Il se passe parfois des choses inouïes dans les séminaires d'entreprise. Comme le révèle Mediapart dans un excellent article de Laurent Mauduit, à France Télévisions Publicité, la bêtise a dépassé les bornes ! Philippe Santini, directeur général de la régie publique, à l'origine d'une "prise d'otage fictive" sur les cadres de son groupe, a finalement été condamné pénalement et de manière définitive par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 7 avril dernier. C'est à juste titre que la cour d'appel a retenu contre lui la "complicité de violences aggravées, avec préméditation et usage ou menace d'une arme..." Informé par la presse, Patrick de Carolis, le pdg de France Télévisions, n'a pas encore pris connaissance de l'arrêt de la Cour de cassation. Pourra-t-il maintenir Philippe Santini à son poste après une condamnation aussi grave ?
L'histoire ne manque pas de sel. Les 25 et 26 octobre 2005, Philippe Santini organise un séminaire au château de Romainville, à Ecquevilly dans les Yvelines. Son comité de direction (13 personnes) pense assister à une classique réunion où l'on va débattre de la manière de mieux commercialiser les écrans de pub de France Télévisions... Tout bascule le 25 octobre, vers 18 heures. La réunion est brutalement interrompue par l'irruption de neuf personnes cagoulées, armées de fusil, d'armes automatiques et de poing. Les preneurs d'otage sont en treillis et agressent verbalement les employés de France Télévisions. Ils se mettent à hurler : "Tout le monde à terre, les mains dans le dos, face contre terre !" Un coup à la Carlos ! Ils se revendiquent des "Marins du syndicat des travailleurs corses" (la bonne blague…).
Une "mise à l'épreuve face au stress" par des anciens du GIGN
Le leader du commando exige une rançon d'un million d'euros et la diffusion d'une cassette vidéo au journal de France 2 le soir même. Les employés sont menottés et on leur passe des cagoules... Véronique Viviano-Saussine, à l'époque directrice des études de la régie, témoigne avoir vu sa collègue (la directrice commerciale adjointe) prise de panique à l'idée d'être encagoulée car elle est claustrophobe... En état de choc, elle est évacuée de la salle. La directrice informatique peine à respirer et réclame de l'eau. Une des participantes semblait si choquée qu'elle n'est pas réapparue de tout le séminaire qui s'est terminé le lendemain après le déjeuner.
Il ne s'agissait que d'une "mise à l'épreuve face au stress", commanditée par Philippe Santini auprès d'une société (A.R.M.) dirigée par Denis Seltemann, et composée d'anciens membres du GIGN... Mais les dégâts psychologiques sont considérables. Dans les mois qui suivent, Sophie Poncin, la directrice commerciale, devient, selon le témoignage de son assistante, "irritable, limite agressive, angoissée"... La farce devait contractuellement durer deux heures. Elle a été écourtée à 1 h 15 car, manifestement, la prise d'otage ne tournait pas rond. En effet deux cadres, qui avaient tenté de prendre la fuite, ont été manu militari remis à leur place. Trois membres du comité de direction ont été isolés sur le balcon par le commando.
Un "otage"... licencié pour faute
L'histoire devient terrifiante quand on découvre la suite managériale de cette mise en scène de très mauvais goût. Guillaume Astruc était alors le numéro 2 de la régie. Il a fait partie des managers qui se sont rebellés contre les preneurs d'otage. C'est lui qui tente de s'enfuir. C'est lui que l'on retrouve sur le balcon... Lors du "debriefing", son comportement est stigmatisé par Denis Seltemann comme "susceptible de mettre en danger la vie d'autrui".
Selon l'arrêt de la cour d'appel, Philippe Santini lui en aurait tenu rigueur. Le témoignage de la secrétaire de direction (Sylvie Delafolie) laisse supposer que le comportement de Guillaume Astruc lors de la simulation de crise "a fait l'objet d'une évaluation et d'un score de performance jugé incompatible par rapport aux compétences exigées aux besoins de l'entreprise afin de valider son évolution professionnelle en tant que responsable managérial"... Guillaume Astruc a été licencié le 18 mai 2006 pour "profondes divergences de vue dans la stratégie et l'organisation de l'entreprise." Soit six mois après le sinistre séminaire...
Toujours selon le témoignage de son assistante, Sophie Poncin enchaîne alors les arrêts de travail et "n'a pas pu échapper à une longue dépression", relève la Cour. Guillaume Astruc a soulevé le caractère délictueux de ce séminaire dès le 17 mars 2006. Donc, avant de saisir les prud'hommes (le 25 octobre 2006). Par conséquent, la justice retient qu'il n'a pas cherché à instrumentaliser l'institution judiciaire, contrairement aux allégations de Denis Seltemann.
Inutile de se voiler la face, Patrick de Carolis a couvert les agissements de Philippe Santini. Le peut-il encore aujourd'hui alors que Santini est pénalement et définitivement condamné par la Cour de cassation ?
L'article de Laurent Mauduit livre un détail terrible. Pour rendre encore plus crédible la mise en scène, la fille de Philippe Santini a été mise dans le coup. Le chef des preneurs d'otage l'a appelée sur son téléphone mobile avant de passer le combiné à l'un des salariés "qui l'entendra en larmes, sous la menace d'un terroriste, le supplier de céder"... Guillaume Astruc dirige actuellement IP, la régie pub de RTL. Incompétence, disaient-ils... Et dire que toute cette mascarade a été payée par le contribuable !
(Source : Le Point)
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