Fort d'une rigidité statistique axée sur le quantitatif plutôt que le qualitatif (un travailleur précaire = un chômeur en moins dans les chiffres officiels), surfant sur un contexte qui induit des «mesures d'urgence», l'homme qui a fait la peau aux 35 heures n'hésite pas les remplacer par l'emploi en miettes.
Parlant du RSA, le sociologue Serge Paugam nous met la puce à l'oreille : «On officialise ainsi l’abandon de la notion de "plein emploi", remplacée de façon manifeste par celle de "pleine activité"». Cette nuance de taille mérite d'être creusée...
L'équation est simple. Pour Nicolas Sarkozy, «plein emploi» = «pleine activité» = «plein emploi» précaire = «sous-emploi» de masse qui, à terme, doit se substituer au «chômage de masse» et hop!, le tour est joué. Finis les CDI et surtout les 35 heures, cette «erreur historique». Crise aidant, il nous prépare une horreur à la portée de tous : la banalisation du précariat, dont il compte se servir comme levier.
Tout ce qu'il propose abonde dans ce sens :
• la promotion des services à la personne, qui sont un «vivier d'emplois» «non délocalisables» et considérés comme «moteurs» de l'économie... Or, jusqu'à présent dans ce secteur, on note une écrasante majorité de femmes travaillant à «temps très partiels» pour des salaires de misère : 12 heures par semaine contre 23 heures en moyenne pour l'emploi à temps partiel dans son ensemble... Qui dit mieux ?
• l'assouplissement du CDD qui doit permettre aux employeurs d'y recourir plus facilement, bien que 75% des embauches actuelles se fassent déjà sous ce mode. Car, a déclaré le président, «en phase de ralentissement, un CDD en plus c'est un chômeur en moins» !
• le retour des contrats aidés, misérables emplois jetables à temps partiel au Smic subventionnés par l'Etat, véritable aubaine pour les employeurs. Afin d'obliger les chômeurs de longue durée à accepter ces postes qui n'aboutissent que très rarement à un emploi pérenne, la loi sur «l’offre raisonnable» stipule que le refus d'un contrat aidé est passible de radiation.
• le Revenu de solidarité active qui, vingt ans après la création du RMI, épouse les courbes d'un sous-emploi considéré comme inéluctable et instaure un nouveau statut social pour ses victimes : celui du «travailleur précaire assisté» à durée indéterminée.
Flexibilité accrue sans contrepartie de sécurité, coût du travail toujours en baisse : pour le Medef, on se rapproche sérieusement du nirvāna.
• le chômage partiel est, lui aussi, préférable au chômage tout court : on va donc l'étendre. Moins il y aura d'allocataires Assedic, mieux ça vaudra pour les statistiques (d'ailleurs, le Contrat de transition professionnelle que Nicolas Sarkozy veut développer part du même principe : le salarié fraîchement licencié ne sera pas chômeur mais «stagiaire de la formation professionnelle», échappant ainsi aux chiffres officiels).
L'avènement du «partiel» érigé en «toujours mieux que rien» — c'est-à-dire mieux que l'infamant chômage, non pas révélé comme grave conséquence de la faillite d'un système économique ni même comme outil indispensable à son fonctionnement, mais comme objectif chiffré à manipuler pour masquer cette faillite — est à l'honneur. Premier effet kiss cool : cet escamotage en règle aura des répercussions forcément avantageuses sur les données de l'INSEE. (Même principe avec le RSA sur les chiffres de la pauvreté.)
Ensuite, on nous dit que la «crise» nécessite des mesures d'urgence, annoncées comme «temporaires» (mais, depuis quelques années, beaucoup ont appris que le temporaire peut s'éterniser). Deuxième effet kiss cool : la «crise» va enfin permettre d'ouvrir des portes qui mèneront le patronat plus sûrement vers le paradis. Tant et si bien que lorsqu'elle sera passée, d'ici un an ou deux, et que les gens s'y seront habitués, ces portes ne vont pas être refermées.
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