Le mouvement social a montré que la souffrance au travail était si grande que prolonger encore de deux ans la durée du travail devenait vraiment insupportable. La retraite est apparue comme ce qui nous libère du travail mais, en même temps, la question du travail n’a pas été suffisamment prise en compte.
La vision de la retraite reste fondée sur la confusion entre travail et emploi. Quand on interroge les salariés sur leur travail, ils répondent en général qu’ils l’aiment, mais que ce qu’ils font ne lui correspond plus. Ces réponses montrent que ce n’est pas le travail en tant que tel qui est source de souffrance, mais c’est ce que l’emploi en fait. Je regrette donc que le principal message porté par le mouvement social ait été que la retraite nous libérait du travail. La mobilisation a exprimé l’exaspération d’avoir deux ans de travail en plus alors qu’en fait il s’agit de deux ans de plus dans l’emploi, ce qui n’est pas la même chose. De ce fait, l’emploi comme source du malheur au travail n’a pas du tout été abordé.
Les syndicats se sont centrés sur la pénibilité au travail pour justifier une réduction de la durée de vie dans l’emploi : cela montre bien que la question de la suppression de l’emploi n’a pas été posée. D’ailleurs, les retraités ne sont pas perçus comme des personnes enfin payées à vie en étant libérées de l’emploi, mais comme d’anciens salariés libérés du travail. Le salaire à vie comme substitut de l’emploi n’a pas été revendiqué. Il faut en finir avec le "marché du travail", et ce point n’a pas été évoqué.
L’origine de la souffrance au travail, c’est l’emploi ! Il faut sortir le mot "emploi" de son sens banal de "poste de travail". Bien sûr, pour qu’il y ait emploi, il faut qu’il y ait poste de travail, mais dans l’emploi c’est le poste de travail qui est qualifié, c’est le poste de travail qui est le support des droits. De ce fait, si on n’a pas de poste de travail, on se retrouve à poil ! Parce que ce n’est pas le travailleur qui est reconnu comme qualifié, c’est le poste de travail, et l’employeur et l’actionnaire, qui seuls maîtrisent les postes, ont toute maîtrise sur le travail.
La souffrance au travail est en réalité une souffrance à l’emploi et c’est pourquoi, sur le modèle de la retraite, il faut remplacer l’emploi par le salaire à vie. La réforme de la fonction publique relève d’ailleurs de la même logique que la réforme des retraites. La fonction publique repose sur une logique qui n’est pas celle de l’emploi mais du grade. C’est-à-dire que la qualification, et donc le salaire et l’ensemble des droits salariaux, sont attachés à la personne. Certes, il y a des problèmes qui tiennent à l’absence de maîtrise de la structure des qualifications, mais le grade interdit le chantage à l’emploi, cause massive du stress et de l’angoisse au travail. L’objectif de la réforme de la fonction publique est de passer de la logique du grade à la logique de l’emploi : que les fonctionnaires deviennent des employés avec des employeurs, avec des droits liés à leur poste de travail et non pas à leur qualification personnelle.
Pour la retraite c’est pareil : ce qui est insupportable pour les réformateurs c’est le fait que, lorsqu’un salarié du privé prend sa retraite, ce qui était la qualification moyenne de ses postes devient la sienne, et il a un salaire irrévocable parce que c’est lui qui devient le support de son salaire.
Aujourd’hui, il y a un amalgame entre travail et emploi qui pose l’emploi comme la seule institution légitime du travail alors que nous avons, dans la fonction publique et avec les retraités, une autre institution légitime du travail qui est le salaire à vie. Et ce qui est bon dans la fonction publique ou après 60 ans l’est pour tout le monde ! Je pense donc qu’un verrou à faire sauter, pour dépasser la question de la souffrance au travail, est celui de la qualification du poste de travail. Il faut absolument qualifier les personnes et non plus les postes.
Objectivement aujourd’hui, on est plus proche quantitativement et qualitativement du plein-emploi que dans les Trente Glorieuses. Et c’est bien à cause de cela que le travail est en grande souffrance et que l’on parle à juste titre de précarité subjective. Employeurs et actionnaires ont une absolue maîtrise du travail et, dans ce cadre, notre employabilité n’est jamais suffisante, il faut en permanence la prouver. Cette situation a une cause structurelle : à partir du moment où c’est le poste qui est qualifié, le travailleur est nié comme étant le seul porteur de qualification, le seul producteur. L’emploi ne reconnaît celui qui l’occupe que comme titulaire d’un gagne-pain.
Le fait que chacun soit titulaire d’une qualification en progrès de 18 ans jusqu’à sa mort est décisif. Nous devons repenser le travail sur le modèle réussi des retraités qui touchent un salaire à vie – lorsque leur pension est à un niveau proche de leur meilleur salaire, bien entendu. C’est la moitié seulement des 14,5 millions de retraités, mais cela fait quand même du monde !
Il est dommage que la mobilisation sur les retraites ait été portée par un débat en défense, qu’il n’ait pas été l’occasion d’être à l’offensive pour réclamer «Ce qui est bon après 60 ans serait encore meilleur avant » ! Les jeunes, comme les retraités, ont droit à un salaire à vie, à ce que leur qualification soit reconnue et que le salaire soit un droit politique attaché de façon irrévocable à la personne.
L’autre dimension révolutionnaire de la pension est son financement par les cotisations. Les comparaisons internationales sont évidentes : ce sont les pays qui ont choisi de financer cet engagement de très long terme qu’est la retraite sans aucune accumulation financière qui ont le meilleur taux de remplacement et qui ont le plus fort taux de retraités parmi les plus de 60 ans. Cela prouve bien que pour financer l’engagement de long terme qu’est l’investissement, il ne faut pas d’accumulation financière.
Il faut, sur le modèle de la cotisation sociale qui finance les pensions, abolir le droit de propriété lucrative en créant une cotisation économique qui assèche les profits et donne aux travailleurs la maîtrise de l’investissement. Deux conditions structurelles sont donc nécessaires pour émanciper le travail de la subordination dans laquelle il est aujourd’hui : la qualification personnelle du salaire à vie, et la maîtrise de l’investissement par la cotisation économique.
(Source : L'Humanité)
Piqûre de rappel en vidéo :
«L'emploi est une institution mortifère qui exclut une partie de la population du travail, et qui empêche l'autre de bien travailler. (...) L'emploi fait de nous des demandeurs. (...) Si on supprime l'emploi, on supprime le chômage.»
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