La "culture de lutte"
Le malaise syndical est profond et ne fera que s'amplifier à mesure que le gouvernement Sarkozy/Fillon avancera ses "réformes". Car, depuis de (trop) nombreuses années, les syndicats prennent en marche le train des revendications sociales.
Ce fut le cas sur l'affaire des Recalculés (qui concerna, en 2003/2004, 850.000 chômeurs, soit autant que le nombre de travailleurs syndiqués en France), le cas aussi sur le CNE (contre lequel les syndicats n'ont guère mobilisé, sauf FO sur le terrain juridique auprès de l'OIT - Organisation internationale du travail), le cas enfin sur le CPE (les syndicats ont rejoint les cortèges après que les étudiants aient amorcé, seuls, le mouvement)…
Depuis 4/5 ans, les grandes centrales ont négligé le terrain des luttes collectives, le champ des revendications transversales. Ils se sont "recroquevillés" sur des "résistances" sectorielles, comme la défense des régimes spéciaux. La question n'est pas ici de savoir si la défense de ces régimes est légitime ou pas, mais ce sujet n'est pas une revendication "transversale" (elle ne touche - directement - que les salariés concernés).
Une erreur historique
En d'autres termes, à la lecture des mobilisations de ces 5 dernières années, les syndicats ont "abandonné" le principe de la défense de l'intérêt collectif pour se focaliser sur celui des intérêts catégoriels. Il s’agit d’une erreur historique qui suscite aujourd'hui la défiance et la méfiance de la grande majorité des salariés et, de plus en plus, de leurs propres troupes.
Car la défense des intérêts catégoriels ne se justifie que si on obtient des avancées significatives qui peuvent être généralisées à l'ensemble du salariat. Et justement, les syndicats sont en train de perdre la bataille des "régimes spéciaux" et de perdre celle de la "revalorisation du pouvoir d'achat des fonctionnaires". Deux échecs cuisants, encaissés dans les secteurs où ils étaient les mieux implantés : grandes entreprises (SNCF, RATP…) et Fonction publique.
Il est donc probable que, ces prochains mois, on assiste au déclin des grandes centrales syndicales. C'est alors l'ensemble du "corps représentatif" qui sera à reconstruire. Ici, sur Actuchomage, nous avons pressenti (et annoncé) cette évolution.
À notre petit niveau, notre façon de faire s'inscrit à l'opposé de la "logique syndicale". Nous partons de cas individuels pour porter une revendication collective et transversale. Ce fut le cas sur le dossier des Recalculés (une lutte menée par quelques dizaines de personnes issues de différents collectifs, qui a abouti à la réintégration dans leurs droits de centaines de milliers de chômeurs) ; ce fut aussi notre façon de procéder sur le dossier du chômage des Seniors (plaintes contre les discriminations à l’embauche déposées par sept d’entre nous, pour porter un sujet qui concerne des centaines de milliers de personnes) ; même chose sur le dossier des "enfants de chômeurs privés de cantine" (quelques dossiers défendus et soutenus ici pour éviter que les municipalités ne généralisent cette discrimination à l'accès aux cantines scolaires et aux centres de loisirs municipaux)…
Une nouvelle culture de lutte
Il s'agit d'une "culture de lutte" qui se situe à l'opposé de l'action syndicale telle qu'elle est menée depuis plusieurs années par les grandes centrales.
Nous ne sommes pas les seuls - évidemment - à avoir intégré cette "nouvelle culture". Les collectifs qui se mobilisent sur le thème de la précarité (comme AC!, Stop Précarité…, et même Génération Précaire sur les droits des stagiaires) ont intégré ce mode d'action alors que le champ de la précarité sous toutes ses formes a été complètement délaissé par les grands syndicats.
Certes, avec les moyens dérisoires dont disposent ces collectifs, les résultats ont été maigres, mais ils ont quand même réussi à mobiliser (notamment chez McDo ou chez Virgin) et à mener quelques actions d’éclat (sur le statut des stagiaires), là où les discours syndicaux étaient peu ou plus entendus.
Tels que nous les avons connus jusqu'à maintenant, les grands syndicats vont connaître une érosion de leur influence, parce qu'ils ne remplissent plus leurs fonctions premières. Et nous en sommes, ici, une illustration.
Comment expliquer que…
Comment expliquer autrement le fait qu'une association comme la nôtre - dotée de moyens financiers insignifiants, ne disposant même pas d'un local et d’un permanent - connaisse un tel développement de ses activités ?
Comment expliquer que, sur le thème de la défense des droits des actifs avec ou sans emploi, Actuchomage soit devenu un site référence, si ce n'est aujourd'hui LE site référence ?
Ce n'est pas parce que nous sommes plus "réactifs", plus "organisés" que les autres… PAS DU TOUT ! C'est tout simplement parce que ceux qui ont la charge de défendre les intérêts des actifs avec ou sans emploi, ont délaissé ce principe, comme nous l’avons développé plus haut.
Il en résulte un profond désarroi des chômeurs, précaires et, de plus en plus, des salariés du privé et du public (y compris des syndiqués). Et nous, ici, nous le mesurons au nombre grandissant des connectés sur Actuchomage (+ 50% d’audience depuis septembre 2007), des messages que nous recevons, des interventions sur nos forums et même… de l’augmentation régulière du nombre de nos adhérents : chômeurs, précaires et, de plus en plus, salariés.
Car, nous comptons parmi les rares qui peuvent revendiquer aujourd'hui toujours plus d'adhérents, alors que d'autres soufrent pour maintenir leurs effectifs (voire en perdent dans d'importantes proportions).
Un excellent baromètre du désarroi social
Bien sûr, nous ne "représentons" rien (ou si peu) et nous restons plus que "marginaux" en nombre d'adhésions et en visibilité. Certes, nos actions restent limitées - pour l'essentiel - au seul champ virtuel. Mais, avec entre 7.000 et 10.000 visites par jour sur Actuchomage, nous sommes un excellent baromètre de la vie sociale et des désarrois qui s'expriment.
Et, justement, Actuchomage ne fédère pas une ou plusieurs catégories d'actifs avec ou sans emploi. Nous comptons dans nos rangs des personnes relevant des minima sociaux, des chômeurs plutôt "correctement indemnisés" par les Assedic, des chômeurs non indemnisés, des travailleurs précaires, des travailleurs "pauvres", des intérimaires, des salariés rémunérés "correctement", d'autres à "temps partiels subis", des étudiants… Ainsi, nous pouvons nous vanter - ce dont nous pouvons être fiers - de réunir dans une seule et même association, sur un seul et même site, des représentants des différentes composantes du corps social.
Nous comptons même parmi nos adhérents des retraités, d'anciens chefs d'entreprise et des artisans. Seuls des représentants du "patronat" et des professions libérales manquent à notre "représentativité" (mais ce n'est même pas certain, car il est aussi possible que des adhérents à l'association n'aient pas souhaité afficher ouvertement leur statut professionnel dans le bulletin d’adhésion qu’ils nous ont envoyé).
Les années 2008 et suivantes vont être déterminantes pour les grands syndicats… et pour nous. Nous allons assister à une recomposition du corps social et, plus encore, de ses représentants.
Quelle part y prendrons-nous ?
Y.B.
(1) Dans ce fil de discussion est évoquée, entre autres, la démission de Yves Bernard, Secrétaire de section CGT ligne 06 de la RATP, qui n’est pas tendre avec le syndicat dont il fut 32 ans durant, sympathisant, adhérent et militant.
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