J'étais fort intriguée qu'on me demande à moi, chômeuse de très longue durée — donc looseuse par excellence aux yeux de l'opinion publique —, de faire partie d'un magazine où ça winne à donfe. Mais, au téléphone, la charmante coordinatrice m'a rassurée : «Vous, femme doublement discriminée sur le marché de l'emploi [âge et salaire], avez créé une association et un site internet pour aider les autres. Vous contribuez donc à faire bouger la France.» En plus, j'étais recommandée par Thierry Demaizière, qui m'avait honnêtement tiré le portrait au "Sept à Huit" de TF1 en septembre 2005.
Bon, me suis-je dit : ça se tient. J'en profiterai pour parler de nos procès contre les annonces discriminatoires, de la discrimination que subissent les chercheuses d'emploi dont on refuse les enfants à la crèche ou à la cantine, et de ces femmes qui représentent 54% des inscrits à l'ANPE, 57% des non indemnisés par l'assurance chômage, 80% des Smicards et 83% des salariés employés à temps partiel... Je me voyais déjà tenir une conversation instructive dans l'un des jolis fauteuils colorés face à Mme Borloo (une sacrée belle plante : il ne s'embête pas, son Jean-Louis), entourée de sommités comme le sociologue Jean-Claude Kaufmann ou la Pdg d'Areva Anne Lauvergeon...
Hélas, que de temps perdu ! Trente kilomètres aller-retour de chez moi à la Plaine St Denis dans ma vieille guimbarde (heureusement que ça roulait), plus une demi-heure de maquillage (par une sympathique intermittente) et près de deux heures d'attente pour cinq minutes de parole… dans le public (on vous coupe le micro au bout de trois. Pour la reprendre, il faut faire de grands gestes). La télévision fourre-tout dans toute sa splendeur ! Nous étions une quinzaine d'invité(e)s anonymes à faire la queue pour une émission dont l'invité-trublion n'était autre que l'insupportable Eric Zemmour et, pour y donner une touche d'humour façon gonzesse, il y avait l'incontournable Michèle Bernier (vous savez, la fille du Professeur Choron).
A un moment, dans un recoin obscur du Studio 107 (le "fond vert" — comme pour la météo — où vous passez pour qu'on vous filme 20 secondes afin d'en tirer une vignette animée — comme dans la Star Academy…), alors que j'étais sous les spotlights, bien plantée au milieu sur le repaire au sol en forme de T (comme dans Orange Mécanique), figurez-vous que je me suis retrouvée nez à nez avec... Ségolène Royal !!! Elle sortait du plateau et s'était trompée de côté : elle avait pris à droite et non à gauche (je ne plaisante pas). «Tiens, Madame Royal !», lui ai-je sorti avec un grand sourire. Elle m'a regardée, tout sourire aussi, et m'a tendu la main pour me la serrer — ça fait partie de sa fonction — en me disant : «Bonjour, comment ça va ?» avant de s'éclipser. Dire qu'elle n'a jamais répondu à nos demandes d'interview… Dire que j'ai voté pour elle ! C'est ça, la familiarité des personnes publiques : elles font comme si elles vous connaissent. Comportement que j'avais déjà pu observer dans mon ancien métier — l'ambiance un peu showbizz de l'industrie du disque —, aussitôt confirmé par Eric Zemmour qui a débarqué cinq secondes après, lui aussi droit sur moi. Je le regarde, tout sourire, et je lui dis : «Tiens ! Eric Zemmour...» Il me serre la main, me demande si ça va et… si on se connaît ? (Je lui dit que non, je me présente, puis il s'éclipse à son tour.)
Ensuite, sans nous en dire plus, on nous a fait poirauter dans un petit salon bondé d'où on pouvait suivre l'émission sur une télé géante et où personne ne se parlait. Puis redescendre dans un autre coin obscur devant des petits écrans à attendre notre tour avant de passer sur le plateau. C'était l'usine ! Et c'est là que je me suis retrouvée sur un banc du public à illustrer vite fait l'initiative Actuchomage, qui risque au montage d'être bâclée en deux coups de cuillère à pot, et pire encore s'ils tombent sur cet article.
A la fin de la séquence, telle Ségolène Royal par le local à "fond vert", j'ai filé sans demander mon reste… mais sans me tromper de côté. «J'aurais mieux fait de rester chez moi !», fulminais-je dans le flot du périph’. De toutes façons, on n'a pas besoin d'eux pour faire de l'audience, si ce n'est pour s'attirer des trolls sur le forum, et je crois que c'est la dernière fois que j'accepte de faire la chômeuse de service à la télévision. Surtout France 2 qui a déjà été ma pire expérience du genre, entre un sujet de JT savamment mis en scène sur les plaintes que nous avions portées contre des discriminations à l'embauche sur des critères d'âge (jamais diffusé parce que Jean-Paul II venait de casser sa pipe) et le compassionnel Delarue (où j'ai été grassement censurée) : je persiste et signe !
Sauf... sauf... si c'est du direct, ou si la parole est donnée et considérée avec respect. Mais au train où vont les choses, on peut toujours rêver ! D'ailleurs, j'en profite pour rendre hommage à l'excellent Pierre Bourdieu qui avait si bien analysé ce petit monde, ses artifices et ses dangers dans son excellent essai "Sur la télévision" : une lecture que je vous recommande chaudement (Raisons d'agir - 95 pages - 6 €). Contre la vacuité grandissante du petit écran, mieux vaut bouquiner.
Sophie Hancart - une animatrice du site
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