En 1942, Roosevelt déclare : «Aucun citoyen américain ne doit avoir un revenu (après impôt) supérieur à 25.000 dollars par an». C’est l’équivalent de 315.000 dollars actuels, soit 8,5 fois le revenu disponible médian par personne (37.000 dollars), lequel vaut environ trois fois les plus bas salaires à temps plein. On aurait donc, si l’on appliquait aujourd’hui la norme de Roosevelt, un éventail de revenus de l’ordre de 1 à 25, hors personnes vivant sur la base de petits boulots ou d’aide sociale. C’est un écart encore énorme, mais c’est peu au regard de l’éventail de 1 à plusieurs milliers qui a cours actuellement.
Roosevelt n’a toutefois pas pris une décision du type «au-dessus de 25.000 dollars, je prends tout». Il a mis en place une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 88% pour la tranche la plus élevée, puis 94% en 1944-45. De 1951 à 1964, la tranche supérieure à 400.000 dollars actuels a été imposée à 91%, puis autour de 70-75% jusque 1981. C’est ensuite la plongée néolibérale, l’idéologie des «baisses-d’impôts-pour-la-croissance-et-l’emploi-et-contre-le- trop-d’état» avec des taux maximaux de 50%, puis entre 28% et 39% depuis 1987 (actuellement 35%).
[...] Depuis 1981, la spectaculaire remontée des inégalités s’explique largement par les baisses d’impôt dont bénéficient essentiellement les plus riches, et elle trouve une seconde explication dans les rémunérations brutes de plus en plus extravagantes des dirigeants et hauts cadres des grandes entreprises du capitalisme actionnarial.
Cette courte histoire montre en tout cas que :
- l’idée d’un revenu maximum n’est pas une utopie,
- elle peut apparaître non seulement comme une exigence morale, mais aussi comme l’une des voies de sortie des crises majeures.
Il y a trois grandes façons de réduire les inégalités de revenu. La première, en bas de l’échelle, consiste à défendre des salaires décents et des minima sociaux qui fassent (au moins) sortir les gens de la pauvreté. La seconde repose sur une fiscalité très progressive. Et la troisième porte sur les «revenus primaires» avant impôt. Actuellement, elle reviendrait à s’en prendre d’abord aux revenus financiers, boursiers, dividendes et stock-options, et aux «salaires» indécents.
Mais tout cela a peu de chances de se produire si la société civile ne met pas les pieds dans le plat mal réparti de la richesse, entre autres plats socialement et écologiquement toxiques que le néolibéralisme a produits depuis les années 80.
Jean GADREY pour Alternatives Economiques
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