Ces interrogations relèvent-elles du fantasme complotiste ou de la réalité historique ? Tentons d’esquisser une réponse.
Depuis les années 80, le FN est, malgré lui peut-être, l’allié du pouvoir en place, qu’il soit socialiste ou de droite plus ou moins modérée.
Comme si le Front National avait été conçu et dirigé à seule fin de canaliser les opposants les plus radicaux aux partis de gouvernement, cette collusion «bonnet blanc, blanc bonnet» qu’il qualifie «d'establishment» ou d'UMPS au gré des époques.
Un chiffon rouge qu’on agite dès que les partis traditionnels voient leur influence décliner et qu’une légitime exaspération populaire se fait entendre.
Depuis 40 ans, le parti des Le Pen est l’exutoire des contestations. Il incarne un refuge pour celles et ceux qui se sentent abandonnés ou trahis par le pouvoir en place.
À chaque échéance, les politiques en quête de réélection brandissent la menace Front National synonyme de démagogie, de fascisme rampant, de racisme et de xénophobie, lui qui n’a dirigé que quelques villes de province dans les années 90 (Toulon, Vitrolles et Marignane) et préside aux destinées de celles dernièrement conquises.
Si aujourd’hui la «Bête immonde» dispose de deux députés à l’Assemblée nationale sur 577 (0,35% des représentants du Peuple), rappelons aux plus jeunes et à ceux qui ont la mémoire courte (ou sélective) que le FN en a installé 35 en 1986.
Cette irruption du parti de Jean-Marie Le Pen dans l’Hémicycle ne bouleversa en rien le fonctionnement de nos institutions et pour cause. Elle était la conséquence attendue d’une manœuvre politicienne fomentée par le très habile François Mitterrand, Président de la République, qui imposa la «proportionnelle» en 1986. Cette ouverture du Parlement aux députés frontistes ne suscita pas de levée de boucliers et moins encore de manifestations de rue. Une partie de la Gauche voyant d’un œil complaisant la création d’un groupe parlementaire Front National dont elle espérait, à tort, qu’il affaiblirait la droite.
Le FN, instrument du pouvoir en place, connut son apogée quand Jacques Chirac fut réélu à plus de 80% à la Présidentielle de 2002. Un Front républicain se dressa alors contre le candidat Le Pen. Il aurait été plus pertinent qu’il s'exprime plus tôt en faveur de Lionel Jospin injustement écarté pour cause de divisions.
Comme en 1986 avec l’instauration de la proportionnelle, des personnalités de Gauche favorisèrent le Front National en 2002 ; Christiane Taubira et Jean-Pierre Chevènement, tous deux candidats au premier tour, contribuant grandement à l’éviction retentissante de Jospin.
Comme un seul homme, des centaines de milliers de Françaises et Français, sans doute même des millions, défilèrent entre les deux tours. Pas pour fustiger la division d’une Gauche socialiste qui s’était tirée une balle dans le pied, mais pour conspuer le nom du finaliste d'extrême droite. La colère de l’opinion ne se focalisa pas sur les responsables de la défaite mais sur celui qui récolta le fruit de leurs divisions (de leurs trahisons).
Et ainsi vit-on des millions d’électeurs socialistes, radicaux, communistes…, voter pour Jacques Chirac qui entra dans les livres d’Histoire non en qualité de visionnaire mais de Président réélu avec un score digne d'un régime totalitaire.
2007 fut le combat de trop pour un Jean-Marie Le Pen affaibli par l’âge. Cependant, Nicolas Sarkozy se vanta d’avoir «siphonné» les voix du Front National, confirmant que, tant à Gauche qu’à Droite, son électorat est une variable d’ajustement pour prendre ou conserver le pouvoir.
Ce dysfonctionnement, cette manipulation de la vie politique de ces 40 dernières années, a complètement échappé au Front de Gauche et à Jean-Luc Mélenchon.
Plutôt que de s’en tenir à une opposition farouche (et légitime) aux deux grandes formations qui contrôlent tous les leviers depuis des décennies, le FdG a fait de la lutte contre le Front National (qui ne contrôle rien ou quasiment) son combat prioritaire, son cheval de bataille. Il est tombé dans le piège tendu par «l’establishment» qui redoutait une possible percée électorale de Mélenchon. Quelques semaines avant le premier tour des présidentielles de 2012, le candidat Front de Gauche paraissait s’inscrire dans une dynamique irrésistible. Il semblait en mesure de mobiliser et d’agréger l’électorat de la vraie gauche jusqu’alors atomisé et divisé (PC, NPA, Lutte Ouvrière…), menaçant ainsi François Hollande.
Mais le taureau (devant lequel on agite le «chiffon rouge») sort rarement de l'arène sur ses quatre pattes. Mélenchon et le FdG en firent l’amère expérience. Les duels les plus emblématiques qui les opposèrent au FN furent perdus. L'électorat de la vraie gauche en sortit dépité, abattu…
Un constat s’impose donc. Non seulement le FN est l’allié du pouvoir en place, mais sa position d’outsider étouffe les mouvements susceptibles d’incarner des alternatives aux politiques menées.
Voilà le grand paradoxe français ! La progression du vote Front National renforce incontestablement l'hégémonie d'un PS et d'une UMP pourtant affaiblis par les affaires, par leur impuissance à relancer l’économie, à lutter contre les inégalités et le chômage. Invariablement, les inquiétudes que suscite la poussée frontiste finissent par profiter aux deux formations qui constituent pour l’électorat de gauche comme de droite le seul rempart à son ascension.
Ce mariage à trois a pour effet collatéral d’étouffer toute alternative et tout renouvellement des élus issus d’obédiences autres qu’UMP et PS. La vie politique s’en trouve figée depuis des décennies.
Les scores réalisés par le Front National en 2015 ne feront qu’amplifier ce statu quo, cette inertie. Si Marine Le Pen se retrouvait au second tour des prochaines présidentielles, sans doute obtiendrait-elle un score plus flatteur que celui réalisé par son père en 2002. Mais elle ne pourrait franchir la barre des 50% qu’à une condition : rallier à sa cause un des deux grands partis. Scénario aujourd'hui improbable !
Piégés dans cette voie sans issue, nos concitoyennes et concitoyens sont déboussolés. Les millions d’entre eux qui votent FN resteront marginalisés par des modes de scrutins défavorables à leurs candidats. Celles et ceux qui sont animés par des convictions «100% de gauche» n’ont aujourd’hui aucun espoir de les voir émerger tant les récentes tentatives ont été infructueuses malgré la dynamique insufflée par Jean-Luc Mélenchon en 2012, et tant le retard à combler paraît d’ores et déjà irrattrapable.
Restent en lice l’UMP et le PS qui trustent la vie politique nationale depuis l'extinction du Programme Commun. Cette union des Gauches porta au pouvoir François Mitterrand il y a 34 ans, suscitant bien des espoirs… déçus.
Aujourd’hui, aucune lueur n’éclaire l’horizon de celles et ceux qui aspirent au changement. Comme on disait en 1981 : Ça craint !
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