Si certains s’évertuent à glorifier la «Valeur Travail» comme élément fondateur de la société contemporaine, il est temps d’ériger la «Valeur Chômage» en vertu refondatrice de la société de demain !
Ces dernières années, en ces temps de crise financière et économique qui ont ébranlé les puissances économiques occidentales et dont nous subissons toujours les répliques, les 20 Heures de TF1 et France2 ont relaté par l’image les plans massifs de licenciements qui, principalement, ont frappé la classe ouvrière.
Les témoignages poignants de ces sacrifiés ont crevé l’écran.
Depuis des années, on assiste à une hémorragie, qu’aucun garrot n'a contenu, de ces usines qu’on délocalise en Pologne, en Inde ou en Chine, ou qu’on ferme tout bonnement pour cause de concurrence internationale à laquelle on ne peut résister.
Ainsi, sur la période 2008/2013, le taux officiel du chômage en France, la catégorie A, est passé de moins de 2 millions de sans emplois à 3,2 millions. Du rarement vu dans un délai aussi court.
Un million deux cent mille personnes, principalement des intérimaires et des ouvriers peu qualifiés, sont restées sur le carreau. Un million deux cent mille familles ont été ébranlées par le licenciement d’un proche même si le système de protections sociales à la française permet, un temps seulement, d’amortir le choc de la perte d’un emploi qu’on peinera, dans le contexte actuel, à retrouver.
Malgré tous les efforts (réels ou feints) entrepris par les gouvernements de droite ou de gauche pour contenir l’augmentation du chômage, le travail reste une denrée rare sur un marché du recrutement pour toujours atone.
Face à cette pénurie, la lettre de licenciement qu’on vous remet en main propre ou qu'on vous adresse par voie recommandée peut être vécue comme un véritable traumatisme. Pour beaucoup elle l’est, notamment pour ces travailleuses et travailleurs peu qualifiés qui exercent des activités dans des bassins d’emplois déjà sinistrés offrant peu de possibilités de reconversions et de reclassements.
Dans ces conditions qui conduisent parfois à des situations périlleuses, dramatiques, à des vies qui s’effondrent, des couples qui se séparent, des complications médicales, des nuits sans sommeil, n’est-il pas indécent d’envisager l’annonce d’un licenciement comme une délivrance, une «opportunité professionnelle», un événement salutaire qui vous délivrera des chaînes de l’oppression quotidienne du travail, pour un nouveau départ, une véritable renaissance ?
N’est-il pas indécent de considérer le saccage d’une vie qu’on a pris 10 ou 20 ans à construire, comme l’ouverture d’un chantier qui la rendra finalement plus belle, plus sereine, plus riche qu’elle ne l’était jusque-là ?
Et ce «chômage heureux» que certains Bobos et autres illuminés nous promettent n’est-il pas, en définitive, qu’un vaste enfumage idéologique visant à «positiver» le négatif d’un système qui met quelques secondes pour exclure ses bons petits soldats dévoués et des années à les réintégrer dans ses rangs. Ou jamais…
«Je vous vire - souvent comme un malpropre - mais saisissez les avantages de la situation : Je vous rends votre liberté, vous délivre des obligations qui vous enchaînent au train-train quotidien d’une vie sans relief et finalement sans perspectives professionnelles à la place que vous occupez, aux responsabilités insignifiantes qui sont les vôtres. Vous avez enfin tout le loisir de vous consacrer à vous et à vos proches. Je vous donne l’opportunité de faire le bilan de votre parcours professionnel, de réfléchir à votre avenir, de vous ouvrir de nouvelles perspectives afin de repartir sur d’autres bases, d’autres projets plus enthousiasmants. Et pendant cette période, dans mon extrême bonté, je vous accorde 57% de votre salaire brut, le montant de votre Aide au Retour à l’Emploi (ARE) et ce, pendant 23 mois. Eh oui, je vous octroie un délai de deux ans, deux longues années, pour vous retourner, vous former, vous reconstruire. Vingt-trois mois que vous pouvez utiliser comme bon vous semble, à votre convenance, à votre rythme. Au cours de cette période, vous avez même le droit de prendre des vacances ! Pas belle la vie ?».
Mais que cache ce discours qui pourrait vous faire croire que vous avez décroché l’EuroMillion ? Une vraie opportunité ou un leurre ? Une vraie liberté recouvrée ou l’annonce de ce que vous réserve l’avenir : la précarité, les galères, les factures impayées et, pour finir, les minima sociaux pour survivre ?
Tout dépend de quel côté on se place. Tout dépend surtout à quelle hauteur de l’échelle sociale on se trouve : Sur les échelons les plus bas, ceux réservés aux travailleurs peu qualifiés, chargés de famille installés dans des bassins d’emplois sinistrés. Ou sur les échelons intermédiaires et supérieurs des classes plus favorisées, comme ces célibataires résidant dans ou à proximité des grandes métropoles.
Galère pour les uns (toujours les mêmes), privilège pour les autres (toujours les mêmes), le vécu du chômage ne serait-il pas en définitive qu’un prolongement des inégalités financières, sociales et culturelles de la vie professionnelle ? Le symbole d’un système injuste qui, même dans les périodes difficiles, exempte certains (toujours les mêmes) des duretés de la vie, pour accabler les autres (toujours les mêmes), ceux qui sont dans l’impossibilité de vivre sereinement une période incertaine.
Le chômage décomplexé ne serait alors qu’une vaste supercherie réservée aux travailleurs «heureux» dans leur vie professionnelle, autonomes, bien rémunérés, respectés et épanouis. A contrario, le chômage malheureux ne serait qu’une punition supplémentaire infligée à celles et ceux soumis, dans l’exercice de leur profession, à une hiérarchie oppressante, à des obligations éprouvantes, harassantes, peu valorisantes et finalement mal payées ?
En prime perception, ce clivage s’impose d’évidence. Car, comment faire du chômage une période d’épanouissement personnel quand on n’a pas un sou de côté, qu’on doit élever une famille, faire des courses toujours plus chères et trouver du travail dans un contexte économique détérioré ?
Le «chômage heureux» ne serait alors qu’un concept fumeux s’adressant aux favorisés, à celles et ceux qui ont les moyens d’en tirer le meilleur parti, de s’accorder le temps qui leur était jusqu’alors compté. Ce recul nécessaire, indispensable, à une bonne gestion de carrière comme on dit… chez les cadres supérieurs.
Vu sous cet angle, le débat est clos avant même d’être engagé. Vu sous ce jour, il n’y a pas matière à rédiger un essai dont nous pouvons d’ores déjà écrire la conclusion : «Le chômage heureux, c’est pour les gens heureux. Le chômage galère, c’est pour les gens dans la mouise».
Merci de m’avoir lu. Et à la prochaine.
Sauf que, sauf que… eh, eh, eh, les choses ne sont pas si simples !
Le chômage heureux, nous sommes toutes et tous contraints d’en accepter l’idée et, plus encore l’efficience, dans un environnement où l’absence de travail prend une place envahissante, où les périodes sans emploi fractionnent toujours plus les parcours professionnels et où, surtout, en l’état actuel, il n’y a pas de travail pour tout le monde. En toute logique, il y en aura de moins en moins…
Jean Pransoin pour Actuchomage.org
Épisode 2 : «Chômage, Vertu refondatrice de la Société de demain»
Épisode 3 : «Intellectualiser le chômage ne fait pas avancer le schmilblick»
- 05/08/2013 10:38 - Quand la Valeur Travail ne permet plus de vivre
- 31/07/2013 19:36 - Quarante ans de destruction de la Valeur Travail
- 29/07/2013 12:25 - Entretenir les mythes de la Valeur Travail, coûte que coûte
- 19/07/2013 15:59 - Intellectualiser le chômage ne fait pas avancer le schmilblick
- 18/07/2013 10:24 - Chômage, Vertu refondatrice de la Société de demain
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