La France n'est pas en pointe en matière d'emploi des seniors. Le taux d'emploi des 55-64 ans dans l'Hexagone (39%) est l'un des plus faibles d'Europe (45% en moyenne). Un chiffre peu glorieux alors que le gouvernement prévoit de reculer l'âge légal de départ à la retraite à 61, 62 voire 63 ans. Les syndicats, qui s'opposent au projet de réforme du gouvernement, affirment que reculer le seuil de 60 ans aura pour effet de créer des chômeurs supplémentaires. Pour ne pas leur donner du grain à moudre, le gouvernement a fait de l'emploi des seniors une priorité.
Deux pistes sont privilégiées : le tutorat (un senior forme un jeune) pour encourager les entreprises à garder leurs seniors en poste [1], et l'abaissement du coût du travail. En effet, si les entreprises n'embauchent pas des seniors, c'est "parce qu'ils coûtent trop cher", affirme le secrétaire d'Etat à l'Emploi Laurent Wauquiez.
Les seniors coûtent-ils vraiment trop cher ?
De fait, les salariés de plus de 45 ans gagnent en moyenne près de 23.000 € par an, contre 10.660 € pour les moins de 30 ans, selon l'Insee. "En France, les salaires progressent avec l'ancienneté, explique Eric Heyer, directeur adjoint du département analyse de l'OFCE. Les salariés atteignent leur seuil de compétence vers 50 ans. Après cet âge, leur productivité stagne ou décroît. Donc oui, les seniors coûtent plus cher aux entreprises que les 30-50 ans."
Mais "ceci ne vaut que pour les professions dont la trajectoire salariale est croissante, principalement les cadres et les fonctionnaires. Car les ouvriers et employés peu qualifiés ont une trajectoire salariale plate, réplique Bruno Palier, chargé de recherche du CNRS, spécialiste des systèmes de retraite. Or, ce sont principalement ces catégories d'actifs qui sont au chômage après 50 ans, pas les cadres. Cette idée que les seniors coûtent trop cher est basée uniquement sur le rapport salaire/productivité. Si les entreprises investissaient dans la formation de leurs salariés qui ont plus de 50 ans, ce qui n'est pas le cas, leur productivité continuerait d'augmenter."
Pour baisser le coût "trop élevé" du travail des seniors — une idée véhiculée par le patronat, selon Bruno Palier —, le gouvernement réfléchit à la transposition du dispositif "zéro charges" [2] pour les TPE en faveur des seniors. Instauré en décembre 2008, le "zéro charges" équivaut à une aide durant un an de 185 euros par mois pour les employeurs de moins de dix salariés recrutant un salarié au Smic.
Premier problème : ce type de mesures a un coût élevé pour le budget de l'Etat. Le dispositif "zéro charges" a coûté 380 millions d'euros en 2009 et devrait coûter 410 millions cette année. Plus globalement, les exonérations de cotisations patronales (exonérations sur les bas salaires de manière dégressive jusqu'à 1,6 Smic, exonérations pour le recrutement d'apprentis et de chômeurs, défiscalisation des heures supplémentaires, etc.) coûtent entre 20 et 33 milliards d'euros par an à l'Etat.
Les exonérations de charges sont-elles efficaces ?
Deuxième problème : l'efficacité de ces exonérations n'est pas avérée. Le gouvernement affirme que le dispositif "zéro charges" a permis environ un million d'embauches en 2009. Mais embauche ne signifie pas création d'emploi, souligne Eric Heyer. "En France, il y a en moyenne 4 millions d'embauches par trimestre, explique le directeur adjoint de l'OFCE. Pourtant, le chômage continue d'augmenter et l'économie ne crée toujours pas d'emplois. Ce qui signifie que ces embauches sont des remplacements, pas des créations de postes."
Selon Bercy, supprimer les exonérations de charges patronales détruirait quelque entre 600.000 et 800.000 emplois. Mais aucune étude n'évalue, en revanche, l'incidence de ces exonérations sur la création d'emplois. L'exonération des charges patronales en lien avec la mise en place des 35 heures auraient permis la création de 400.000 à 500.000 emplois, selon des estimations. Mais quelle est la part attribuable à la réduction du temps de travail et celle à la réduction des charges ? Nul ne le sait.
"Baisser le coût du travail de certaines catégories de population a un impact certain sur l'emploi, explique Eric Heyer, mais il s'agit le plus souvent d'effets d'aubaine." Selon l'économiste de l'OFCE, 90% des embauches générées dans le cadre des contrats jeunes mis en place en 2002 par François Fillon (500.000 embauches en CDI) sont liés à des effets d'aubaine, c'est-à-dire que dans 9 cas sur dix, l'entreprise aurait de toute façon embauché.
"Dans une période de non croissance et de taux de chômage élevé, les exonérations de charge patronales sur une population ciblée ne sont pas efficaces et pénalisent les autres catégories de salariés", conclut Eric Heyer. Selon lui, baisser le coût du travail des 55-64 ans aura peut être un effet positif sur leur recrutement, mais cela se fera au détriment des moins de 55 ans.
(Source : L'Expansion)
[1] On rappelle qu'il fut un temps où le «tutorat» coulait de source et n'avait pas besoin d'être décrété par le gouvernement.
[2] Le patronat et la droite ont gagné une bataille idéologique en remplaçant le mot «cotisations» par le mot «charges» (pesante métaphore visant à discréditer notre protection sociale), terme qui, bien que fallacieux, est repris allègrement par les médias puis rentré dans le langage courant.
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