administrative de notre pays. Rien que ça.
José estime que le Conseil départemental de l'Ardèche et les administrations impliquées y ont consacré depuis 17 ans plus de 500.000 € en frais d'avocat, en frais administratifs, en frais de personnel. 500.000 € pour rien puisque le Conseil départemental a - jusqu'à ce jour - perdu cette bataille épique.
Tout ça pourquoi ? Avoir refusé à José le bénéfice de quelques mois de RMI/RSA quand il était dans la galère. 500.000 € dépensés pour en économiser 3.000 ou 4.000. Une histoire de fou que José nous résume :
Bonjour,
Pour info, je mets en ligne la décision du Conseil d'État rendue le 18 juillet 2018. C'est le troisième jugement que je gagne devant cette juridiction.
https://juricaf.org/arret/FRANCE-CONSEILDETAT-20180718-412075
Rappel : Ma première demande de RMI remonte au 1er mars 1999. Celle-ci, comme toutes les suivantes, s'est heurtée à un refus me contraignant à saisir la Commission départementale d'aide sociale, la Commission centrale d'aide sociale (le RMI était alors géré par le Préfet) et enfin le Conseil d'État qui par un premier arrêt faisant jurisprudence, daté du 29 octobre 2008, me donnait raison en reconnaissant mon droit au RMI, en confirmant que mon projet d'insertion était bien de pérenniser l'entreprise que j'avais fondée.
J'ai créé la société STRIES en octobre 1992 sur la base d'un portefeuille de 16 brevets et d'un savoir faire unique au monde. Plus d'info ici : www.stries.com
Je me suis heurté dès le début à une administration intolérante dont le leitmotiv a été de ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Elle a eu peur qu'en m'accordant le droit au RMI puis au RSA, les créateurs d'entreprise s'engouffreraient et demanderaient à en bénéficier. Comme si l'objectif premier d'un entrepreneur était de toucher le RMI ou le RSA. Absurde !
L'instruction de mes demandes successives et de mes recours en justice pour obtenir et maintenir ce droit élémentaire a mobilisé des dizaines et des dizaines de fonctionnaires pendant 17 ans : DDASS, Préfecture, CAF, Conseil général (4 présidents successifs)... Commissions et enquêteurs, il y en a eu en pagaille.
J'ai même reçu la visite de deux inspecteurs de la BCR (Brigade de contrôle et de recherche) de la DGI (Direction générale des impôts) à la demande d'un préfet. Au bout de 2 heures à vérifier la comptabilité de ma société, ils ont souhaité visiter mon atelier. Après la visite, je leur ai demandé ce qu'ils comptaient faire. Ils m'ont répondu qu'ils allaient transmettre leur rapport au préfet indiquant que je n'étais pas un escroc. Ce dernier s'est empressé de l'ignorer.
Toutes les enquêtes m'ont été favorables et toutes ont été ignorées. Je me suis même expliqué devant une commission locale d'insertion (RMI) et j'ai obtenu un avis favorable. Le président du département a répondu qu'il ne suivrait pas cet avis désavouant par écrit les membres de cette commission. […]
Toujours est-il qu'en 17 ans, j'ai dû me défendre devant la justice et j'ai gagné tous les procès, environ une dizaine dont trois procédures devant le Conseil d'État. Tout en travaillant d'arrache-pied pour sauver mon entreprise, mes brevets, mon outil de production et mon savoir faire unique au monde, j'ai dû faire face, 17 années durant, à une hostilité invraisemblable, kafkaïenne et irrationnelle d'une certaine bureaucratie. Celle de petits fonctionnaires qui restent en place toute leur vie au même endroit, soudés entre eux et qui à défaut de ressembler à leurs maîtres qui pratiquaient la chasse à cour, s'ingénient à chasser les pauvres, et plus particulièrement celles et ceux qui avancent avec audace hors des sentiers battus.
En 2012, j'ai décidé de ne plus déposer de demande de RSA puisque malgré toutes les décisions de justice favorables, le département de l'Ardèche avait pris l'habitude de me radier rapidement peu après sans motiver la raison ce qui m'obligeait à intenter une nouvelle procédure. On pourrait alors penser que ces bureaucrates ont gagné cette chasse à "l'essoufflement" (la chasse à cour ayant pour terme d'essouffler la biche, le cerf... et l'achever). Qu'ils le pensent ! Mais les chiens aboient et la caravane passe, dit l'adage. En réalité, j'ai simplement décidé de consacrer toute mon énergie à la réussite de mon entreprise. J'ai réussi et aujourd'hui je peux dire qu'ils ont perdu, qu'ils rentrent bredouilles de leur chasse. Eux qui avaient mis pour condition à l'octroi du RMI le dépôt de bilan de ma société.
Il y aurait encore beaucoup à raconter…
Je veux simplement revenir sur la dernière décision du Conseil d'État. Trois actions de justice m'ont amené à le saisir :
- Le 8 décembre 2011, le Tribunal administratif de Lyon condamne le département de l'Ardèche a procédé au calcul de mes droits au RSA pour la période du 1er juin 2009 au 31 août 2010. Le TA condamne l'État à verser à mon avocat 1.000 euros.
- Le 11 octobre 2012, le département ayant fait appel de la décision, la Cour Administrative d'Appel de Lyon réforme l'article 1er du jugement du TA en demandant que soit tenu compte pour le calcul de mes droits au RSA les 3% du montant des capitaux que je détiens (mes actions dans la société que j'ai créée).
- Six mois après l'arrêt du 11 octobre 2012, je suis sans nouvelles du calcul de mes droits. Je forme, par requête datée du 3 avril 2013, une demande d'exécution. Suite à l'intervention de la Cour, le département de l'Ardèche, par courrier du 25 avril 2013, indique avoir procédé à un nouveau calcul en tenant compte des 3% et "qu'afin de m'éviter de supporter financièrement un indu d'allocation de RSA d'une part et pour clore ce contentieux d'autre part, le président du Conseil général avait pris la décision, favorable à l'intéressé, de ne pas lui appliquer ce calcul qui aboutit en effet à un trop perçu d'allocation sur la période concernée".
Toutefois, pour répondre à ma requête en exécution : "Je vous informe avoir demandé à la CAF d'Annonay, organisme payeur, de mettre en recouvrement le montant du trop-perçu d'allocation de RSA, résultant de la prise en compte de 3% du montant des capitaux détenus par celui-ci pour le calcul de ses droits au RSA à compter du 1er juin 2009".
Pour effectuer son calcul en tenant compte des 3%, le département a multiplié le nombre d'actions que je détiens dans ma société par leur valeur nominale : 6.000 actions x 15,24 euros = 91.440 euros
Prise en compte de 3% à compter du 1er juin 2009 : 91.440 x 3% = 2.743,20 euros. Soit 3.406,20 euros (période du 1er juin 2009 au 31 août 2010).
Calcul particulièrement scabreux et tordu car sur la période concernée ma société a encore des fonds propres négatifs et la valeur vénale de mes actions (qui m'ont jamais rapporté le moindre centime) est de zéro. Le département est allé chercher la valeur nominale des actions à la date de création de la société en octobre 1992.
Bien entendu devant cette décision, je dépose une nouvelle requête devant le Tribunal administratif de Lyon pour contester le mode de calcul du département.
- Le 20 décembre 2016, le TA de Lyon condamne le Conseil départemental de l'Ardèche à me verser une somme de 4.000 euros pour préjudice moral. (Un tel montant accordé par un TA est exceptionnel). Il condamne également le département à verser à mon avocat 1.200 euros. Mais ne se prononce pas clairement sur la valeur réelle, nominale ou vénale des actions.
À cette date le département a été contraint à verser 6.200 euros.
Je décide alors de porter cette affaire devant le Conseil d'État, considérant que je suis fondé à lui demander une réponse juridique précise, définitive et sans équivoque sur la valeur des actions. Mon avocat me renvoie vers un cabinet inscrit au barreau du Conseil d'État, lequel accepte de prendre cette affaire. Je dépose un dossier d'aide juridictionnelle et je reçois une notification de décision défavorable le 28 mars 2017, la motivation étant "qu'aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé contre la décision attaquée".
J'ai 15 jours pour former un recours contre ce rejet. Je saisis alors le Président de la section du contentieux du Conseil d'État le 8 avril. Je reçois le 28 avril la notification qui annule le rejet du bureau d'aide juridictionnelle et me l'accorde finalement.
- Le 18 juillet 2018, le Conseil d'État annule la décision du TA de Lyon du 20 décembre 2016 et renvoie cette affaire. Il condamne le département à verser à mon avocat la somme de 3.000 euros.
À cette date, le département a été contraint de verser 9.200 euros + les honoraires de son avocat inscrit au barreau du Conseil d'État qui peuvent être au minimum évalués à 3.000 euros (Rajout de la rédaction d'Actuchomage : Au bas mot ! Entre 6.000 et 10.000 euros serait plus proche de la réalité).
Total = 12.200 euros… pour récupérer 3.400,20 euros.
Et ce n'est pas fini puisque cette affaire est à nouveau en cours d'instruction au Tribunal administratif de Lyon. Le département ayant gardé l'avocat qu'il avait devant le Conseil d'État, la note risque de s'alourdir !
Cette histoire permet de mesurer à quel point l'entêtement d'une administration, qui ne veut rien lâcher, l'amène à dilapider l'argent des contribuables (même si les assurances couvrent probablement une partie des frais).
J'estime que ce département a dépensé près de 500.000 euros depuis le 1er mars 1999. En effet, vu le nombre de fonctionnaires ou agents qui ont été chargés de traiter ce contentieux, le temps qu'ils ont passé pour faire taire (je serais tenté de dire "éliminer") un citoyen qui demandait simplement que lui soit accordé le droit élémentaire au RMI puis au RSA, c'est totalement irrationnel.
Rajout de la rédaction d'Actuchomage : Ce n'est pas seulement irrationnel, c'est délirant ! Toutes nos félicitations, José, pour ce combat exemplaire et ce récit d'une exceptionnelle sobriété.
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