Les images tournent en boucle sur les chaînes d’info continue. Celles de femmes, d’hommes et d’enfants exténués par des semaines d’errance et d’exode à travers le Proche-Orient, l’Afrique, l’Europe et la Méditerranée.
Souvent de pauvres gens victimes des conflits qui ensanglantent Afghanistan, Soudan, Érythrée, Irak, Syrie, Libye, Mali…
Les images de ces exilés ne devraient susciter que compassion et solidarité, tant il est évident qu’on ne fuit pas son pays et sa famille de gaîté de cœur, mais par contrainte économique ou quand la mort menace.
Il est pourtant probable qu’une grande proportion d’Européens et de Français en particulier n’est guère favorable à l’accueil massif de ces populations qui, par dizaines de milliers, franchissent les frontières Est et Sud de l’Europe, entassées dans des véhicules ou des radeaux d’infortune.
Les dirigeants européens peinent à s’accorder sur une politique commune et cohérente. Des pays comme la Hongrie et la Slovaquie s’y refusent formellement. D’autres semblent plus ouverts, comme l’Allemagne ou l’Italie (dépassée par le flot des arrivées). D’autres encore n’ont plus les moyens de gérer l’afflux, telle la Grèce. Les derniers enfin, la France et la Grande-Bretagne, tergiversent et se renvoient la patate chaude.
La cacophonie européenne n’a jamais été aussi assourdissante. Les uns parlent de quotas et de régularisations quand d'autres ferment leurs frontières ou pratiquent une sélection (tolérant l’arrivée de Syriens chrétiens, par exemple, mais pas de musulmans)… La majorité silencieuse, elle, s’interroge.
Faut-il afficher notre solidarité avec ces réfugiés (économiques et politiques), en facilitant leur installation dans les pays de l’Union, au risque d’en attirer d’autres plus nombreux encore ? Ou doit-on rétablir des contrôles drastiques aux frontières ?
Des organisations estiment que, ne pouvant élever un mur infranchissable autour de l’Europe, il serait judicieux d’organiser les filières migratoires et se donner les moyens d’accueillir dignement les populations. «Gérons cette crise humanitaire plutôt que de la subir», préconisent-elles non sans raisons.
Nombreux sont ceux qui s’y refusent ouvertement ou silencieusement. Peut-on leur donner tort ?
Dans le contexte économique et social que nous connaissons en France, accueillir 10.000, 30.000, 50.000 ou 100.000 migrants ne peut se faire qu’au détriment de celles et ceux déjà fragilisés par les difficultés. Et on sait qu’ils sont de plus en plus nombreux à subir le chômage, le mal-logement, la misère pour les plus déshérités.
À moins d’accroître les aides sociales, l’équation est actuellement insoluble. Tout élan de solidarité se heurte aux exigences financières des politiques d’austérité. Dans ce contexte de pénurie, le système des vases communicants s’impose : Pour remplir le récipient B, il faut puiser dans le récipient A. Plus concrètement, un logement attribué à un migrant échappe à un mal-logé présent sur le territoire depuis longtemps quelle que soit son origine.
Personne ne conteste que la France a le devoir d’accueillir les victimes de persécutions politiques, ethniques ou religieuses. Mais comment les distinguer dans la masse de celles et ceux qui se pressent aux frontières de l’Europe ? Qui est en mesure d’établir que ce Soudanais ou ce Syrien est un persécuté, pas un ex-bourreau, un délinquant ou plus simplement un exilé économique ?
Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas les décideurs favorables à l’accueil des migrants qui font et feront les frais de l’afflux. On évoque plus de 100.000 arrivées par la Méditerranée et 100.000 autres par les frontières Est de l’Europe ces trois derniers mois, sans compter ceux qui ne sont pas comptabilisés (les flux migratoires clandestins étant, par principe, inquantifiables).
Ne serait-ce pas, finalement, une aubaine pour les fervents de l’ultralibéralisme et de la déréglementation généralisée ?
Sans verser dans la paranoïa conspirationniste, on constatera que, plus le temps passe, plus les pauvres et les travailleurs modestes sont divisés en sous-catégories.
Aujourd'hui, les migrants. Hier, les sans-papiers, les immigrés en situation régulière, les travailleurs détachés issus de la CEE (on en compterait près de 500.000 en France), les smicards, les chômeurs indemnisés, les non indemnisés, les RSastes, les ASS, les SDF… Tous forment un sous-prolétariat hétéroclite aux intérêts divers et divergents de plus en plus prononcés. Aucune solidarité de masse, donc aucune revendication collective, ne peut en émerger. Toute mobilisation est illusoire. Nous le mesurons ici sur Actuchomage. Le phénomène va s'amplifiant.
Depuis 50 ans, les nantis atomisent les classes populaires, en les scindant en sous-groupes, en encourageant les replis identitaires et communautaristes, sur la base du postulat : «Diviser pour mieux régner». Cet éparpillement ébranle la cohésion nationale, alimentant les radicalismes politiques, ethniques et religieuses.
Chaque année, d'autres arrivent avec leurs problèmes, leurs souffrances, leurs traditions, leurs croyances, leurs besoins, leur résignation à accepter des conditions de travail et de vie déconnectées des normes et des acquis gagnés au prix de siècles de luttes sociales.
Il y a quelques mois, un syndicaliste nous informait que la CGT était contrainte d'éditer ses tracs en cinq ou six langues (portugais, polonais, bulgare…) pour diffuser ses revendications auprès des travailleurs œuvrant sur le chantier de l'EPR à Flamanville. Il faudra bientôt les éditer en soudanais, en syrien et en irakien. Voilà qui découragera plus encore les mobilisations ouvrières ! Une illustration du «Diviser pour mieux régner».
Quant aux 6 millions de chômeurs et précaires, ils devront partager ce travail qui fait cruellement défaut avec des dizaines de milliers de nouveaux arrivants. Une spirale infernale qui gonflera les votes protestataires, comme nous devrions certainement le mesurer dans les mois et années à venir.
Mais qu’importe. Cette chienlit n’affectera pas les riches et toutes les bonnes âmes qui exigent de ceux qui ont le moins plus de solidarité avec ceux qui n’ont plus rien.
YB
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