Le mois d’octobre a vu la crise de la zone euro s’aggraver considérablement et les agences de notations s’en donner à coeur joie : dégradation de la note de l’Espagne et de l’Italie, menace sur la Belgique, «mise sous surveillance» de la France qui est ainsi menacée de perdre son triple A...
Tout a déjà été dit sur le rôle des agences de notation. Aveugles lors des crises financières qu’elles ont été incapables d’anticiper, donnant la note maximale à la banque Lehman Brothers à la veille de son effondrement, certifiant l’innocuité des produits financiers hautement toxiques, baignant en permanence dans le conflit d’intérêt, leurs déclarations devraient susciter l’hilarité générale. Pourtant, gouvernements et institutions européennes, tout en les dénonçant et en promettant de les mater, persistent à se prosterner devant elles.
C’est que les agences de notations, aussi discréditées soient-elles, jouent un rôle indispensable au fonctionnement des marchés financiers. Le problème n’est pas de savoir si elles ont raison ou tort ou si leurs jugements sont basés sur une analyse objective de la situation. Il vient du comportement même des acteurs de la finance qui ont besoin d’une autorité extérieure pour orienter leurs décisions grégaires. Les agences de notation ne jouent pas le rôle de thermomètre, mais d’un virus qui fait monter la fièvre de la cupidité, laquelle pousse à la formation de bulles dans les moments d’euphorie boursière, et qui déchaîne une panique incontrôlée dans les moments de doute.
Le problème, ce ne sont pas les agences de notation, mais les marchés financiers. Il est donc criminel d’avoir mis les dettes publiques dans leurs mains.
Car, il faut y insister, ce sont les gouvernements qui ont fait ce choix, ce sont eux qui ont permis aux marchés de développer leur capacité de nuisance.
1973 : la réforme de la BDF, acte fondateur
En France, une réforme de la Banque de France (loi Rothschild) votée en 1973 sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, ministre des finances de Georges Pompidou, interdit au Trésor public d’emprunter directement à la Banque de France à des taux d’intérêt nuls ou très faibles. Ses objectifs affichés : lutter contre l’inflation et harmoniser les économies européennes. La Banque de France ne peut donc plus financer les déficits publics par de la création monétaire.
Le gouvernement français est dès lors obligé de faire appel aux marchés financiers, c’est-à-dire à des banques privées et ce, aux taux d’intérêt de marché. Il s’agit d’un acte fondateur, et destructeur, car il inaugure la mainmise des marchés financiers sur les États.
Abrogée en 1994, cette disposition allait être intégralement reprise lors de la création de la Banque centrale européenne, puis dans tous les traités européens (Maastricht puis Lisbonne). On a donc abouti à une situation hallucinante. Les États ne peuvent pas être financés par la BCE; mais celle-ci peut par contre refinancer les banques privées à de très faibles taux. Ces dernières prêtent ensuite aux États à des taux nettement supérieurs, voire carrément usuraires. L’Union européenne se place volontairement sous l’emprise des marchés financiers.
Années 90 : la contre-révolution fiscale
Cette emprise allait être d’autant plus grande qu’une contre-révolution fiscale s’est déployée depuis plus d’un quart de siècle par les chantres du néolibéralisme. Son fil directeur a été de baisser par de multiples moyens les impôts payés par les ménages les plus riches et par les entreprises, en particulier les plus grandes. On a assisté à une véritable inflation de niches fiscales et sociales bénéficiant aux mieux lotis. L’impôt sur le revenu est devenu de moins en moins progressif avec la diminution du nombre de tranches et les baisses successives du taux marginal supérieur. L’impôt sur les sociétés, véritable peau de chagrin, pèse trois fois plus lourd sur les PME que sur le CAC 40.
Résultat imparable, l’État s’est appauvri : ses recettes représentaient 15,1% du PIB en 2009 contre 22,5% en 1982 [1]. On trouve là une des raisons de l’accroissement régulier de la dette publique avant même la crise financière. Car, contrairement à une antienne dont on nous rebat les oreilles, ce n’est pas l’explosion des dépenses publiques qui a creusé les déficits. Avant la crise, elles avaient même tendance à baisser : 55% du PIB en 1993, 52% en 2007. La crise, dont il faut rappeler qu’elle trouve son origine dans les délires de la finance, a évidemment gonflé la dette. Baisse des recettes fiscales dues à la récession, plan de relance pour éviter la dépression, et enfin sauvetage des banques, se sont combinés pour arriver à ce résultat.
Des plans d’austérité inutiles et illégitimes
Alors que faire maintenant pour empêcher les prophéties autoréalisatrices des marchés de se réaliser ? Tout d’abord, il faut acter que les plans d’austérité, au-delà même de leur caractère socialement inacceptable, sont inutiles. Et c’est tout le paradoxe de la situation. Les marchés veulent que les déficits publics soient réduits pour être sûrs que les États puissent payer la charge de la dette, mais ils s’inquiètent du fait que les mesures prises vitrifient l’activité économique. Face à ces injonctions contradictoires, il ne sert à rien de vouloir rassurer les marchés, puisque plus on les rassure, plus ils s’inquiètent. La seule solution est de sortir les États de leur emprise.
Trois solutions
Il faut pour cela tout d’abord européaniser et monétiser les dettes publiques. La BCE et les banques centrales nationales doivent pouvoir, sous contrôle démocratique, financer les États et les politiques publiques européennes. Concernant le stock de la dette existant, un audit citoyen doit pouvoir déterminer la part de la dette qui est illégitime, et donc doit être annulée, et celle qu’il faudra rembourser, la BCE pouvant dans ce cas la racheter.
Les banques doivent être mises sous contrôle social afin qu’elles se tournent vers les financements de l’activité productive et la transformation écologique de la société.
Enfin, il faut enfin une réforme fiscale d’ampleur qui redonne des marges de manœuvres à l’action publique. Ces orientations supposent de rompre avec tout ce qui a fait l’orthodoxie néolibérale de ces dernières décennies. Les mouvements sociaux qui commencent à secouer l’Europe devront l’imposer.
Thomas Coutrot, coprésident d’Attac
Pierre Khalfa, coprésident de la Fondation Copernic
(Source : Attac)
NDLR
[1] On rappelle qu'entre 1981 et 2011, la dette publique de la France est passée de 21% à 82% du PIB, et que 75% de sa hausse s'est creusée sous une gouvernance de droite :
• sous le gouvernement Balladur (1993-1995, avec Nicolas Sarkozy comme ministre du Budget), elle est passée de 47% à 57% en 2 ans;
• sous le gouvernement Raffarin (2002-2005, avec notamment Nicolas Sarkozy comme ministre des Finances), elle est passée de 57% à 68% en 3 ans;
• et depuis 2007, sous la présidence du même Nicolas Sarkozy, la dette a encore progressé de 22%, soit environ 700 milliards en plus sur une dette totale d'environ 1.640 milliards.
La dette publique pour les nuls :
Trente ans de dette fabriquée de toutes pièces, par Etienne Chouard :
Cette crise n'est pas une crise mais un hold-up de la finance :
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