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L'AFPA plongée dans une crise «à la France Télécom»

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Alors que Sarkozy dit vouloir faire de la formation des chômeurs sa «priorité absolue», l’Association de formation professionnelle des adultes, organisme public de 9.000 salariés, subit une réorganisation brutale. Cette restructuration génère souffrance au travail et désorganisation. Exemple criant en Picardie.

S. s'est mise aux antidépresseurs : elle en a «besoin pour tenir». «Au boulot, rien ne va plus.» Elle ne reconnaît plus l'association qui l'emploie depuis plus de trente ans. Ses collègues «tombent comme des mouches». «En ce moment, la moyenne, c'est deux arrêts de travail par semaine, des arrêts justifiés, pas de complaisance», dénonce-t-elle la voix tremblante. Et pas n'importe qui : «Des bons, des solides, des responsables de service, craquent sous la pression de la hiérarchie, qui mène, tambour battant, une vaste restructuration à l'opposé des valeurs et de l'éthique de la maison.»

S. a peur de témoigner à visage découvert comme la plupart de ses collègues, cités tout au long de cet article. «Peur des représailles, qu'on me mute, me mette au placard ou me licencie» : «C'est arrivé à plusieurs d'entre nous.» S. travaille au sein de l'AFPA. La vénérable institution, un poids lourd né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour couvrir les besoins urgents de la reconstruction de la France, est engagée depuis 2009 dans de vertigineuses réformes qui l'ont plongée dans la crise.

Le financement de cet organisme, indispensable au bon fonctionnement de l'emploi, a été radicalement revu. D'outil du service public aux mains de l'Etat, l'AFPA est passée, décentralisation oblige, dans le giron des régions, déjà étranglées. Et surtout, en vertu des règles européennes, elle ne peut plus toucher de subventions et doit répondre aux appels d'offres, comme n'importe quel organisme de formation sur le marché du public comme du privé. Ce virage brutal a plongé dans le grand bain de la concurrence ce mammouth, deuxième organisme de formation en France après l'Education nationale.

Pour piloter ce changement de «business model», le gouvernement a nommé directeur général de l'AFPA un énarque qui connaît bien «le service public qui change», un quadra normalien formé à «l'école Raymond Soubie» (le conseiller chargé un temps du social à l'Elysée) : Philippe Caila, ancien directeur adjoint du cabinet d'Eric Woerth au budget et ancien directeur de cabinet d'André Santini au secrétariat d'Etat à la fonction publique. Mais sur le terrain, la réforme et «sa logique ultralibérale», disent les syndicats, ne passent pas. La déclinaison du «plan stratégique» se fait dans la douleur, génère une désorganisation profonde et une grande souffrance au travail dans le rang des salariés, passés de 12.000 à 9.000 en moins de trois ans, soit 3.000 suppressions d'emploi, essentiellement des formateurs.

A l'heure où le chômage bat des records et où le candidat Nicolas Sarkozy martèle dans ses discours qu'il faut former les demandeurs d'emploi, «priorité absolue», les intersyndicales et les représentants du personnel s'unissent pour dénoncer «le démantèlement», «la casse», «la privatisation» de l'AFP qui forme, de fait, de moins en moins de chômeurs, son cœur de métier. Et pointent du doigt la contradiction du gouvernement : «A chaque élection, on a droit à de grandes déclarations. Cette fois-ci, c'est pire. On a un président-candidat qui promet une formation qualifiante à tous les chômeurs alors que depuis cinq ans, c'est tout le contraire de ses déclarations qui est appliqué ici», constate, amer, Alain Guillemot, le secrétaire général de la CFDT-Afpa.

Dans tout l'Hexagone, les tracts, les lettres ouvertes, les motions et les grèves se multiplient et se ressemblent. Du Nord-Pas-de-Calais au Languedoc-Roussillon en passant par la Champagne-Ardenne, la Lorraine, l’Alsace, l’Aquitaine, le Limousin, l’Auvergne, l’Ile-de-France ou encore la région Rhône-Alpes... les mêmes problématiques affectent les campus, illustrent la dégradation de cette école de la deuxième chance, à la pointe de la pédagogie, qui répond depuis 1949 aux deux défis de l'économie française : la lutte contre le chômage et la pénurie de main-d'œuvre.

Formations surchargées ou en sous-activité, assèchement de l'alimentation du dispositif à la suite du transfert des 900 psychologues de l'AFPA à Pôle Emploi, plateaux techniques et d'hébergement en mauvais état faute d'investissement et d'entretien, transfert de tâches vers un personnel non formé, fermeture de sections, suppression d'effectifs, non-remplacement des départs, pénurie de moyens, pression des objectifs... Les cahiers de doléances s'alourdissent, conséquences directes, selon les syndicats, du fait de passer d'un mode de subvention à une procédure d'appels d'offres, de «vouloir transformer l’Afpa en compagnie “low-cost” de la qualification et en “hard-discounter” du parcours de formation».

En Picardie où S. est en poste, l'une des plus petites régions AFPA avec 311 salariés (effectif CDI et CDD en 2010), cinq centres et une direction régionale, le malaise est criant, les salariés en grande détresse. Début janvier, au micro de France Inter, Catherine, une employée, interpellait avec virulence Nadine Morano, la ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, sur la situation «particulièrement catastrophique» de l'AFPA Picardie. «Le personnel se demande comment il va tenir (...). Est-ce que vous attendez des suicides avant de réagir ?», implorait-elle.

S. était en route pour le travail lorsqu'elle a entendu ce cri d'alarme dans son poste. «Ça m'a fait un bien fou d'entendre une collègue courageuse attirer l'attention des pouvoirs publics sur notre sort car on se sent isolés, ignorés», confie-t-elle. «On ne sait plus où on va. Quels que soient le service, notre niveau, on craque devant les ordres et contre-ordres, les dysfonctionnements, les changements stratégiques constants. Toutes les lignes de métier sont impactées», raconte un autre employé qui a «triplé» sa dose journalière d'antidépresseurs.

«Je ne dormais plus. Je songeais à me foutre en l'air»

En Picardie, depuis le «plan stratégique», les salariés ont l'impression de «prendre le chemin de France Télécom» et mettent en cause le management de leur direction régionale qui s'est durci avec l'arrivée d'Annie Dole il y a un an et demi. «C'est marche ou crève. Si t'es pas content, tu prends la porte», note R., un cadre, rompu au management, qui vit le premier arrêt de travail de sa carrière à 50 ans, «un coup violent». Victime du syndrome d'épuisement professionnel, du «burn-out», R. a «pété les plombs» il y a quelques semaines, «pressé comme un citron». «J'étais obnubilé par l'Afpa. Je ramenais tout à la maison. Je ne dormais plus. Je songeais à me foutre en l'air.»

Au sein de l'AFPA-Picardie, les indicateurs mesurant stress et sécurité au travail ont explosé. Ils sont deux à trois fois plus élevés que la moyenne nationale AFPA, lesquels chiffres sont déjà bien au-dessus de la moyenne des professions parmi lesquelles la Caisse d'assurance maladie des travailleurs salariés classe l'association. Entre 2009 et 2010, le nombre d'accidents avec arrêts de travail a bondi de 200%, le nombre de journées d'arrêts de travail de 647%. «Les chiffres 2011 seront pires», prédit Marc Normand. Délégué régional CGT, élu au comité d'établissement régional et président de la commission des conditions de travail, ce formateur en chimie industrielle, entré en 1983 à l'AFPA, constate chaque semaine les effets néfastes de la réorganisation sur le moral des troupes. Il cite l'exemple du service commercial, à Amiens, où la moitié du service est à l'arrêt, dont plusieurs responsables d'affaires. «On leur demande des objectifs irréalistes. Sur certaines formations, ils doivent faire 400% de plus par rapport à l'an dernier, une gageure. On leur demande de compenser la perte du marché public en allant chercher le privé sans prendre en compte le contexte économique défavorable. Il faut tout de suite récolter. Or, dans ce milieu, il faut d'abord labourer, semer puis récolter», abonde un cadre qui côtoie au quotidien l'équipe de commerciaux.

«Perte de repères, instabilité permanente, réorganisation des métiers et des services, mobilité géographique, on assiste à une transformation du système à marche forcée, très rapide, très brutale. A France Télécom, la restructuration a été beaucoup plus lente dans le temps. Elle a été accompagnée. Nous, nous sommes seuls», note un syndicaliste. Seuls pour conduire une réforme dont l'esprit est en contradiction avec les missions historiques de l'AFPA : «La formation professionnelle, ce n'est pas une industrie mais de l'humain».

Un ancien directeur régional avoue avoir été «chanceux» que la réforme tombe en même temps que sa retraite : «J’aurais eu des difficultés à l’accepter car elle est contraire à l’état d’esprit de l’Afpa. Je ne voyais pas l’association rentrer dans des logiques dictées par le marché et se soumettre à des appels d’offres annuellement remis en cause. L’institution ne peut qu’être fragilisée. Les formateurs peuvent se retrouver avec un statut aussi précaire que ceux qu’ils forment.»

Stagiaires en baisse et de moins en moins satisfaits, notamment les chômeurs (1.000 demandeurs d'emplois en moins formés entre 2008 et 2010, soit un tiers), salariés déboussolés qui se retrouvent sans activité et contraints à la mobilité géographique pour certains, formateurs en sur ou sous-activité, effectifs passés de 251 CDI à 200 en deux ans... En Picardie, les difficultés sont les mêmes que partout ailleurs et se font sentir dans les résultats financiers.

Malgré sa petite taille, la région était l'une des meilleures élèves et offrait des formations de pointe, sans équivalent sur le territoire national comme en chimie industrielle ou en traitement de l’eau. «On venait de toute la France pour y participer. Aujourd’hui, du fait de la régionalisation des financements, ces filières ont du mal à recruter car les stagiaires hors-région ne sont pas financés», pointe Marc Normand de la CGT.

Chaque année, l’AFPA Picardie totalisait entre 3,5 et 5 millions d'euros d'excédents brut d'exploitation. En 2011, dix mois après la déclinaison du plan, elle devrait accuser un déficit de 1,5 million d'euros qui s'explique notamment par une baisse de 25% de l'activité de formation, principalement sur les demandeurs d'emploi. A l’échelon national, le chiffre d’affaires 2011 visait les 950 millions d’euros. Il est en réalité de 847 millions d’euros, soit une perte de 100 millions d’euros.

L'un des facteurs aggravants de ces mauvais résultats en Picardie est le refus de la direction régionale de prendre part au SIEG (service d'intérêt économique général) proposé par la région socialiste, dont le statut juridique permet de déroger aux règles de commande publique et de garantir à l’AFPA la continuité de ses «actions de formation d’intérêt général» au travers de conventions pluri-annuelles. «Ce dispositif, nous l'avions pensé pour elle. C'était une façon de lui donner du travail. On créait comme une régie, on sécurisait l'organisme, explique Didier Cardon, vice-président chargé de la formation professionnelle au conseil régional de Picardie depuis 2004. Mais la direction régionale n'en a pas voulu avant de se rétracter six mois plus tard, ce qui leur a valu des pertes de marché importantes.» Pour Didier Cardon, «la formation régie par les marchés, c'est un moule destructeur. Il faut revoir la réforme de la formation professionnelle. Ce n'est pas un marché comme les autres surtout lorsqu'il concerne un public esquinté par la vie». L'élu socialiste contemple la dégradation en Picardie avec impuissance : «Quand on brusque des cultures, on se trompe. On les aiderait bien mais nous ne sommes que partenaires.»

«Avant, tu travaillais pour les stagiaires, aujourd'hui, tu travailles pour le pognon»

L'association se dégrade à l'image de son patrimoine immobilier, au coeur d'un bras de fer juridique avec l'Etat qui lui en a transféré la charge comme le prévoyait la loi du 24 novembre 2009 sur l'orientation et la formation, décision finalement annulée par le Conseil constitutionnel en décembre 2010.

Le centre d'Amiens en zone industrielle, des bâtiments vétustes des années soixante, sur huit hectares, en témoigne. «Pour aller d'un atelier à l'autre, il faut passer par la pelouse boueuse car les escaliers sont défoncés», explique Fabrice Casselman, le délégué régional de la CFDT-Afpa. En cette fin février, les rares stagiaires à être hébergés jouent au ballon sur le terrain de jeu obsolète. «Avant, il y avait des animations socio-éducatives et les hébergements étaient pleins. Aujourd'hui, on ne les remplit pas. Ce devrait pourtant être un atout pour vendre de la formation mais on n'y arrive pas», déplore-t-il.

Dégagé à 100% sur ses heures syndicales, Fabrice Casselman a décalé sa semaine de vacances pour pallier le manque d'effectifs et remplacer son collègue formateur en électricité. «Il nous reste encore la solidarité.» Ingénieur passé par l'automobile et l'agroalimentaire, il travaille à l'AFPA depuis seize ans. Une passion – «J'adore ça, transmettre mon savoir, participer à remettre sur le monde du travail des populations en difficulté» – ternie par la réforme. «Avant le transfert aux régions, nous étions des oisillons dans un nid avec le bec ouvert. Aujourd'hui, il faut aller chercher la pitance», résume-t-il.

Tous les jours, il boit le café avec ses camarades formateurs. «Il y a dix ans, ils avaient tous les yeux qui brillent de travailler à l'AFPA. Aujourd'hui, ils viennent tous à reculons. Artisans efficaces, on veut en faire des monteurs des lignes Peugeot.» Tous se plaignent des lourdeurs administratives, du nouveau logiciel SIHA pour les commandes de matériel, «la croix et la bannière», rage D., 50 ans. Vingt ans que ce spécialiste «froid climatisation» forme des stagiaires. Aujourd'hui, il vient «presque en marche arrière» : «Il n'y a plus de concertation entre le formateur et le manager de formation, plus de remplaçant si on part en congés. On n'a pas la direction régionale qu'il faut. Tout est fait sens dessus dessous au détriment de la qualité. Seule la rentabilité compte. Avant, on parlait HTS (heures travaillées stagiaires), aujourd'hui, on parle CA (chiffres d'affaires).»

E., en bleu de travail, formateur depuis vingt ans, fait une pause derrière son ordinateur. «Las». Depuis deux ans, il «se demande tous les matins s'il va venir bosser» : «On n'a plus les moyens de travailler correctement. A la maintenance, je suis seul et je dois aussi assurer l'électricité alors que je ne suis pas électricien.» Il peste après ses stagiaires qui totalisent pour certains jusqu'à 209 heures d'absence et dont «tout le monde se fout sauf lui», déplore la disparition des psychologues, passés à Pôle Emploi : «On n'a plus de suivi psychopédagogique des stagiaires.» «Ces derniers mois, les conditions de travail se sont dégradées, poursuit-il. Les formations sont plus courtes avec des stagiaires en difficulté et on doit arriver aux mêmes résultats.»

«Avant, tu travaillais pour les stagiaires, aujourd'hui, tu travailles pour le pognon.» Ancien employé d'une entreprise de chaudronnerie à Toulouse, Jean-Luc Madani a rejoint les rangs des formateurs de l'AFPA Picardie il y a trois ans au moment de la restructuration. Il ne se doutait pas à son arrivée du «démantèlement qui se tramait», «un PSE (plan de sauvegarde pour l'emploi) déguisé», «la technique de France Télécom», condamne-t-il. Voyant son centre de Beauvais se vider – «un centre où la grande problématique était de se garer. Aujourd'hui, il n'y a plus que deux voitures, la moitié des formations ont été supprimées» –, il a renoué avec le syndicalisme de sa jeunesse. Défenseur Prud'hommes pour l'Oise, secrétaire du CHSTC, délégué CFDT, il en est à sa sixième saisine de l'Inspection du travail pour délit d'entrave. «Nous sommes de la viande. A Beauvais, un médecin du travail écrit noir sur blanc que les salariés sont en grande détresse. Personne ne bouge. Martyriser, décourager le salarié, c'est la solution qu'ils ont trouvée pour tailler dans les effectifs n’ayant pas les moyens d’un PSE.»

Fabrice Casselman renchérit : «La direction régionale joue la carte du pourrissement, de la gangrène. Comme ça, on coupe le membre et on s'en sépare.» Et de citer plusieurs exemples de salariés poussés à la démission ou licenciés, selon eux, pour «des motifs bidon», dont des cadres de direction. L'un d'entre eux, Patrice Guénard, responsable des ressources humaines à la direction régionale à Amiens, d'abord mis à pied en septembre 2010 puis licencié en juin 2011 après trente ans de maison, et à ce jour toujours pas remplacé, est devenu «un cas emblématique». Soutenu par les salariés et par les représentants du personnel, il doit prochainement passer devant le conseil des Prud'hommes. Son avocate, Marie-Solange Orts, compte démontrer qu'il est victime «de méthodes de management au mépris des personnes, des accords collectifs et de la législation».

«Des cas similaires sont éprouvés dans d’autres régions. Il y a une volonté certaine de faire le ménage», appuie Marc Normand. Comme ses camarades syndicalistes, le délégué régional de la CGT exige «le retrait du plan stratégique en cours et le retour à une Afpa de dimension nationale». S., elle, en appelle aux candidats à la présidentielle, qu’ils se positionnent clairement sur la formation professionnelle et qu’ils stoppent ce «gâchis».

(Source : Mediapart)

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