En confirmant lundi dernier la décision de délocaliser en zone dollar ou à plus bas prix une partie de la production du constructeur aéronautique européen, Louis Gallois, le président de la maison-mère EADS, a jeté un pavé dans la mare. Une annonce qui ajoute encore à l’inquiétude et au désarroi des personnels, des PME-PMI sous-traitantes et plus largement de tous ceux qui, après le textile, l’automobile, la vente ces derniers jours des deux tiers des sites ex-Pechiney, assistent à l’hémorragie des activités industrielles.
S’installer en zone dollar
«Nous n’avons pas le choix», a martelé sur Europe 1 Louis Gallois pour qui «le principal problème» est devenu celui de la faiblesse du dollar face à l’euro, rappelant que les avions sont payés en dollars mais les coûts et les salaires en euros. «Le seul moyen de préparer l’entreprise à un dollar que plus personne ne maîtrise, a-t-il poursuivi, c’est de s’installer malheureusement en zone dollar.» Le président de Dassault Aviation, Charles Edelstenne, également président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), avait la veille abondé dans le même sens en parlant d’un prochain plan de délocalisation de l’avion Falcon.
Cela fait plusieurs mois que les principaux dirigeants de EADS et d’Airbus multiplient des mises en garde alarmistes allant jusqu’à affirmer que l’avenir du groupe était en jeu. Personne ne nie que le décrochage du dollar par rapport à l’euro pose de sérieux problèmes. Mais beaucoup de monde s’interroge tout autant sur le but effectivement poursuivi par une telle dramatisation. S’agit-il de faire pression sur les gouvernants français et européens qui se refusent ou se déclarent incompétents à intervenir en direction de la Banque centrale européenne (BCE) et de sa politique de l’euro fort ? Ou de plus, comme l’analysent la plupart des syndicats, le problème monétaire ne sert-il pas d’alibi pour durcir le plan "Power 8", accentuer brutalement l’externalisation des activités et modifier en profondeur les structures industrielles d’Airbus ?
Le quotidien économique La Tribune estimait, dans son édition de mardi, que les deux principaux dirigeants «en font trop» alors que les comptes pour Airbus et EADS sont bien meilleurs que prévus. Airbus connaît un bond en avant exceptionnel de commandes. En cette fin novembre, le chiffre record de 1.111 avions en 2005 est déjà dépassé. Au 31 décembre, les commandes devraient avoisiner le chiffre de 1.500. Les plannings des chaînes de production sont au complet pour les 4 à 5 ans à venir.
Toutes les gammes d’avions seront concernées par les délocalisations, et en premier les sous-traitants et les fournisseurs, a averti Louis Gallois. Il a précisé que des parties d’avions comme les portes, des éléments de fuselage, d’aile, seront fabriquées à l’extérieur de l’Europe. Une première chaîne d’assemblage A320 ouvrira ses portes l’an prochain en Chine. La direction assurait récemment aux syndicalistes qu’il n’y aurait pas de transfert de technologie. Or, un centre de fabrication d’éléments en composite verra le jour en 2009 dans l’empire du Milieu. Airbus pourrait également ouvrir des chaînes d’assemblage aux USA pour fournir des avions ravitailleurs à l’armée US, en Russie, ainsi qu’une autre usine de composites à Abu Dhabi. Des discussions sont en cours pour produire au Japon 5% du futur A350.
Recours massif aux pays à bas coûts
Délégué syndical central Force Ouvrière à Airbus Toulouse, Jean-François Knepper, considère que les dirigeants du groupe européen exagèrent l’impact du déséquilibre euro-dollar. Il rappelle que le coût en euros des salaires ne représenterait que 19% du prix d’un avion et que les mécanismes de couverture de change auxquels Airbus est assuré courent jusqu’en 2010 pour un euro à 1,35 dollar. «Depuis dix-huit mois, ce ne sont pas ces problèmes monétaires qui nous ont fait perdre le plus d’argent, les erreurs d’organisation et de management nous ont coûté 5 milliards d’euros.» Il s’insurge tout à la fois contre l’absence de réaction des dirigeants politiques vis-à-vis de la politique de la BCE et contre les désengagements industriels chez le constructeur européen. «Quelle est cette stratégie qui consiste à conduire la politique d’un groupe non pas en fonction du produit, des marchés et programmes à venir mais des fluctuations monétaires ?» Et d’ajouter qu’avec cette politique là, jamais Airbus n’aurait vu le jour en 1970.
La dramatisation à l’extrême de la faiblesse du dollar est aussi un prétexte, selon le responsable CGT Xavier Petrachi, pour justifier les délocalisations, réduire les coûts et imposer un nouveau schéma industriel. «L’impact sur le carnet de commande n’est que de 6%, il est plus fort sur la rentabilité financière attendue des actionnaires, il ne met pas en cause la pérennité de l’entreprise.» Xavier Petrachi dénonce le refus d’investissement d’Airbus dans l’usine de Méaulte prochainement cédée, alors que des usines de pièces en composite verront le jour en Chine et dans l’émirat d’Abu Dhabi. Recours massif aux délocalisations vers les pays à bas coûts, mise en concurrence exacerbée des salariés… autant de pratiques qu’il n’hésite pas à qualifier de «colonialistes». Que restera-t-il demain d’Airbus, questionne-t-il ? «Il y a peu, ils faisaient encore référence au maintien du cœur de métier. Maintenant ils veulent même externaliser du cœur de métier.» L’un comme l’autre assurent que les annonces de Louis Gallois déboussolent fortement les personnels.
(Source : L'Humanité)
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