Eco89 publie un palmarès des collectivités locales notées par ces agences. Selon l'auteur de l'article, fort instructif au demeurant, «pour les élus locaux, l'objectif est souvent plus politique que financier». Ces notations ne visent «pas seulement à lever des fonds sur les marchés et convaincre les investisseurs de leur sérieux. Il s'agit souvent d'une opération de communication à destination des banques, de l'Etat et des électeurs»... Loin de douter de ses propos, nous pensons cependant qu'il minimise la réalité. Car si certains n'ont aucune raison de faire appel à Fitch, Moody's ou Standard & Poor's (à noter que seul le département de la Meuse est cité en exemple), la plupart de ces collectivités, étranglées financièrement et ayant «de plus en plus de mal à décrocher des prêts» auprès des banques, sont ou ont été contraintes de se tourner vers les marchés.
Le maire de Sceaux avoue que «pour se financer, les collectivités locales ont absolument besoin d'emprunter. Cela représente, selon les années, 10 à 20 milliards d'euros». Face à cette difficulté, on apprend que des élus ont décidé de mettre leurs forces en commun et «travaillent sur un projet d'Agence de financement des collectivités locales, capable de séduire les investisseurs internationaux» (on pense aux séances de relooking pour chômeuses afin qu'elles puissent, à nouveau, "séduire" un employeur…). Et après les avoir séduits, il faudra constamment faire ses preuves pour les "rassurer".
Décentralisation et désengagement de l'Etat
L'obligation, pour des collectivités locales, d'emprunter sur les marchés financiers est d'abord le résultat de politiques fiscales aberrantes : la suppression de la taxe professionnelle (TP), de l'impôt forfaitaire annuel (IFA) et la baisse des droits de mutation ont réduit leurs recettes.
Surtout, depuis la décentralisation, l'Etat ne compense pas dûment les transferts de compétences qu'il ne cesse de leur confier. Fin 2009, Arnaud Montebourg avait signalé que 25 départements étaient en cessation de paiement et attaqué l'Etat pour non respect de ses engagements : il a obtenu gain de cause. Tant pis pour ceux qui n'ont pas osé s'engouffrer dans la brêche ouverte par le président du Conseil général de Saône-et-Loire. Car pour emprunter sur les marchés financiers à un taux raisonnable, il faut être bien noté, et pour être bien noté, il faut respecter les critères de rentabilité fixés par les agences, c'est-à-dire afficher une gestion rigoureuse de son budget, quitte à tailler dans ses investissements et s'adonner au moins-disant social...
Pourquoi l'Etat est-il à ce point défaillant ? On pourrait y voir une manœuvre visant à reporter la charge sur les contribuables locaux, les caisses de l'Etat étant de plus en plus vides, et pour cause : les politiques fiscales menées depuis des décennies en faveur des plus fortunés — entreprises comme particuliers — grèvent considérablement ses recettes. Entre 1981 et 2011, la dette publique est passée de 21% à 82% du PIB, et 75% de sa hausse s'est creusée sous une gouvernance de droite (Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy en tête). On peut donc y voir aussi une volonté de fragiliser la puissance publique.
Unedic : même combat !
L'exemple de l'assurance chômage est tout aussi emblématique. Notée AAA par Fitch Ratings, l'Unedic est évidemment déficitaire à cause d'un chômage de masse persistant qui déséquilibre son budget. Elle a du récemment emprunter 6 milliards d'euros sur les marchés financiers et pour garder cette excellente note, elle doit continuer à ne pas être trop généreuse avec les chômeurs.
Pourtant il existe d'autres moyens d'engranger quelques milliards, comme, par exemple, taxer les entreprises qui usent et abusent des contrats précaires (90% des offres actuellement disponibles). L'emploi précaire représente les deux tiers des entrées à l'assurance-chômage et coûte 5 fois plus en indemnisation qu'il ne rapporte en cotisations. Mais le patronat, qui fait la pluie et le mauvais temps de l'emploi et dont la part de responsabilité dans le chômage de masse et la précarité est patente, rejette obstinément l'idée d'une «surcotisation employeur»... De la même façon que l'UMP rejette toute hausse des impôts aux nantis. On n'en sort pas !
L'endettement, c'est comme le chômage : par devant on nous fait croire qu'on lutte contre, mais par derrière rien n'est fait pour y remédier, bien au contraire, puisque l'un et l'autre profitent aux amis du pouvoir.
L'effet domino
Tout part des décisions de notre exécutif. Tel un panier percé qui contracte des crédits à répétition pour assurer son fonctionnement tandis qu'il prodigue de copieuses ristournes à une frange de la population qui n'en a pas vraiment besoin, l'Etat accumule de la mauvaise dette, est prêt à renoncer à la souveraineté de la France sous la contrainte de ses créanciers, et rogne sur ses dépenses les plus élémentaires.
Dans la foulée et du fait de son impéritie, les communes, départements et régions doivent à leur tour faire la danse du ventre devant les marchés et se plier aux exigences des agences de notation. Quant à l'assurance chômage, elle est complètement bridée par l'obstination du patronat, que le gouvernement sert et bichonne fiscalement malgré des résultats médiocres en matière d'emploi. La boucle est bouclée.
Que des institutions publiques — qui sont le bien public et dépendent des deniers publics — soit livrées en pâture au grand casino de la finance mondiale est une honte. Combien de temps allons-nous continuer à fonctionner ainsi ? La France est une grande puissance économique : elle doit prendre l'argent où il est, et en premier lieu chez elle; non l'acquérir à vil prix chez des «investisseurs internationaux». Pour mettre un frein à l'endettement, il devient plus que nécessaire de réformer notre fiscalité et élargir nos assiettes de prélèvements : c'est par ce rétablissement d'un partage équitable des richesses que nous pourrons renouer avec un cercle vertueux.
SH
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