Depuis le 9 mai, le fourgon couvert de calicots stationne devant l'entrée de l'usine ou tourne en ville, le soir. Les trois anciens délégués syndicaux CGT y vivent nuit et jour. Licenciés volontaires en janvier dernier suite à un plan social de 180 salariés de l'entreprise d'électronique NEC, qui a racheté Packard Bell, ils estiment que le reclassement qu'on leur a garanti ne tient pas les promesses avancées.
Bruno Mouillé, 39 ans, Betty Bergeon et Tony Berthelot, 36 et 33 ans, avaient tous dix ans de boîte comme opérateurs de base et étaient payés à peine au-dessus du Smic. Les deux premiers ont des enfants en bas âge. Ils voudraient bien se recaser dans des collectivités locales, mais se défient des emplois précaires qu'on leur présente. «On a alerté notre ex-direction, qui nous a dit qu'elle allait recadrer l'antenne-emploi. Sans résultat. Quand on a démarré la grève de la faim, le DRH est passé nous demander si on bronzait bien... On ne demande pas des postes exubérants, plutôt du bas de gamme», dit Bruno Mouillé. La faute à leur engagement syndical, disent-ils : «On nous a dit que c'était notre faute, que si on retirait notre étiquette CGT, ça s'arrangerait.» Au bout du rouleau, les trois cégétistes n'ont plus de revendication précise : «C'est à l'employeur de se sortir de cette situation.»
Sans suivi. Il a fallu un mois pour que la CGT du Maine-et-Loire vote une motion adressée à l'employeur. Pour Pascal Bouvier, secrétaire de l'union départementale, les trois grévistes de la faim ont lancé leur action sur un coup de tête, avec juste un comité de soutien de trois personnes et sans suivi médical. Peut-être inspirés par l'expérience du député Jean Lasalle deux mois plus tôt. «Nous ne sommes pas foncièrement d'accord sur le mode d'action plutôt individualiste, confie Pascal Bouvier. Le rapport de force est nécessaire, mais la grève de la faim n'est pas idéale pour ouvrir des discussions. La réflexion plus collective, avec l'ensemble des salariés du plan social, nous semblait plus judicieuse.» Il souligne que les trois anciens délégués syndicaux n'ont pas cherché à établir de liens avec les autres licenciés de la charrette du plan social. «Il faut élargir, mais nous n'appelons pas pour autant les 180 licenciés à entamer une grève de la faim. Ce week-end, notre congrès départemental a quand même voté un soutien sans réserve aux raisons de la lutte des trois camarades et nous restons vigilants sur leur état de santé.»
«Ahurissant». Un mois après, SUD, la LCR, des libertaires organisent tant bien que mal le soutien aux grévistes. «Le député à l'Assemblée, il voyait un médecin tous les jours, mais lui était dans un bureau, nous, on dort dans un camion.» Un toubib de Médecins du monde les a envoyés passer un bilan aux urgences le 5 juin, le jour où la direction leur a proposé une rencontre avec le PDG, au siège, à Puteaux. Pas en état de faire le déplacement, ils resteront à Angers. Le DRH Jean-Luc Baillel est furieux : «On ne peut pas s'engager à la place des mairies. On les a traités aussi bien qu'on a pu et ils exercent un chantage ahurissant. S'ils persistent à dire du mal de l'entreprise, je les mets au tribunal !» Il insinue même un doute : «Au bout d'un mois, ils devraient être hospitalisés. Ils ne le sont pas...»
A mi-parcours, sur les 120 ex-salariés ayant consulté l'antenne de reclassement, 16 sont en cours de validation, 21 sont encore sur le carreau, mais aucun n'est aux côtés des trois cégétistes. Directeur général de Mobilité & Développement, la cellule de reclassement proche de la CFDT, Zoltan Kahn se dit consterné : «Je ne vois pas où ça les mène. Ils ont des qualités. Le suivi dure douze mois au total. Et au bout de quatre mois et demi, ils refusent des postes, et se mettent en grève de la faim ! Quand on lance un conflit, il ne faut jamais laisser la partie adverse sans porte de sortie. Je n'imagine même pas l'éventualité d'un médiateur.» Au cabinet du maire d'Angers, on se montre préoccupé : «C'est très tendu. Mais le blocage ne profite à personne.» Jeudi, Packard Bell doit faire des propositions. Quand même.
(Source : Libération)
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