À la sortie de l’audience jeudi dernier, la nuit a déjà envahi les rues de Paris. Les gens de la CFDT quittent le palais de justice, entourés par des gardes du corps plutôt costauds. Une mise en scène pathétique, à l’image du procès intenté par la CFDT à l’encontre de Michel Roger, metteur en scène et directeur de la compagnie de théâtre Jolie Môme, et de Ludovic Prieur, animateur du webmédia HNS-info, qui s’est déroulé dans la 14e chambre correctionnelle.
Quelle faute auraient-ils donc commis qui autorise un syndicat à les poursuivre, alors même qu’un premier non-lieu dans cette affaire avait été prononcé [pour 4 militants d'AC! également inculpés à l'époque] ? Une occupation du siège national de la CFDT qui se transforme en «violation de domicile»; une bousculade qui se solde par la fracture d’un petit doigt entraînant 55 jours d’interruption temporaire de travail — ce qui ne doit pas arranger le trou de la Sécu, mais c’est là une autre affaire — sur la personne de Marcel Le Maillet, secrétaire confédéral chargé de la sécurité des locaux; le vol d’une affiche qui est requalifié en «dégradations». Tout cela pourrait prêter à sourire. Sauf que rien dans cette affaire ne relève d’une vue de l’esprit. Depuis trois ans, et en dépit d’un premier non-lieu prononcé faute de «coupables», la CFDT a décidé de ne pas lâcher prise et de porter cette histoire au pénal.
Un mode d’action pacifique
Ce jour-là, le 17 avril 2005, en marge d’une manifestation, des manifestants se rendent au siège national de la CFDT à Belleville. L’occupation des locaux durera moins de trois heures. Ils souhaitaient rencontrer Annie Thomas, secrétaire confédérale qui siégeait alors à l’UNEDIC et signait sans sourciller avec le MEDEF tous les textes rognant chaque jour un peu plus les droits des chômeurs et remettant en question les annexes VIII et X, dont dépendent les intermittents pour l’assurance chômage. Une bonne centaine de personnes pénètrent dans les locaux et parviennent à grimper jusqu’au septième étage. La description des faits — une hôtesse d’accueil «tétanisée» ou «momifiée», des gens qui «vocifèrent», une «masse indistincte, sans leader» — par la partie civile témoigne d’une seule certitude : ces intermittents, chômeurs et autres précaires n’avaient que de mauvaises intentions.
Au fil des témoignages, pourtant, le tableau est moins apocalyptique. Au septième étage de la centrale syndicale, les occupants improvisent une AG, demandent à rencontrer un représentant de la CFDT. Au bout de quelques heures, tout ce petit monde quittera les lieux. Sans violence. Sans intervention policière. Entre-temps, et de la même manière, le siège du MEDEF aura été occupé sans que le syndicat patronal n’éprouve de telles velléités belliqueuses.
Parmi les témoins cités par la défense, André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme. «Époustouflé», il rappelle à la barre que l’occupation est un mode d’action auquel ont recours les salariés adhérents de la CFDT. Et de citer quelques usines du côté de Clermont-Ferrand où ils n’ont eu d’autres recours que d’occuper les locaux. Et de rafraîchir les mémoires en rappelant que la compagnie Jolie Môme «est allée dans les boîtes soutenir les travailleurs à la demande de la CFDT». Un ange passe... Daniel Hoareau (CGT-Chômeurs) rappelle que «M. Chérèque est venu soutenir récemment les salariés de Carrefour Marseille» dans les mêmes conditions. «Si à chaque occupation de deux heures il y a procès, les tribunaux seraient vite engorgés», conclut-il malicieusement.
La plaidoirie de la partie civile s’est déroulée en deux temps. Il a d’abord été question de «dissimulateurs», d’«une masse indistincte, sans leader apparent». Plus loin, l’avocat évoque avec beaucoup d’effets de manches une «mouvance». L’ombre du grand complot invisible n’est pas loin. Enfin, nous aurons eu droit à un copié-collé des arguments du baron Seillière en 2003 — il était alors le patron du MEDEF — pour justifier la grande braderie des annexes VIII et X : «Les intermittents, s’exclame l’homme de robe, coûtaient un argent fou… En 2003, on a resserré les boulons. Ce sont les caissières des supermarchés qui paient»... Entendre ça dans la bouche du défenseur de la CFDT !
«L’infraction n’est pas constituée»
Maître Terrel, avocate des deux prévenus, pointe avec une rigueur exemplaire les failles de l’accusation, mais surtout la mécanique invisible qui conduit à judiciariser, criminaliser et diaboliser à tout va. «On traîne en justice des gens venus occuper pacifiquement. (…) Les intermittents, les chômeurs et les précaires ne disposent pas du droit de grève. Le but était de demander des comptes à la CFDT sur les accords qu’elle signe, alors qu’elle n’est pas représentative de ces catégories.» Pour l’avocate, «le caractère d’intentionnalité fait défaut, l’infraction n’est pas constituée et, symboliquement, cette affaire est grave». Elle témoigne d’une volonté de «discréditer un certain nombre de mouvements sociaux : collectifs de sans-papiers, de mal-logés, de précaires…».
Les conséquences du verdict ne sont pas anodines, quand bien même il ne serait que «symbolique». Si la justice donnait raison à la CFDT, combien de syndicalistes, de salariés seraient ainsi poursuivis ?
Le procureur a requis une peine modérée avec sursis pour «violation de domicile». Le délibéré sera rendu le 22 janvier 2009, à 13h30.
Marie-José Sirach pour L'Humanité
Lire aussi le compte-rendu de la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile-de-France…
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