Professeur d'économie à Sciences Po Paris, Stéphane Carcillo a publié en 2011 avec Pierre Cahuc une enquête sur le dispositif des heures supplémentaires. Il réagit favorablement à l’intention du gouvernement de supprimer leur défiscalisation. Interview.
Porté au débat budgétaire à l’Assemblée nationale de ce lundi 16 juillet, le dispositif des heures supplémentaires défiscalisées devrait être supprimé à partir du 1er août. Est-ce une bonne chose ?
Oui. C’était un des symboles du fameux slogan "travailler plus pour gagner plus" de Nicolas Sarkozy. Adoptée en août 2007 dans la loi dite Tepa ("Travail, emploi, pouvoir d'achat"), cette mesure a permis aux salariés qui effectuent des heures supplémentaires d’être exonérés de cotisations sociales et de ne pas être imposables sur ce revenu quand les entreprises, elles, ont aussi bénéficié d’une exonération de cotisations patronales.
En fait, cela n’a pas permis d’augmenter la durée du travail. Notre étude montre bien que les entreprises ont surtout utilisé ces heures défiscalisées en remplacement d’heures existantes ou même à la place de primes. Certaines d’entre elles ont optimisé le dispositif en déguisant des hausses de salaires en heures supplémentaires. Celles-ci étant devenues moins chères que les heures normales, il y a eu un effet d’aubaine évident.
Sans compter que cela a surtout servi à valider des heures qui jusqu’alors n’étaient pas déclarées mais qui existaient déjà. Cela n’a pas créé d’emplois. Bien au contraire, les entreprises ont favorisé les personnes salariées à défaut de recourir à l'embauche de jeunes, d'intérimaires ou de CDD [1]. On peut donc légitimement se poser la question de maintenir un système inefficace qui coûte près de 5 milliards d’euros à l’Etat [2] !
N’est-ce pas, comme le dit la droite, du pouvoir d’achat qui est enlevé aux salariés ?
Si ces heures supplémentaires ne sont plus défiscalisées, ce sont presque 2,5 milliards d’euros d’impôts que les salariés paieront en plus. Mais le problème est que ce dispositif n’a pas profité à ceux qui en avaient le plus besoin. Sur les quelque 9 millions de personnes qui en ont bénéficié, il y a beaucoup de travailleurs qualifiés [3]. Et le gain moyen s’élevait à environ 500 euros par an, soit 40 euros par mois.
Autre problème, et pas des moindres, cette mesure prenait appui sur des données peu vérifiables. En France, il y a très peu de salariés dont les horaires sont fixes ou enregistrés via des pointeuses, et que l’on peut donc aisément contrôler. De fait, cette mesure a fait l’objet d’entente entre salariés et employeurs. Et on peut penser que ces heures, même sans incitation, continueront d’exister. Les besoins sont tels dans certains services qui en consomment beaucoup, comme dans les hôpitaux ou la fonction publique enseignante, que la pratique continuera [3].
(Source : Challenges)
[1] Chaque année, le volume de ces heures supplémentaires (stable autour de 700 millions) équivaut à 450.000 emplois à temps plein.
[2] 3,5 milliards de cotisations que l'Etat doit rembourser à la Sécurité sociale + 1,5 milliard de recettes d'impôt sur le revenu dont il est privé.
[3] Le profil-type du bénéficiaire est un un homme plutôt qualifié, dans un emploi stable à la rémunération médiane (soit 1.600 euros nets mensuels), travaillant dans la métallurgie et surtout dans le secteur de l'hôtellerie-restauration.
[4] Dans la limite du contingent de 220 heures par an et par salarié, sauf accord collectif contraire. L'heure supplémentaire sera toujours majorée (25% de la 36e à la 43e heure, 50% au delà).
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