Le président de la République ne sait pas quoi inventer pour sortir des contradictions dans lesquelles il s’est fourré lui-même. Il a promis d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs, mais il refuse d’augmenter le Smic et il écoute le Medef qui crie au scandale dès que l’on parle d’augmenter les salaires. Il a supprimé les cotisations sociales patronales sur les heures supplémentaires, mais les entreprises ne proposent pas d’heures supplémentaires à effectuer si elles n’ont pas d’activité nouvelle, sauf en transformant des heures normales en supplémentaires pour bénéficier de l’aubaine. Tout cela ne fait pas du pouvoir d’achat en plus pendant que les prix des produits de première nécessité - l’alimentation, le logement, l’énergie, les transports - se mettent à galoper.
Que reste-t-il comme solution à un président coincé dans une impasse et à un patronat gavé de profits pour distribuer quelques miettes ? Réponse : «monétiser la RTT» (1). Il fallait trouver la formule. Chapeau, messieurs les conseillers en communication !
Depuis deux siècles, les travailleurs ont pu récupérer en temps libéré de la contrainte du travail une partie des gains de productivité qu’ils avaient créés : travailler 7 ou 8 heures par jour et non plus 14 ou 16 comme au XIXe siècle, 4 ou 5 jours par semaine et non plus 7, des semaines de 35 à 40 heures et non plus du double, avec 5 semaines de congés payés au lieu de zéro, et, jusqu’à une date récente, travailler 37 ans et demi et non plus jusqu’à ce que mort s’ensuive. Toute l’histoire de l’humanité est tendue vers la recherche du moindre effort, c’est-à-dire pour «économiser» la peine des humains. Sauf que le capitalisme n’a jamais concédé cette «économie» que contraint et forcé.
Eh bien, Monsieur Sarkozy, sous les applaudissements du Medef, crie : «Stop à la RTT !» Mais, comme il est bon prince, il propose d’échanger les récupérations des temps de travail effectués et accumulés dans des «comptes de RTT» contre de l’argent. Parce que, Benjamin Franklin l’avait dit il y a bien longtemps, «le temps, c’est de l’argent». On reste confondu devant tant de bêtise et de cynisme mélangés.
Bêtise. Le temps n’est pas de l’argent. Ou, plutôt, il n’est de l’argent que si du travail a été effectué et a produit des biens et services utiles. Nouveau converti à Marx, Jaurès et Blum, Monsieur Sarkozy devrait demander à ses conseillers - et notamment à ce grand pédagogue qu’est Monsieur Guaino - de lui dire quelles sont les implications de ce qu’il a clamé à tout va pendant sa campagne électorale : seul le travail produit de la richesse et donc (le pourquoi du «donc » doit être demandé à Guaino) l’argent ne fait pas de petits tout seul. En lui-même, le temps qui s’écoule, et notamment le temps de la vie humaine, ne crée ni richesse, ni argent.
Cynisme. En proposant de transformer en argent du temps humain déjà passé à travailler, dont il avait été admis qu’il serait récupéré en temps de repos, en temps libéré, en temps libre enfin, promis, juré, parole de l’Etat, Monsieur Sarkozy veut arracher au salarié ce qui lui revenait de droit : son temps de vie. Contre de l’argent, équivalent de la richesse que le travailleur avait créée.
Et pour dresser les pauvres contre les pauvres, les médias en rajoutent. Ainsi, Le Monde (30 novembre 2007) publie plusieurs graphiques sur le coût du travail en France, «l’un des plus élevés d’Europe» à cause des… «charges sociales». Nullissime ! Pas un graphique qui rapporte ce coût à la productivité, l’une des plus élevées d’Europe. Trop compliqué pour Le Monde qui titre : «Salaires et pouvoir d’achat, une stagnation surprenante», et cela «depuis 1978». Que Le Monde aille voir les statistiques de l’évolution des profits depuis la même date et il comprendra ce qu’est le «coût du capital».
On résume. La politique sarko-médéfienne est du cynisme marié à la bêtise : voler au travailleur son temps de vie par tous les bouts (ici la RTT, là l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite). Il ne reste plus à Madame Parisot et à Monsieur Sarkozy qu’à inventer la monétisation des dimanches, des jours fériés et des congés. Et la monétisation de la retraite ? Ils y pensent… pour éliminer à jamais l’idée même d’augmentation du salaire !
Ce serait d’autant plus ingénieux que cela irait dans le sens de la marchandisation qui gangrène toute la société. La vie humaine = marchandise ; la connaissance = marchandise ; la nature = marchandise ; toute forme de vie = marchandise.
Marchandisez, marchandisez, il ne restera rien ! C’est la démence sénile du capital (2).
(1) N. Sarkozy, entretien télévisé du 29 novembre 2007.
(2) J.M. Harribey, "La démence sénile du capital, Fragments d’économie critique" - Ed. du Passant, 2002, 2e éd. 2004.
(Source : Sud Ouest Blog)
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