La peste noire, qui arriva en Angleterre au mois d’août 1348, anéantit en 14 mois un tiers de la population. Cultivateurs, artisans, journaliers périrent, des villages entiers devinrent déserts : la hausse des salaires et des prix devint subitement vertigineuse.
La demande ne diminua pas sensiblement, parce que les riches voulurent continuer à entretenir leurs propriétés comme auparavant, et ils ne renoncèrent nullement à leurs habitudes de luxe. En revanche, le nombre de bras avait diminué au moins d'un tiers. La valeur de la main-d'œuvre monta, tandis que celle du capital baissait.
Instaurer un salaire maximum
Tous ceux qui travaillaient eux-mêmes, les petits propriétaires, les fermiers, et surtout les ouvriers, profitèrent de la disproportion de l'offre et de la demande et prirent de plus en plus l'habitude d'imposer leurs conditions. On évalue à 48% l'augmentation des salaires ruraux après la peste. Prendre avantage des besoins d'autrui pour augmenter son gain paraissait un crime au Moyen-Âge.
Edward III et son conseil publièrent donc, le 18 juin 1350, des mesures qui furent à l'origine d'une série de "statuts des travailleurs", un "code du travail" avant la lettre qui instaura un "salaire maxima" contre la "malice des servants" :
« Toute personne, homme ou femme, âgée de moins de soixante ans, qui n'a aucune occupation définie, aucune fortune particulière, aucune possession foncière, devra travailler quand elle en sera requise, et accepter les gages usités en 1346 ou dans les cinq ou six années précédentes, sous peine de prison.
Les selliers, pelletiers, corroyeurs, cordonniers, tailleurs, charpentiers, maçons, tuiliers, bateliers, charretiers et tous les artisans et ouvriers ne doivent demander que les gages de 1316, sous peine de prison.
Ceux qui donneront ou recevront des salaires supérieurs à ceux de 1346, paieront à celui qui se plaindra de cette infraction le double de la somme qu'ils auront donnée ou reçue. Si le coupable est un seigneur, il paiera le triple.
Les bouchers, poissonniers, brasseurs, pâtissiers, hôteliers, et tous les débitants de victuailles, devront vendre, sous la surveillance des municipalités, à un prix raisonnable et habituel, sous peine de payer au plaignant le double de la somme reçue. »
Cela déboucha sur une insurrection de masse paysanne en 1381, laquelle fut sévèrement réprimée. Ainsi, la "gentry" n’avait pas hésité à bloquer les salaires des manants par la terreur. Pas de "concurrence libre et non faussée" dans un cas pareil. Peine de mort pour celui qui réclame un trop haut salaire en temps de crise !
Un nombre croissant de milliardaires
Mais quand il s’agit de bloquer les salaires de la "gentry", tous ses défenseurs hurlent au loup comme s’ils étaient frappés par la Peste noire. Vouloir empêcher en temps de crise — qui plus est provoquée par les spéculations des plus riches de la finance — les patrons, actionnaires, usuriers de se servir des salaires mirifiques, ça fait hurler les médias.
Quoi ? Les Suisses ont fait une "votation" pour interdire les retraites chapeaux, les parachutes dorés, les primes mirifiques d’embauche, et ils condamnent les bénéficiaires à les rembourser et à "trois ans de prison" en cas de fraude ? Cela devient un évènement planétaire !
Il faut dire que nous sommes dans un monde aussi arriéré que dans l’Angleterre de 1361... Au XXIe siècle, trois hommes à eux seuls possèdent plus que les 48 pays les plus pauvres. Le dernier classement du magazine américain Forbes du 5 mars recense 1.426 milliardaires, soit 200 de plus qu’en 2012. Un record. Le montant cumulé de leur fortune s’établit en février 2013 à 4.145 milliards d’euros, en hausse de 17%. Cela représente deux fois le PIB de la France. Il y a 27 ans, Forbes avait recensé 140 milliardaires, avec une fortune globale évaluée à 295 milliards.
Ces gens ont manifestement volé, pillé, détourné ces fortunes par sur-exploitation des manants d’aujourd’hui dont les salaires sont bloqués et qui sont frappés délibérément par le fléau, non pas de la peste, mais du chômage de masse. Chacun sait que le travail n’a jamais enrichi personne : c’est l’exploitation du travail des autres qui enrichit à ce point.
Personne, par son travail, ne peut gagner 600 fois le Smic en une année. Lorsqu’il y a une telle disparité de richesses dans le monde, c’est qu’on est confrontés à une forme de barbarie, de dictature visible ou masquée. C’est ainsi dans un pays comme en France où les 500 premières familles ont gagné 271 milliards en 2011, soit presque autant que le budget de l’État. Chez nous, 10% des habitants possèdent 50% du patrimoine alors que 10% du bas de l’échelle n’en possèdent que 1%. Les patrons s’augmentent bon an mal an 10 à 100 fois plus que leurs salariés, et ce, même quand ils ne font pas prospérer leurs affaires.
Des salaires injustifiables
La "peste noire" actuelle, c’est le chômage, et il sert non seulement à bloquer les salaires de ceux d’en bas mais à augmenter de façon délirante, provocatrice, insupportable, les revenus de ceux d’en haut. C’est pourquoi surgit, du fond des peuples, du fond des salariés la revendication d’un salaire maximum, non pas pour eux, mais pour les maîtres, pour la "gentry".
Faut-il que les deux milliardaires français Liliane Bettencourt (30 milliards) et Bernard Arnault (29 milliards) soient menacés d’être pendus comme un servant en Angleterre pour qu’un minimum partage de redistribution des richesses s’impose ? Surement, étant donné l’égoïsme aveugle de ces gens qui acceptent de côtoyer 5 millions de chômeurs et 10 millions de pauvres dans leur propre pays.
Il est inhumain et injustifiable à tous points de vue que quelqu’un gagne, quelque soit son mérite, talent, génie, plus de 20 fois qu’un autre. 20 fois plus, c’est déjà énorme ! Pourquoi 20 fois ? Comme ça ! Parce qu'à l’école on vous note de 1 à 20 et rien ne justifie qu’on vous paye de 1 à 600 ensuite. Parce que la Confédération européenne des syndicats (CES) a fixé ce plafond à 20 fois le salaire minima. Parce que c’est encore beaucoup, mais cela paraît raisonnable. De même qu’il est raisonnable de lier le salaire maximum (et tous éléments annexes) et le salaire minimum : si l’un augmente, l’autre doit augmenter. C’est du domaine du "normal" en matière de société, de civilisation.
Vive les Suisses !
67,9% des électeurs suisses ont montré la voie : ils ont adopté un texte où trois dispositions sont prévues pour en finir avec les "rémunérations excessives" des patrons. Les sanctions en cas d'infraction vont d'une amende correspondant à six ans de revenu à trois années de prison.
Selon le texte adopté, la durée du mandat des membres des "conseils d'administration" devra être limitée à une année, et certaines formes de rémunérations, telles que les indemnités de départ — communément appelées "parachutes dorés" — ou les primes pour des achats d'entreprises, seront interdites. En outre, aux termes du texte, les rémunérations du conseil d'administration et de la direction devront être approuvées obligatoirement par l'assemblée générale des actionnaires, qui devront voter chaque année la somme des rémunérations mise à disposition des membres du conseil d'administration et de la direction.
Finalement, c’est un texte très modéré. L’ampleur de la crise exigerait qu’on aille plus loin et plus vite dans la redistribution des richesses. Il paraît que le gouvernement français recherche 6 à 7 milliards pour boucler un budget qu’il s’est lui même cruellement imposé avec 3% de déficit maximum.
Au lieu d’aller taper les petites retraites, les petits salaires, les allocations familiales, les maigres indemnités de chômage, de bloquer le Smic ou les remboursements de santé, d’augmenter la TVA, qu’il légifère donc "à la Suisse", qu’il impose un revenu maximum, qu’il taxe les dividendes honteux et inutiles (187 milliards en 2011). Vive les Suisses !
(Source : Le Plus)
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