«Travailler plus pour mourir plus», c’est le titre que je voulais donner au documentaire qui sera diffusé par Infra-Rouge sur France 2, jeudi 13 mars à 23h10. Et puis j’ai eu des doutes sur l’humour noir, pas sûr que tout le monde rigole à gorge déployée… Le titre est donc : «Travailler à en mourir»…
Au départ, il y a la vague au printemps 2007 des suicides professionnels, à Renault, Peugeot, IBM et EDF. Des entreprises qui se sont fermées comme des huitres pour qu’on ne cherche pas à comprendre ce qui s’était passé. Avec Virginie Roels, c’est cette zone grise que nous avons voulu explorer. La Terra Incognita du monde des entreprises. L’entreprise est l’univers le plus opaque de la société. Il est plus facile d’aller à Sadr City, le bastion chiite de Bagdad, que dans les couloirs d’IBM à la Défense (ceci n’est pas une blague). Dans la tête des dirigeants de certaines boites, l’économie est une guerre.
Nous voulions comprendre la mécanique qui détruit les hommes dans le monde de l’entreprise.
Cette question, nous voulions que ce soit d’abord les salariés qui y répondent. Ceux qui avaient plongé dans la dépression, frôlé le geste ultime du suicide, ceux que le stress avait usés jusqu’à la maladie.
Nous nous sommes intéressés à trois secteurs industriels particulièrement pathogènes : la banque, les plateformes téléphoniques et la sidérurgie. Et l’enquête ne portait pas sur le harcèlement au travail. Certaines méthodes de travail ont un pouvoir bien plus destructeur que celui de petits chefs aux manières autoritaires. Ce sont plus souvent des technologies, des modes d’organisation, qui rendent malades.
Dans le monde de la banque, les concentrations de ces dernières années ont bouleversé les méthodes de management et soumis leurs employés à une pression inconnue jusqu’alors. Il y a ceux qui s’adaptent. Il y a les champions fous, comme Jérôme Kerviel. Et il y a les salariés qui refusent et qui deviennent des «perdants». Nous avons rencontré deux d’entre eux : Jean Marc et Roger. Ils travaillaient au CIC-Crédit Mutuel. Quand j’ai appelé le service de presse pour avoir le point de vue de la direction, on m’a dit : «Donnez nous les noms, on a les dossiers…». Et puis, après vérification des dossiers, la banque a choisi de se taire. Comme toutes les entreprises abordées dans ce doc (sauf SFR qui a accepté de me faire une déclaration téléphonique).
Nous nous sommes intéressés aussi aux invisibles de la sous-traitance dans l’industrie sidérurgique. Contrats à durée déterminée. Intérim. A la marge des grandes entreprises, les travailleurs précaires sont les premières victimes de la réorganisation du travail. Ils sont ceux sur lesquels tombent toute la pression de l’urgence. Des dégâts d’autant plus terribles qu’ils sont difficilement repérables.Voire invisibles. Rudy et Jean Luc était précaires dans la métallurgie. L’un est mort d’arrêt cardiaque après 21 heures de travail, l’autre est dans le coma. 21 heures de travail de suite... c’est suffisamment illégal pour que la justice ai déclenché une procédure pour homicide involontaire. Vous en avez entendu parler ?... Imaginez si l’ouvrier sidérurgiste avait été tué par une bande de racailles dans une cité HLM. Combien de temps cela aurait-il occupé la Une des journaux ?... Il y a des zones de non-droit plus médiatiques que d’autres.
Comment repérer les processus de destruction ? J’ai pu constater de visu que très souvent les directions des ressources humaines servent à les dissimuler. Après tout, ils sont payés par la direction pour que les choses se passent sans vagues. Dans l’apparence de la correction. Cela aussi participe de l’invisibilité.
Combien sommes nous à aller au travail la boule au ventre ? Difficile à dire, il n’existe pas d’enquête épidémiologique globale. En 2007, après la vague de suicides sur les lieux de travail, le ministre de la Santé a demandé à deux experts – Nasse et Légeron - de plancher sur la question, de trouver des solutions. Ils rendent leur rapport ces jours ci.
Ils le soulignent : les seuls contre-pouvoirs sont les inspecteurs du travail et les médecins du travail. Or, ceux ci voient leur prérogatives de plus en plus limitées, comme le souligne un collectif de médecins du travail de Bourg en Bresse, le plus actif sur la question. Face à une épidémie de troubles psycho-sociaux massifs, on réduit les moyens pour le combattre. Comme si on mettait les pompiers au chômage technique l’été dans l’arrière pays varois.
(Source : Le blog de Paul Moreira)
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