C'est la rentrée : saison des cartables, des marrons et aussi des projets de loi de Finances. Et comme chaque automne depuis trente ans, dans le pays de la «relance keynésienne permanente», le budget présenté la semaine dernière est prévu en lourd déficit. Ce budget est d'autant plus déconcertant que peu d'économistes semblent croire que les 9 à 15 milliards du "paquet fiscal" puissent réellement donner à la France le fameux «point de croissance» qui lui manque. Alors, comment comprendre, dans un Etat déjà surendetté, le geste du gouvernement ?
Une première réponse consiste à y voir une application de la fameuse doctrine «starving the beast» définie par l'administration Reagan dans les années 1980 : les organisations ne se réforment que lorsqu'elles sont menacées. Pour pouvoir restructurer l'Etat, il faut donc au préalable le pousser à la «faillite». C'est un moyen douloureux mais efficace de mobiliser les énergies pour faire des économies et négocier avec les syndicats en position de force, car le recours à l'endettement n'est plus envisageable.
Mais une chose ne «colle pas» dans cette analyse : pendant la campagne, Nicolas Sarkozy, à l'inverse de Jacques Chirac en 2002, n'a jamais prétendu faire une priorité de la réduction des déficits. Le caractère stratégique du paquet fiscal est donc sans doute plus subtil qu'une simple tentative d'affamer la bête. Une piste d'analyse est fournie par des travaux d'économie politique qui montrent, en appliquant la théorie des jeux, comment un gouvernement cherche à lier les mains de ses successeurs via la dette publique. Supposons métaphoriquement que les gouvernements de droite préfèrent les canons et que les gouvernements de gauche préfèrent les écoles. Lorsqu'un président de droite est élu, il achète beaucoup plus de canons que nécessaire, faisant exploser la dette. S'il est réélu, il suffira de rembourser la dette. S'il est battu, son successeur de gauche ne pourra acheter les écoles qu'il voulait, et devra rembourser les canons achetés par son prédécesseur. Dans les deux cas, le président militariste utilise la dette pour forcer son successeur pacifiste à mener sa politique.
Cette analyse a deux conséquences. Supposons que le clivage gauche-droite porte sur la taille de la sphère publique : la droite voudrait un Etat minimal, alors que la gauche souhaite davantage de dépenses publiques. Le meilleur moyen de forcer un futur gouvernement socialiste à ne pas trop dépenser est de le faire hériter d'un Etat endetté. Inversement, pour contraindre les gouvernements de droite à ne pas trop couper dans les programmes sociaux, les gouvernements socialistes ont intérêt à rendre ces mesures superflues (donc plus difficiles à «faire passer») en remettant à leurs successeurs un Etat désendetté. De manière contre-intuitive, c'est donc la droite qui creuse les déficits, et la gauche qui les comble. Cette théorie, élaborée en référence au duo Clinton-Reagan, fonctionne bien aux Etats-Unis. Mais elle s'applique mal à la France où la culture du déficit n'est pas l'apanage de la droite, probablement parce que le clivage gauche-droite ne porte pas vraiment sur la taille de l'Etat.
Le second corollaire de cette analyse s'applique mieux au cas français : ce type de déficit «préventif» est plus marqué lorsque l'alternance entre les partis politiques est fréquente et lorsque les préférences des partis politiques sont très différentes. En effet, l'alternance et la polarisation politique incitent davantage les gouvernements à préempter l'action de leurs successeurs, et les poussent à creuser la dette publique. Ainsi l'ampleur de la dette publique française peut se comprendre dans un pays où les majorités sortantes n'ont jamais été réélues depuis 1978. Elle reflète aussi une gauche moins centriste («sociale démocrate») que chez nos voisins. Pour rendre ses réformes irréversibles, même en cas d'élection dans cinq ans d'un gouvernement socialiste, Nicolas Sarkozy a donc choisi de limiter à l'avance les possibilités de dépense de celui-ci. Ni naïveté ni schizophrénie, le budget 2008 et les déclarations sur la faillite de l'Etat feraient alors partie d'un calcul rationnel de moyen terme.
(1) Augustin Landier est professeur assistant à l'université de New York (NYU Stern). David Thesmar est professeur associé à HEC.
(Source : Les Echos)
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