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Les risques psychosociaux en entreprise, «un marché extrêmement porteur»

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Les employeurs ont désormais des obligations en matière de prévention du stress. Ils doivent aussi préserver leur image pour éviter un scandale à la France Télécom. Mais ne savent pas toujours à qui s’adresser pour prendre la question en main. Un boulevard pour les cabinets, consultants, officines, plus ou moins sérieux.

Début septembre 2010, la société d’investissement Dzeta Conseil faisait l’acquisition du cabinet de conseil Stimulus, spécialisé dans la prévention du stress en entreprise. «C’est une société particulièrement intéressante» qui fait des bénéfices et qui est située sur un «marché extrêmement porteur, celui des risques psychosociaux en entreprise», déclarait à l’AFP le président de Dzeta Conseil, dont l’entreprise cherche à acquérir des sociétés de taille moyenne avec la perspective de les conserver pendant cinq ans. La santé au travail serait-elle devenue une marchandise comme les autres ? Pourquoi ? Santé et commerce peuvent-ils faire bon ménage ?

Obligation légale et risque de procès

Longtemps, la santé au travail a été dévolue à un triptyque : médecin du travail, CHSCT, employeur, rappelle Jack Bernon, responsable du département santé et travail de l’Anact. «Dans les années 90, les acteurs institutionnels se sont multipliés dans le domaine, créant un appel d’air, et, aujourd’hui, ce sont les acteurs privés qui s’invitent : la santé au travail est devenue une préoccupation pour les entreprises et un enjeu commercial pour de multiples prestataires de services».

Sous l’influence du droit communautaire, chaque entreprise a en effet désormais l’obligation de réaliser une évaluation a priori des risques. Les résultats doivent être consignés dans un Document unique, et servir à préparer un plan d’actions ou un programme de prévention. L’employeur est également tenu à une «obligation de sécurité de résultat» dont le manquement constitue une faute inexcusable : il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé et la sécurité de ses salariés, et ses mesures doivent être effectives.

Enfin, les risques professionnels se judiciarisent. À deux reprises, les conditions de travail ont été mises en cause par un tribunal dans des cas de suicide chez Renault. Tandis que France Télécom doit répondre devant le Procureur de la République pour «mise en danger d’autrui et harcèlement moral du fait de méthodes de gestion de nature à porter atteinte à la santé des travailleurs». Santé mentale comprise : les risques psychosociaux doivent eux aussi maintenant être prévenus.

Formation, coaching, massage : les cabinets de conseil fleurissent

Un boulevard pour les consultants en tous genres, comme le constate le ministère du Travail. «Depuis la publication du classement des entreprises en fonction de leur politique de prévention du stress - en listes verte, orange et rouge -, les employeurs sont de plus en plus nombreux à nous contacter : les Cram et les Aract sont débordés, les entreprises se tournent vers les cabinets extérieurs, mais ne savent pas à qui se fier», raconte Hervé Lanouzière, conseiller technique à la Direction Générale du Travail.

Pour Jack Bernon, de l’Anact, il ne s’agit pas d’une dépossession des services de santé au travail. «Le triptyque s’est usé, qui n’a pas pu prévenir l’apparition de certains risques». Surtout, estime Henri Forest, en charge des conditions de travail à la CFDT, «les services de santé au travail peuvent participer aux constats à partir de diagnostics individuels, mais ils ne sont pas bien placés pour démêler la complexité des organisations du travail actuelles, ni faire des propositions correctrices». D’autres compétences, externes à l’entreprise, seraient nécessaires. «À la condition que leur démarche s’inscrive dans le respect d’un réel dialogue social», précise Henri Forest.

Mais comment s’assurer d’une telle garantie quand consultants, assureurs, entreprises de services divers (formation, coaching, conseils en ressources humaines, gestion du stress…), officines de «costs killers», tous rivalisent de démarches commerciales, de stratégies marketing, pour prendre quelques parts de ce marché porteur ?

Quels sont les cabinets agréés ?

Du côté des cabinets de consultants, certains sont agréés CHSCT par les ministères du Travail et de l’Agriculture : les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peuvent faire appel à eux dans certains cas. Ils répondent à un cahier des charges rédigé par les partenaires sociaux, suivent un protocole et sont contrôlés dans leur expertise. Un cadre certes contraignant mais qui permet d’effectuer une sélection. Problème : aujourd’hui, ces cabinets diversifient leur offre. Et, là, l’agrément n’est plus d’aucun secours. «L’expertise CHSCT se place a priori sur le terrain de la prévention primaire, mais nous avons des demandes des CHSCT en préventions secondaire et tertiaire», explique François Cochet, chez Sécafi, cabinet agréé. «Après un suicide, par exemple, les élus et les collègues ont besoin d’aide. Faut-il faire appel à des cabinets différents, à des équipes différentes ? Nous y réfléchissons actuellement».

D’autres cabinets ont déjà tranché. Technologia fournit ainsi, outre les «autopsies psychiques», des formations pour «gérer une situation de crise suite à un accident de travail, un décès, un suicide d’un salarié au travail». Quand des prestataires, comme CSP Formation, propose des modules agréés aux membres des CHSCT, parmi d’autres offres (Savoir réagir face aux traumatismes provoqués par des évènements violents, Maîtriser son stress et son sommeil, etc.).

Apprendre aux salariés à s’adapter à leur travail, ou le contraire ?

C’est également le champ d’intervention des cabinets non agréés. Certains s’intéressent aux organisations du travail, mais beaucoup se sont rués sur le créneau de la gestion individuelle du stress. Stimulus - racheté par Dzeta Conseil - ou l’Institut français d’action sur le stress (Ifas), dirigé par le psychiatre Patrick Albert, offrent par exemple aux grandes entreprises, entre autres, du coaching et du soutien psychologique. Quand les psychologues cliniciens de Psya répondent au téléphone 24 heures sur 24. Pourtant, prévient l’INRS, «cette forme d’aide à distance permet éventuellement d’identifier des personnes en souffrance, si elles se manifestent, mais ne constitue pas une réelle prise en charge psychologique».

Tandis que les formations servent surtout à apprendre aux salariés à «gérer» leur stress, pas à en éliminer les causes. Car les mesures préventives ne sont pas forcément bienvenues. «Quand un cabinet de consultants m’a appelé, disant qu’il voulait faire de la prévention, j’ai cru à ses sirènes et j’ai intégré l’équipe», raconte un médecin du travail qui a rapidement déchanté. «J’intervenais par exemple dans des entreprises où les salariés étaient stressés parce qu’ils enchaînaient les missions et ne savaient plus qui étaient leurs supérieurs. Mais je ne devais pas mentionner cette source de stress car les clients ne souhaitaient pas modifier leur organisation, et parce que le cabinet ne proposait pas de prestation adéquate. En réalité, il ne s’agissait pas de donner aux salariés tous les éléments pour préserver leur santé : je n’étais plus médecin du travail. La logique était purement commerciale.»

Les assureurs sur ce créneau lucratif

«Chacun son rôle», estime de son côté Anne-Sophie Godon, directrice de la prévention santé du groupe Malakoff-Médéric. Car les assureurs s’intéressent eux aussi à la prévention santé, pour contenir les dépenses. Malakoff-Médéric propose à ses clients un «outil de diagnostic et de pilotage de la santé dans l’entreprise», une soixantaine de questions sur «les cinq déterminants de la santé au travail» : les conditions de travail, mais également l’hygiène de vie (sommeil, alimentation, tabac, alcool, etc.), l’état de santé, l’environnement personnel et l’isolement social. «Nous ne souhaitons pas intervenir sur l’organisation du travail, ni sur le management chez nos clients, ce n’est pas notre métier», explique Anne-Sophie Godon. «Nous pouvons les aider à identifier leurs enjeux de prévention, mais, ensuite, d’autres acteurs doivent prendre le relais». L’assureur complémentaire met d’ailleurs les entreprises en relation avec des cabinets de conseil. Il propose également des formations payantes, dispensées par Demos, un spécialiste de la formation continue.

Ce sont donc davantage des mesures de santé publique et des prestations cosmétiques que proposent les divers intervenants. Des services qui rapportent, néanmoins. «Ce n’est pas un problème quand la prestation est vendue comme commerciale, mais ça le devient quand elle est présentée comme relevant de la santé au travail», estime Gabriel Paillereau, ancien délégué général du Cisme, organisation patronale des services inter-entreprises de médecine du travail. «Le risque est grand que les employeurs, pour répondre à leurs obligations, recourent à ces prestations commerciales et s’estiment dispensés de s’intéresser à la santé des salariés, à la prévention des risques, à leur organisation et leur management».

Le ministère tente de faire le tri

Le ministère du Travail a pris conscience de la dérive. Il a réuni en juin soixante-dix consultants pour discuter d’une «charte méthodologique et déontologique» en matière de risques psychosociaux. «Nous avons reçu des psychologues, des cliniciens, des sociologues, des artistes… et nous avons constaté qu’il fallait qu’ils suivent des règles communes : utiliser des questionnaires éprouvés et des méthodes en accord avec l’INRS ou l’Anact, associer les partenaires sociaux», raconte Hervé Lanouzière, chargé du projet. «Il faut aussi qu’ils abordent les bons facteurs de risques. Nous défendons l’idée que les risques psychosociaux constituent des risques professionnels et qu’il appartient à l’employeur d’agir sur ce qui est de sa responsabilité, c’est-à-dire son organisation du travail».

Comment faire le tri, alors ? «Il est nécessaire de clarifier les champs de compétences de chacun. Que les cabinets qui n’interviennent que sur l’accompagnement personnel disent qu’ils ne savent pas faire d’accompagnement organisationnel, et renvoient à des confrères quand besoin est», poursuit M Lanouzière. «Il s’agit de réguler le marché». Limite de l’exercice : l’adhésion à la charte sera volontaire, aucune vérification ni sanction ne sont prévues. «Mais, si une entreprise évalue mal les risques, mal conseillée par un cabinet, l’inspecteur du travail le remarquera quand il contrôlera le Document unique», assure Hervé Lanouzière. Optimiste.

Elsa Fayner - Et voilà le travail

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Mis à jour ( Vendredi, 19 Octobre 2012 14:05 )  

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