Le Sénat a lancé mardi une mission d'information sur les agences de notation financière qui, jusqu'en juillet, auditionnera et consultera spécialistes, anciens salariés d'agences, émetteurs de dette et investisseurs, en France et à l'étranger.
D'anciens analystes d'agences de notation ont témoigné mercredi au Sénat sur leurs conditions de travail, faisant état d'un manque criant d'effectifs et d'une vive concurrence entre agences qui les a parfois poussés à noter sans disposer de données suffisantes. Accablant.
Pas assez d'analystes
"Votre question est redoutable. En filigrane, vous nous demandez : Saviez-vous ce que vous faisiez ?", a déclaré aux sénateurs qui l'interrogeaient Anouar Hassoune, qui a travaillé sept ans chez Standard and Poor's et trois ans chez Moody's. "La réponse c'est : non, pas toujours. Il n'y a jamais assez d'analystes", a répondu ce normalien, agrégé de gestion, diplômé de Sciences Po et d'HEC, qui dit avoir connu des analystes chargés de 35 à 45 dossiers chacun.
"C'est humainement impossible, on était deux pour suivre le Crédit Agricole, ce n'est pas possible !", a-t-il lancé. Pour lui, le Crédit Agricole nécessiterait "un bataillon d'une douzaine d'analystes avec 15, 20, 30 ans d'expérience, connaissant tous les tenants et les aboutissants de chaque métier" de ce géant de la banque. "Mais ce n'est pas tenable économiquement parce que chacun va vous coûter entrer 500.000 et 600.000 euros, bonus compris" et votre "business est mort", a-t-il poursuivi. Aujourd'hui, M. Hassoune a quitté le monde des agences.
Trop de marges aux actionnaires
Derrière ce dysfonctionnement se trouve le modèle économique des agences et les marges élevées qu'elles réalisent pour leurs actionnaires, ont estimé les anciens analystes. "On dit à juste titre qu'il est scandaleux que les agences dégagent des marges aussi importantes", a déclaré Catherine Gerst, qui a travaillé chez Moody's Paris de 1991 à 2000, d'abord comme analyste avant d'en devenir directrice générale. Des agences qui n'avaient "aucune obligation de réinvestir dans les ressources humaines", souligne Mme Gerst qui suggère de créer des contraintes de ce type, de limiter par exemple à 10 le nombre d'entités à traiter par analyste.
Trop de compétition
Quant aux prêts immobiliers à risque ("subprime"), à l'origine de la crise mondiale actuelle, les agences n'avaient que deux ans de recul sur ces nouveaux produits et les ont bien notés, malgré leur dangerosité, "sachant pertinemment qu'elles n'avaient pas les données" nécessaires et se contentant "d'extrapoler" sur la base de ces deux années, a-t-elle déploré, expliquant ce fait par "une compétition trop forte entre agences". "Il y avait là un énorme marché donc, compétition oblige, il fallait y aller. Pour une question de business, de parts de marché, de revenus, les agences se sont précipitées. Aucune n'a eu le courage de dire : on ne peut pas noter", a-t-elle accusé, soulignant qu’"en interne, il n'était pas possible de tenir ce langage".
Un vrai problème de déontologie, de sérieux et de crédibilité
"Une agence devrait savoir dire non et c'est à cela qu'on aurait dû mesurer la crédibilité des agences", a insisté Mme Gerst. "Mais jamais l'actionnaire n'aurait accepté !", a rétorqué M. Hassoune. "Cela a beaucoup coûté aux agences, elles sont décimées et ce n'est pas dans l'intérêt du marché, des cohortes d'analystes sont parties parmi les meilleurs", a regretté l'ancienne directrice générale de Moody's à Paris.
Déjà interrogé mardi par cette mission du Sénat, l'économiste Norbert Gaillard, spécialiste des agences de notation, avait déploré, "sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité" de ces agences, un manque d'effectifs, évoquant "un vrai problème en termes de déontologie, en termes de sérieux". "On a vécu depuis les années 1920 une externalisation du risque de plus en plus marquée, en quelque sorte une forme de sous-traitance de l'analyse du risque crédit", a-t-il souligné. "Lorsque vous avez à gérer des centaines de milliards d'euros ou de dollars, il est quand même assez délirant que vous externalisiez une fonction fondamentale qui est l'analyse du risque de crédit : c'est une aberration", a-t-il lancé. "Je crois qu'il est temps de responsabiliser les grands investisseurs institutionnels et de faire en sorte qu'ils utilisent leurs propres notes et non plus les notes de Standard and Poor's, Moody's et Fitch."
(Source : L'Expansion)
NDLR : La mission commune d'information sur “le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation”, créée à la demande de parlementaires suite à la perte de notre triple A en janvier chez Standard & Poor's, rendra ses travaux à l'été 2012. Nous les attendons avec impatience...
Aujourd'hui, quelque 300 entités françaises (Etat, collectivités territoriales et entreprises, sans oublier l'Unedic) sont évaluées par une agence de notation implantée en France, avec un encours de la dette faisant l'objet de notation de l'ordre de 1.100 milliards d'euros.
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